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Education cherche politique européenne

Les perspectives soignées, les audaces architecturales, les jardins cachés, le bruit de l’eau, les lattes de bois, les pavés réguliers, les yeux des caméras de surveillance, métallique, vitré, aquatique, réfléchi, beau et froid, le Parque das Nações qui accueillait le forum européen des enseignants innovants pourrait à lui seul symboliser un XXIe siècle de science-fiction, époque où la technologie rendrait en apparence la vie plus belle mais la priverait de sa substance par la soustraction de l’improvisation, de la créativité spontanée. Et puis au cœur du quartier, il y a l’école, bruyante, colorée, dont la conception pensée laisse échapper l’expression individuelle et collective. Bruits de rires, bruits de travail, réalisations des élèves sur les murs, l’école est source de vie.

 

L’école est source d’innovation, d’inventions pour s’adapter aux évolutions de l’époque. A peine la porte fermée, voici que les fenêtres s’entrouvrent sur des savoirs impromptus des connaissances accessibles par un écran, petit ou grand. Pour tous ? Non et Bruce Dixon l’a rappelé lors d’une conférence, le numérique est encore une chimère pour nombre d’élèves partout dans le monde, un univers impossible à explorer faute de réseau, de matériel, de moyens, de pédagogie appropriée. Cette zone blanche ou grise, comment la conquérir ? La question reste posée par temps de crise. Les moyens publics en décrue laissent s’accroitre les différences, les inégalités. Et là, ce ne sont pas uniquement les infrastructures, les équipements qui font défaut. La formation des enseignants s’avère insuffisante lorsqu’il s’agit de faire évoluer ses pratiques dans un univers scolaire qui voit en son sein émerger les particularités et risque l’obsolescence à chaque offensive de la technologie.

 

Krsiten Weatherby, analyste à l’Ocde a présenté lors du forum l’enquête TALIS qui s’intéresse à « l’environnement de l’apprentissage et aux conditions de travail des enseignants dans les établissements scolaires. ». L’étude, menée en 2008 auprès de 24 pays, dont ne faisait pas partie la France, s’est intéressée à plusieurs facteurs dont la formation continue des enseignants, leur évaluation et la gestion des établissements. Ses conclusions sont sans surprise. « Une pédagogie et des enseignants efficaces sont des facteurs indispensables à la formation d’élèves de haut niveau. » Le sentiment d’efficacité des enseignants est directement corrélé à la possibilité de se former et au regard porté sur leur travail. Plus que le mode de gestion de l’établissement, c’est donc la professionnalisation des enseignants qui favorise un enseignement adapté à l’acquisition des compétences du XXIe siècle.

 

Là encore, Bruce Dixon apporte son éclairage. Pour lui, l’accès aux compétences clés du XXIe siècle passe par une consommation critique de l’information et par une construction sociale des savoirs en se nourrissant des savoirs des autres. La publication en ligne rend l’écrit attractif, rénove l’écriture. On publie pour partager, pour être lu, on construit en écrivant dans une exigence de qualité que le regard des autres impose. L’école doit admettre que la connaissance est accessible également en dehors d’elle, parallèlement à son action. Dans ce contexte, le rôle de l’enseignant est primordial. Il doit donner les clés pour décrypter la véracité de l’information, permettre sa transformation en savoir. Les outils changent, apparaissent, disparaissent, se substituent les uns aux autres. C’est aux usages qu’il faut s’intéresser.

 

Confrontés aux panneaux des projets présentés à Lisbonne, les propos de Bruce Dixon sonnent comme une évidence. La publication, la collaboration dans la classe et avec l’extérieur, la combinaison d’outils pour favoriser les usages, la mise en activité des élèves, les ingrédients se retrouvent peu ou prou dans les 80 projets exposés. Un regard rétrospectif sur les forums des enseignants innovants souligne cette convergence progressive vers des pratiques pédagogiques où la construction des savoirs par les élèves est nettement favorisée. De la Serbie au Danemark, de l’Irlande à la Grèce, du Portugal à l’Azerbaïdjan, les principes sont partagés et les interprétations varient. Car convergence ne signifie pas uniformité. L’emprise des systèmes éducatifs nationaux, des référentiels et des modes d’évaluation différents, des politiques publiques éducatives et des investissements reste réel. Alors on s’interroge, l’école du XXIe siècle peut elle se construire par la seule volonté des enseignants, par une innovation sporadique animée par une prise de conscience, une motivation d’un enseignant ou d’un petit groupe de profs à faire évoluer le système ?

 

En temps de crise, l’école peut apparaître comme une danseuse coûteuse et les efforts produits par un pays stoppés nets par la diète budgétaire. C’est le cas du Portugal où aux investissements conséquents succède un régime drastique laissant peu de chance à l’innovation de se développer. Lorsqu’on voit son salaire baisser brutalement, de 15% au Portugal, de 30% en Grèce, comment trouver l’énergie de continuer à innover ? Pourtant les enseignants de ces deux pays présents au forum continuent à y croire, continuent encore ne serait ce que pour l’avenir de leurs élèves. Matthieu Robert, enseignant de sciences physiques au collège de Clamecy, trouve dans son contexte local, rural et économiquement en crise, une source de motivation pour son projet. Développer un projet ambitieux avec des élèves parfois fatalistes quant à leu devenir, permet de changer les perspectives de montrer qu’eux aussi peuvent être de plain pied dans l’innovation, produire des contenus performants et regardés avec considération par d’autres. Il enseigne dans un petit établissement dirigé par un principal qui soutient ses initiatives, pour lui deux atouts qui permettent de compenser un éloignement vis-à-vis du niveau académique. C’est vrai, en regardant tous ces profs rassemblés en huis clos au bord du Tage, on sent toute la fragilité de ce qu’est l’innovation pédagogique, toute l’énergie pour lui permettre d’émerger dans un isolement parfois criant.

 

Les projets présentés ne sont qu’un échantillon de ce que l’école peut produire de meilleur dans une pédagogie qui sait tirer des technologies les moyens de transmettre aux élèves le goût et les voies de l’apprentissage. On aimerait que ces initiatives nourrissent aussi les politiques publiques, qu’enfin la politique en matière d’éducation quitte son caractère descendant pour se mettre aussi au diapason du XXIe siècle. En échangeant avec tous ces profs, on rêve qu’en France, la construction de l’école soit continue et collaborative, que le terme innovation pédagogique ne soit pas galvaudé, récupéré pour masquer l’inadéquation entre les directives, les réformes inspirées d’une école d’autrefois et la pédagogie nécessaire pour accompagner les élèves dans leur diversité vers un futur, vers un présent. La clé réside dans la construction collective des savoirs nourrie par des sources diverses qu’il s’agit de discerner. Notre système éducatif est il en passe de nous la donner ?

 

Le forum de l’innovation pédagogique était européen et cette dimension territoriale est bonne à rappeler. Les échanges entre pays au travers des programmes Comenius et autres e-twining offrent un bol d’air aux projets, une ouverture salutaire pour enrichir les horizons. Le forum de l’innovation pédagogique était organisé par Microsoft dans le cadre de son programme Partners In Learning. Et de cela aussi, il était question dans les discussions. L’éducation est un enjeu qui dans les périodes de difficultés financières est passablement délaissé par les gouvernements. Doit on se résoudre à voir le privé investir massivement l’école pour qu’elle puisse vivre et évoluer ? Microsoft est sans doute la plus voyante firme dans ce type d’entreprise mais elle n’est pas la seule. Apple a lancé une plateforme de contenus, les fabricants de TBI et autres tablettes sont présents aussi. Alors, on se dit tant pis ? Ben non, surtout pas. Et on regarde du côté de l’Europe en espérant qu’émerge enfin une politique commune de l’éducation qui mette l’école à sa juste place : celle d’une cause essentielle pour notre avenir.

Enquête TALIS de l’OCDE

http://www.oecd.org/document/51/0,3746,fr_2649_39263231_40691123_1_1_1_1,00.html

AALF, organisation de Bruce Dixon

http://www.aalf.org/

Belle rencontre dans une école en crise

Aujourd’hui, nous avons visité l’école Vasco de Gama, un bel établissement situé dans le quartier du Parc des Nations, avec sur les murs de jolies mosaïques, un hall lumineux et une architecture favorisant le travail. L’accueil était chaleureux, des gâteaux, des jus de fruits, des enseignants et une direction heureux de nous faire visiter l’école.

 

L’établissement accueille des enfants de 3 à 14 ans, souvent issus de milieu aisé puisque l’immobilier dans le quartier est cher, et ceux qui n’habitent pas là ont leurs parents qui travaillent dans le secteur comme cadres. L’école développe nombre de projets innovants en s’appuyant notamment sur les labtops distribués par l’état dans le cadre du programme Magalhès. Au CDI des élèves jouent sur ordinateur, certains sont sur leur page Facebook, d’autres sont rassemblés autour d’une vidéo. Dans la salle de technologie, six élèves s’entrainent avec leurs robots construits en Légo, ils préparent une rencontre avec d’autres écoles. On entend des rires venant d’une autre salle de classe. Un petit groupe d’élèves joue avec des dés et des pierres colorées. Ils sont en soutien de maths. Leurs camarades de classe sont en cours un étage en dessous.

Un peu plus loin, une classe de primaire s’exerce à dessiner des mots et des personnages sur Excel à partir des coordonnées fournies par l’enseignant. Chacun utilise son labtop personnel et tous suivent les indications et les progressions sur le TBI. L’enseignant nous explique un des travaux réalisés : à partir d’images et de phrases piochées sur des cartes, les élèves ont conçu un conte illustré par leurs dessins et ont ensuite réalisé un montage vidéo. L’accompagnement est important aussi. Chaque classe a un coordonateur qui consacre une heure par semaine à recevoir les élèves, à voir avec eux leurs éventuelles difficultés et une autre heure pour recevoir les parents qui le souhaitent.

 

Candida Rosa, enseignante en anglais, nous sert de guide. Le groupe s’étire dans les couloirs mais se rassemble pour regarder l’innovation pédagogique mise en œuvre dans un autre pays que le leur, un autre système, des moyens différents. A la fin de la visite, Jérôme Staub et Elsa Lemoine m’accompagnent pour dialoguer avec Candida. L’école est belle, les pratiques sont là mais la crise a du passer ici comme ailleurs au Portugal.

Candida Rosa nous explique posément que oui, ici aussi les effets de la crise se font sentir. Certains parents quittent le quartier devenu trop cher. Son salaire comme ceux de tous les enseignants a diminué brutalement de 15%, rendant la vie difficile et tout projet impossible. La mesure a été brutale. Partout au Portugal, des classes et des postes ont été supprimés y compris ceux destinés à l’aide aux élèves handicapés. A l’école Vasco de Gama, un élève trisomique ne reçoit plus d’accompagnement spécifique pour sa scolarité. Il est dans la classe se sentant isolé des autres puisque face à des savoirs désormais inaccessibles pour lui. Candida nous précise qu’elle ne fait pas de politique mais elle ne comprend pas pourquoi des sommes ont été englouties dans des programmes de construction qui ne se justifiaient pas. Des écoles ont par exemple été construites pour être fermées peu après, d’autres ont fait l’objet de rénovations sans objet. Et puis il y a toutes ces dépenses somptuaires qui amènent un pays au bord de la faillite, avec une dette que chaque citoyen est sommé de rembourser. Pour elle le Portugal est un petit et pauvre pays, les ambitions ont été démesurées et c’est ce que tout le monde paye aujourd’hui.

Sur le seuil de la porte, Candida nous embrasse.. Nous avons envie de lui dire que son école est belle et que ce que nous y avons vu ne disparaitra pas : une envie d’enseigner et d’apprendre, un bonheur à partager. Mais ces mots nous semblent faibles au regard de l’émotion que nous percevons. Alors nous partons en nous disant à bientôt.

Bem-vindo a Lisboa

L’endroit est splendide quoiqu’un peu désincarné, une pincée de modernité architecturale au bord de l’Océan, un vestige entretenu des splendeurs de l’exposition universelle de 1998, le PIL se déroule au FIL, dans les modernes perspectives du Parque das Nações.

Pour ce forum, l’Europe est conviée dans une acception large, de l’Italie à l’Azerbaïdjan, du Kosovo à la Norvège. Lisbonne désignée capitale de l’innovation pédagogique ouvre plus grands ses bras que le drapeau européen. Ville de voyages, ce que le métissage éducatif dans une ville en crise donnera comme couleurs, on a hâte de le voir : une teinte technologique, une dominante pédagogique, une ouverture ou un retour vers l’académique. Les forums internationaux ont cette utilité aussi : traquer au revers des affichages standardisés, la note unanime ou la touche originale, ce qui fait sens commun et ce qui se démarque.

L’Europe définit une politique éducative, bonnes intentions, bonnes pratiques, un programme communautaire qui en définitive imprègne encore faiblement les politiques nationales. Les enseignants inventent t’ils cette internationale éducative où les principes de base favoriseraient les interprétations locales Dans les innovations présentées par les enseignants au forum européen partners in learning, sans doute lirons nous des solutions trouvées pour bâtir le futur, architectures audacieuses pour favoriser les apprentissages.

Et puis lorsqu’on quitte le Parque das Nações, belle vitrine d’un rêve d’expansion, les pas nous mènent vers le vieux Lisbonne, ses rues où l’histoire se lit et où les murs reflètent les inquiétudes contemporaines. La crise est là affichée dans un appel à la grève nationale le 22 mars. Cette juxtaposition d’une vision futuriste et d’une réalité implacable donne aussi le ton d’une éducation partout en proie aux difficultés de l’époque : à la fois source de l’avenir et victime collatéral de la rigueur budgétaire. Alors, oui, l’endroit est bien choisi, Lisbonne incarne les courants contradictoires auxquels sont soumis les systèmes éducatifs européens.