Marie Soulié : Enseigner en classe inversée 

"Pour remédier à ce constat amer s'imposait à moi une salutaire modification de posture. Laquelle ?" Professeure de français au collège  Daniel Argote à Orthez (Pyrénées Atlantiques), Marie Soulié nous invite à voyage initiatique. A travers ses échecs, ses reculs, ses avancées, elle raconte comment elle a élaboré une pratique pédagogique qu'elle propose de façon très concrète dans un livre (Enseigner en classe inversée, ESF Sciences humaines) qui est un véritable guide pour l'enseignant. Le voyageur ne perd pas de vue sa boussole : le respect des programmes, le souci d'équité, la réussite de tous, la volonté de vivre et partager en classe. Un cheminement, des repères où les enseignants, du premier comme du second degrés, se retrouvent. Marie Soulié revient sur ce chemin et les valeurs d'enseignante qui l'habitent.

 

Votre livre est une sorte de manuel du changement proposé aux enseignants. Etes vous d'accord avec cette définition ?

 

J'aimerais que ce soit un guide qui accompagne les collègues curieux de s'immerger dans une classe inversée et ceux qui rencontrent comme moi le besoin de nouveauté en cours de carrière car ils sentent que leur façon d'enseigner s'essouffle.

 

En tous cas j'ai bien voulu faire un guide et ce livre est avant tout pratique. Ce n'est pas un livre de théoricien. Le livre amène les collègues dans ma classe. J'explique comment et pour quoi j'ai changé ma pratique. C'est le récit d'une aventure avec ses moments de doute.

 

Mais pourquoi faudrait-il changer sa pratique pédagogique et se mettre en danger ?

 

Cela répond à la nécessité d'un moment donné. Pour moi le besoin c'était de répondre à un sentiment d'échec.  J'avais l'impression d'avoir fait le tour des façons de faire cours. Le besoin de changement s'est imposé en constatant que mes élèves étaient de plus en plus passifs et avaient d mal à s'investir dans le travail à faire à la maison. Au début on se dit que cela vient des élèves et pas de soi. Mais au final on se dit qu'il faut changer. Au début on voit ce qui ne fonctionne pas. Mais on ne sait pas comment s'y prendre. On teste de petites choses. On analyse. Et on bascule dans une posture d'enseignant chercheur. C'est ce qui m'est arrivé.

 

Bien sur c'est se mettre en danger. Il y a une prise de risque. C'est d'autant plus difficile que les résultats n'arrivent pas tout de suite. On observe. On doute. Mais c'est la condition nécessaire pour trouver un second souffle.

 

Quelles sont vos inspirations, vos valeurs ?

 

C'est d'abord la valeur travail. J'avais envie que les élèves travaillent. Ca m'a amené à réfléchir sur ce que je leur donne à faire. Est ce que je leur donne à tous les moyens de réussir leur travail ? Cela m'amène à la deuxième valeur : l'équité. Et puis il y a la volonté de les rendre autonomes et qu'ils collaborent en classe. Pour cela il faut que prépare mon terrain. Cela demande des efforts de préparation et d'anticipation sur les difficultés qu'ils vont rencontrer et les coups de pouce que je dois leur donner. Pour que les élèves retrouvent le plaisir de travailler il faut qu'ils aient le sentiment d'être capables de réussite. Plus ils sont autonomes plus ils sont fiers de ce qu'ils font.

 

Votre pratique pédagogique, expliquée dans le livre, c'est la classe inversée. Mais on a l'impression que vous avez réduit la partie faite à la maison. C'est le cas ?

 

L'inversion réside surtout dans l'inversion des tâches. Les tâches simples se font à la maison et les compliquée en classe. A la maison je leur demande de regarder une capsule de mise en bouche qui est un élément déclencheur mais qui reste facile à aborder. Elle ne vise qu'à amener des questions qui seront traitées en classe. Ensuite en fin de parcours je leur demande quelque chose qui est chronophage mais facile: recopier la trace écrite conçue en classe.

 

Je me suis rendue compte qu'au début je donnais des tâches trop lourdes à la maison. Je retombais dans un modèle que je ne voulais pas : la leçon en vidéo. Du coup les élèves ne faisaient pas le travail à la maison. Cela fait partie de mon parcours qui est semé d'erreurs.

 

Votre cours propose une situation complexe. N'est ce pas là une pédagogie classique ?

 

Je ne prétends pas faire quelque chose d'innovant. C'est juste innovant pour moi. La tâche complexe est une mise en situation concrète de la notion abordée dans le cours. Je leur apporte les ressources pour la comprendre et l'expliquer aux autres. C'est un travail qui se fait en collaboration, en groupe. C'est inductif : on part d'une observation pour déduire une règle. Si c'est classique je le revendique. Simplement ce qui distingue ce que je fais c'est que dans ma classe les élèves sont actifs 80% du temps. Ils sont dans une posture de recherche. Avant je les faisais travailler un temps court en groupe avec une reprise générale. Maintenant les élèves sont en activité presque tout le cours.

 

Comment se fait l'institutionnalisation des connaissances ?

 

A chaque séance une notions est découverte, expliquée, mise en commun et fixée dans la mémoire des élèves. La trace écrite est élaborée après la découverte par les élèves. Ils préparent une mise en commun qui peut être une carte mentale ou un paragraphe argumenté. Chaque groupe envoie un rapporteur qui propose et commente. Je complète si nécessaire. Et on se met d'accord sur la trace écrite qui sera envoyée à la maison et recopiée. Le lendemain je vérifie que la recopie est faite.

 

Comment gérez-vous les inégalités entre les élèves ?

 

En essayant d'éviter de les renvoyer à la maison. Concrètement je ne donne à faire à la maison que des choses abordables par tous les élèves. La recopie de la trace écrite est facile pour tous. La bande annonce du cours, sans questionnaire, nécessite juste de la regarder et éventuellement poser une question. Tout ce qui est évalué est aussi fait en classe. Il n'y a plus de rédaction à faire à la maison.

 

Cette démarche est-elle adaptée à tous ? Il y a t-il des limites à ce que vous proposez ?

 

C'est juste une inversion des tâches et donc c'est adapté à tous les niveaux. On essaie juste de donner du sens au rendez-vous pédagogique et de faire sortir les élèves d'une posture silencieuse et immobile à une posture active où ils sont face à des difficultés. Maintenant on n'est pas obligé de faire comme moi ! On n'est pas obligé de défaire sa pédagogie tout le temps ! On est libre d'inverser ou pas. Je ne dis pas que les cours en face à face sont mauvais. Parfois ils sont nécessaires.

 

Votre façon de faire n'augmente-elle pas le travail de l'enseignant ?

 

Tout changement signifie reconstruction. C'est du travail , ne serait ce que pour les vidéos. Cela m'a pris du temps pour balayer le programme !

 

Finalement cette démarche d'enseignant chercheur, n'est ce pas une posture normale pour un enseignant ?

 

L'enseignant chercheur c'est aussi quelqu'un qui va se rapprocher d'autres enseignants en autoformation ou de façon plus institutionnelle. Il picore à droite à gauche. Il se fait son propre modèle en ajustant à ses besoins. Finalement un enseignant est forcément chercheur même s'il n'en est pas conscient. Cela vient du métier. Et de la société qui évolue et met en face de lui des élèves qui changent.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Marie Soulié, Enseigner en classe inversée. Mon compagnon quotidien pour faire cours autrement. Esf Sciences humaines, ISBN 978-2-7101-4563-9

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 07 juillet 2022.

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