Un rapport sénatorial pousse à la privatisation de l'éducation 

Comment remédier à la crise de recrutement de l'éducation nationale ? En laissant les chefs d'établissement recruter et en différenciant les salaires, répond le rapport rédigé par le sénateur LR Gérard Longuet pour la Commission des Finances du Sénat. Il veut  augmenter "la productivité" des enseignants en augmentant leurs missions et en restructurant le réseau d'établissements de façon à en réduire le nombre. Ce rapport sénatorial va un peu plus loin que les annonces d'Emmanuel Macron. Mais il les éclaire en dévoilant l'objectif budgétaire : répartir la marge budgétaire dégagée par la chute du nombre d'élèves dans les années à venir. La privatisation de l'Ecole c'est comme les retraites...

 

Les enseignants français payés comme les gardiens de la paix

 

"Je me suis fait plaisir en écrivant ce rapport car j'ai envie de laisser des questions ouvertes et le thème de l'attractivité est l'occasion de dérouler tous les problèmes de relations humaines de l'éducation nationale". Le sénateur Longuet s'est souvent fait plaisir avec l'Education nationale. On se souvient du rapport de 2016 qui, dans le même souci de productivité, demandait d'augmenter de 5 heures hebdomadaires le temps de service des certifiés et de 8 celui des agrégés. Le tout gratis.

 

Le rapport présenté le 9 juin est apparemment moins offensif. Mais sous le titre "Crise d'attractivité du métier d'enseignant : quelles réponses des pays européens ?" il appelle en fait à une réforme libérale de l'Education nationale et il explique pourquoi elle va se faire.

 

Pour G Longuet, la crise de recrutement des enseignants est européenne et pas seulement française. Par exemple la Suède doit trouver en urgence 77 000 professeurs , l'Allemagne 15 000. Le taux de démission en France, en hausse rapide, parait d'ailleurs insignifiant par rapport à celui de l'Angleterre. Retenons que pour G Longuet, le problème n'est pas seulement de recruter mais aussi de retenir les enseignants.

 

Il ne cache pas des spécificités françaises. Bien sur le salaire. Dans un récent rapport il avait déjà montré que les salaires des enseignants français sont inférieurs à la moyenne européenne de 15%. "Par rapport aux autres fonctionnaires, le salaire net des enseignants se rapproche de celui des brigadiers et gardiens de la paix. La rémunération d’un professeur des écoles est inférieure au salaire moyen des fonctionnaires civils de catégorie B", note-il. D'autre part les enseignants français sont parmi ceux qui se sentent le moins valorisés par la société : dans l'OCDE seuls les professeurs slovaques et slovènes ont un taux plus faibles. Seulement 8% des enseignants français pensent qu'ils peuvent influer sur les politiques éducatives, c'est à dire moitié moins que la moyenne européenne.

 

L'Allemagne, un modèle de gestion

 

G Longuet étudie comment ça se passe ailleurs et expose deux pays en modèles. C'est ainsi, plus clairement que par ses recommandations, qu'il introduit dans son rapport une nouvelle politique de privatisation de l'enseignement. Ses propos, le 9 juin lors de la présentation du rapport , sont plus clairs sur ce point que le texte du rapport.

 

Les modèles sont l'Allemagne et le Portugal. Du Portugal il retiendra que les chefs d'établissement peuvent décider d'un quart du temps scolaire. Ils peuvent ainsi choisir les disciplines qui seront renforcées dans leur établissement et embauchent les enseignants en conséquence.

 

L'Allemagne fait l'objet d'une présentation plus large et parfois trop habile. Ainsi quand G Longuet expose que l'éducation en Allemagne coute moins cher qu'en France il faut bien regarder de quoi il parle. La dépense d'éducation allemande est plus élevée que la moyenne européenne. Les dépenses par élève se montent à 115 747$ en Allemagne contre 103 579 dans l'UE et 104 300 en France. La dépense totale au titre d'établissements d'enseignement par élève est de 12 774$ contre 10 671 dans l'UE et 11 201 en France. Mais l'Allemagne consacre un pourcentage plus faible de son PIB à l'enseignement scolaire que la France. Ce n'est guère surprenant :le PIB allemand est nettement supérieur au PIB français et le nombre d'élèves nettement plus faible (8 millions contre 12 millions).

 

Mais G Longuet met en avant d'autres éléments pour faire de l'Allemagne un modèle de "productivité" éducative. D'abord l'Allemagne a fortement réduit le nombre de ses établissements : en 10 ans 14% ont été fermés et le nombre moyen d'élèves par établissement est deux fois plus élevé en Allemagne. Cela contribue à la réduction des coûts par une rationalisation de l'offre. Mais la densité allemande est le double de celle de la France obligée de maintenir un nombre important de petits établissements dans des zones peu denses. La Cour des Comptes a déjà invité le gouvernement à fermer des établissements. Elle attendait 20 milliards d'économie d'une gestion à l'allemande.

 

Les nouvelles missions des enseignants

 

Cependant l'essentiel du gain de productivité pour G Longuet vient des enseignants et de leur gestion. Les enseignants allemands sont nettement mieux payés que les français mais ils travaillent 40 semaines par an et font de 10 (dans le premier degré) à 20% (dans le second) d'heures en plus. "Les enseignants allemands doivent effectuer de nombreuses missions, en particulier de remplacement ou de surveillance. Il n’existe en effet pas de vie scolaire en Allemagne, les professeurs étant eux-mêmes chargés de la discipline, notamment lors de la récréation... En outre, les enseignants effectuant des missions supplémentaires ne bénéficient pas de compensations financières, à la différence du système français. La position de coordinateur de discipline, de niveau ou de section confiée à un enseignant qui participe au groupe de direction n’entraîne pas de prime, contrairement aux professeurs principaux français". On aurait ainsi des enseignants plus présents dans l'établissement, des établissements nouveaux mieux adaptés à ces présences et une hiérarchisation des enseignants.

 

Des chefs d'établissement qui embauchent et payent les enseignants

 

Pour lutter contre la crise du recrutement, le rapport préconise donc d'augmenter les  enseignants débutants mais surtout de laisser les chefs d'établissement différencier les rémunérations. pour cela il faudrait évaluer plus souvent les enseignants de façon à accélérer la carrière de certains. G Longuet estime qu'il faut aussi différencier selon les disciplines, par exemple payer les professeurs de maths davantage à l'image de ce que fait l'Angleterre. La rémunération pourrait aussi dépendre des formations suivies par les enseignants. il parle "d'incitation financière à la formation". Celle ci aurait lieu sur le temps de congé , ce que permet déjà la loi Blanquer.

 

"Je m'interroge sur la productivité des enseignants", dit G Longuet. "Les pays ayant la meilleure performance économique sont ceux où les enseignants vivent 35 heures par semaine dans l'établissement... On a le sentiment que la rue de Grenelle a offert aux enseignants des conditions de vie que nos compatriotes ne comprennent toujours pas car ils ont le sentiment qu'ils n'ont que 160 jours de travail par an ce qui n'est pas beaucoup".

 

Pour rehausser la productivité il faut pour G Longuet libérer la gestion par les chefs d'établissement. "La productivité de la classe il n'y a que l'établissement qui puisse répondre à cette question... Selon le type de classe que le chef d'établissement forme il peut avoir des besoins différents d'enseignants".

 

On arrive à la liberté donnée aux chefs d'établissement de recruter les enseignants, principe affiché aussi par E Macron le 3 juin. Le président de la République le justifie en mettant en avant le projet pédagogique. G Longuet en dévoile tout l'intérêt budgétaire.

 

Récupérer la manne budgétaire liée à la baisse démographique

 

 G Longuet reprend une idée qui a eu son heure de gloire il y a une dizaine d'années : pour mieux gérer le système éducatif donner une enveloppe salariale aux chefs d'établissement et la laisser les gérer. "On peut être agrégé et enseigner le français en collège. Faut-il payer l'agrégé plus cher que le certifié qui fait aussi bien le travail ?". En partant de cette approche gestionnaire, le chef d'établissement devrait avoir le choix de recruter pour son établissement 4 certifiés plutôt que 3 agrégés et peut être 4 contractuels plutôt que 3 certifiés...

 

On retrouve dans ces recommandations et cette argumentation bien des points communs avec les annonces faites par E Macron. On voit bien que le rôle donné aux chefs d'établissement et directeurs dans le recrutement des enseignants n'est qu'une étape d'une privatisation qui pourrait aller plus loin encore. G Longuet en donne la clé. "Au moment où la démographie française montre qu'il y aura moins d'élèves, il serait bon de savoir comment la marge dégagée va être utilisée". Comme la mutation du système de retraite, cette marge est l'objectif de l'épisode de privatisation que l'Education nationale devrait traverser.

 

François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le vendredi 10 juin 2022.

Commentaires

  • caroudel, le 10/06/2022 à 10:00

    Le dernier rempart de la République, l'école, considérée comme source de revenu pour l'Etat, Il fallait y penser !

    Le monde individualiste que l'opulence provoque oublie la générosité indispensable de la République en respect de la devise égalité, fraternité, en confondant liberté et asservissement à l'argent, le dieu des nouveaux croyants.

    Bientôt plus de sécu, plus d'hôpital public, plus d'école,plus de retraite par répartition, toutes institutions sous-développées pour démontrer la puissance du privé.

    Dans quelques temps nous paierons pour mettre nos enfants àl'école, pendant qu'on nous transformera en assistés au lieu de nous rémunérer correctement.

    Dimanche nous avons le moyen de faire barrage à cette vague antirépublicaine.

    Dimanche soyons à lahauteur d'un choix décisif : imposer une restauration républicaine.   


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