Tribune : Lettre ouverte du Comité de soutien à Kai Terada 

Suspendu depuis la rentrée, Kai Terada, professeur de mathématiques au lycée Joliot Curie de Nanterre (92), ne fait l'objet d'aucune procédure disciplinaire. Il pourrait, comme d'autres militants syndicaux avant lui, faire l'objet d'une mutation "dans l'intérêt du service". Son comité de soutien demande sa réintégration et explique pourquoi Pap Ndiaye devrait rompre avec ces manoeuvres initiées par son prédécesseur.

 

Monsieur le Ministre,

 

Vous avez reçu ces derniers jours un recours hiérarchique : Kai Terada, professeur au lycée Joliot-Curie de Nanterre, vous interpelle sur la décision prise par le rectorat de Versailles de le suspendre 4 mois à titre conservatoire en ne lui notifiant aucun motif et en lui affirmant de vive voix qu’il n’a commis aucune faute, ce que confirme un dossier administratif vide quant à sa partie disciplinaire.

 

Choisir de vous taire face à cette requête vous rendrait complice d’une procédure qui brille par son illégalité. Vous n’êtes pas sans savoir que le code général de la fonction publique précise à l’article L531-1 que “le fonctionnaire, auteur d'une faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline”. Si Kai Terada n’a commis aucune faute ni aucun manquement, il ne peut donc être suspendu. Il est alors en votre pouvoir et de votre devoir d’annuler immédiatement cette mesure illégale. En matière de suspensions illégales, nous vous rappelons qu’en juin 2021, le tribunal administratif de Poitiers a jugé illégale la prolongation de suspension décidée par le rectorat de Poitiers à l’encontre des 4 collègues de Melle

 

Par ailleurs, le rectorat de Versailles, qui n’est pas avare de contradictions, a annoncé à Kai Terada, par la voix de M. Chaussard, secrétaire-adjoint à la DRH du rectorat de Versailles, le jeudi 8 septembre, que lui serait notifiée sous 15 jours une décision définitive, qui prendrait vraisemblablement la forme d’une mutation dans l’intérêt du service. Si la mutation dans l’intérêt du service ne peut être une sanction, comment peut-elle être précédée d’une suspension conservatoire ? Vous nous permettrez de voir dans cette nouvelle décision une sanction déguisée : Kai Terada, en poste depuis 2007 au lycée Joliot-Curie, apprécie y enseigner et n’a jamais demandé à muter ; qui plus est, dans ce contexte de pénurie d’enseignants, notamment de mathématiques, nul ne peut croire qu’il est dans l’intérêt du lycée Joliot-Curie de perdre un enseignant de mathématiques expérimenté !

 

Pour justifier cette sanction déguisée, le rectorat se retranche derrière une expression pour le moins imprécise : il s’agit de retrouver “de la sérénité au lycée Joliot-Curie”. Il y aurait fort à dire sur la déstabilisation de tous les lycées de France qu’a provoquée la réforme du baccalauréat, mais nous nous contenterons de nous étonner de ce pouvoir discrétionnaire que s’octroie l’administration, en l'occurrence le rectorat de Versailles qui n’a su expliquer à Kai Terada en quoi il troublait la sérénité de son établissement. Cette décision s’appuierait sur le rapport d’une inspection à 360°, mais ce rapport est tenu confidentiel par le rectorat, qui malgré les demandes s’obstine à ne pas le transmettre. Vous avouerez que la situation de notre collègue est pour le moins kafkaïenne : sanctionné sans motif d’accusation, comment peut-il se défendre ?

 

Vous n’aurez sans doute pas le temps de lire les témoignages, pourtant édifiants, remis le 13 septembre à la DSDEN de Nanterre, car en à peine une semaine, et alors que Kai Terada n’est pas présent dans son établissement, ce sont plus de 80 personnes qui ont pris la plume pour soutenir leur collègue ou ancien collègue. Parmi elles, on compte même des personnels de direction qui ont travaillé à ses côtés dans ces dernières années difficiles de mise en application de la réforme Blanquer et de crise sanitaire. Loin de considérer que Kai Terada nuit à la “sérénité du lycée”, nombre de ses témoignages insistent sur sa “volonté d’apaisement”, “ses qualités diplomatiques”, “son rôle de médiateur” ; il est présenté comme “un symbole d’honnêteté et d’intégrité morale”, comme un homme “calme, posé et respectueux des autres”. Ses qualités professionnelles et son investissement auprès des élèves sont soulignés. Ces témoignages sont aussi empreints d’émotion : loin de rétablir la sérénité au lycée, comme il le prétend, le rectorat de Versailles a bouleversé des collègues qui ne comprennent pas l’injustice dont est victime un collègue apprécié aussi bien pour ses qualités d’enseignant que pour son implication, en tant que représentant du personnel, au service de son établissement, de ses élèves et de toute la communauté éducative. D’ailleurs plusieurs enseignant•e•s du lycée Joliot-Curie sont en arrêt de travail depuis le 5 septembre choqué•e•s par la violence de la procédure prise à l'encontre de leur collègue, qui loin de ramener la "sérénité" a suscité de vraies souffrances parmi le personnel du lycée.

 

Mais ce que montrent aussi ces courriers, monsieur le Ministre, c’est que les mesures du rectorat de Versailles sont considérées comme des manœuvres pour faire taire un homme qui n’a jamais renié ses convictions et se bat depuis des années pour son lycée, et plus largement pour l’éducation prioritaire. C’est bien le droit syndical et le droit de grève qui sont attaqués ici sous couvert de ramener “la sérénité au lycée”.

 

Si vous ne mettez pas un terme à ces manoeuvres en réintégrant immédiatement et sans condition Kai Terada dans ses fonctions de professeur de mathématiques au lycée Joliot-Curie de Nanterre, monsieur le Ministre, vous donnerez votre aval à une sanction déguisée qui va à l’encontre du principe de non-discrimination tel qu’il est inscrit à l’article L131-1 du code général de la fonction publique et à l’article 6 du titre Ier du statut général des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983) qui disposent qu’ “aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les agents publics en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses”.

 

Nous vous demandons donc, pour ramener “la sérénité au lycée Joliot-Curie”, d’annuler la décision de suspension et de réintégrer immédiatement Kai Terada dans ses fonctions au lycée Joliot-Curie de Nanterre. Il serait aussi décent que les services du rectorat présentent des excuses pour les préjudices subis ces dernières semaines par notre collègue.

 

Comité de soutien à Kai Terada

           

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 22 septembre 2022.

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