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Hommage d’une enseignante au Printemps des Poètes 

 

 

A quoi sert le Printemps des Poètes ? En particulier pour les enseignants et les élèves ? Au moment où s’achève l’édition 2014 et pour que la belle aventure continue en 2015, Elisabeth Bruchet, professeure de français dans des collèges de l’Education Prioritaire du département du Rhône, a voulu témoigner de sa « trajectoire enseignante en compagnie du Printemps des Poètes ». Elle raconte les activités que l’opération a impulsées dans les établissements où elle intervenait : des pratiques jusque là inédites d’oralisation, de partage, de création … susceptibles de renouveler la pédagogie pour changer un rapport au monde et à la langue.

 

Trajectoires

Je suis professeure de français en collège, dans des établissements de l’Éducation Prioritaire du département du Rhône depuis 1994. Et je travaille avec le Printemps des Poètes depuis 2001.

Certains objecteront peut-être que ce « je » initial augure mal de l'hommage annoncé. Mais la précision qu'apporte son sous-titre à ce texte et à son projet est essentielle à mes yeux : témoigner des actions  menées, dire que  le Printemps des Poètes a été pour moi un facilitateur et un accélérateur d'évolution professionnelle sans perdre de vue  le fait  que cette évolution  – comme celle de tout enseignant -  est le résultat de l'imbrication complexe d'un grand nombre de facteurs, parmi lesquels,  un ensemble de valeurs et un projet politique préexistants à mon entrée dans le métier, la rencontre de quelques passeurs, l'action elle-même évidemment.

De 2000 à 2007, j'ai occupé le poste de coordonnatrice REP au Collège Georges Brassens à Décines et très vite, la nécessité d'un projet fédérateur s'inscrivant dans le contrat d'objectifs du REP ainsi que dans les projets des divers établissements du réseau et constituant  un élément de continuité entre ces établissements s'est fait sentir.

Une « commission stage » a été constituée et s'est chargée de concevoir et mettre en œuvre  le stage REP - une action de formation continue annuelle d'une semaine, supprimée il y a quelques années, réunissant des personnels enseignants et non enseignants des premier et second degré de l’Éducation Nationale et des personnels non Éducation Nationale (à Décines : centres sociaux, équipe politique de la Ville, service de Prévention Spécialisée), sur la base d'une problématique commune. Au cours d'un tel stage consacré à l'oral, nous avons pris  la décision de développer une action commune à partir d'un axe « l'oral autour des textes pour lire et dire ». Et c'est  sur le terrain des pratiques artistiques et culturelles, là justement où il est si rare, quoi qu'on en dise,  que l'on raisonne en terme de parcours des élèves, qu'une telle action a vu le jour, a pris de l'ampleur dans notre réseau et obtenu le prix de l'innovation éducative de la Ligue de l'Enseignement en 2006, grâce aux caractéristiques propres du Printemps des Poètes et à la complicité d'un groupuscule d'enthousiastes.

La souplesse des propositions faites aux enseignants par le Printemps des Poètes, leur adaptabilité aux contraintes des individus, à celles, spécifiques, de chaque établissement, au contexte local également en faisaient un terrain particulièrement favorable au développement d'un projet de zone. Loin des projets « prêts-à-porter » conçus par d'autres que les enseignants, dans lesquels le sponsoring - qu'il soit bien intentionné ne change rien au problème - précède, au risque de l'empêcher, la réflexion pédagogique de ceux-mêmes dont l'inventivité est l'une des clés pour trouver des réponses aux problèmes de l’École, les transformant ainsi en exécutants, le Printemps des Poètes offrait à chacun un cadre d'innovation à géométrie variable où il était possible d'inventer sa place selon ses envies et ses disponibilités dans un ensemble d'actions modulables, le tout rattachant adultes, enfants et adolescents à une opération nationale. Car l'intelligence des propositions faites aux enseignants désireux de participer se déclinait - et se décline toujours - non seulement  dans  l'inventivité propre de ces propositions mais aussi et surtout dans  celle qu'elle génère et dans celle dont elle autorise le  renouvellement d'année en année. 

Nous avons donc largement emprunté au dossier  pédagogique du Printemps des Poètes et comme la pédagogie consiste aussi à faire feu de tout bois, à s'emparer de toutes les richesses qui se présentent  pour les faire siennes  nous en avons fait un ouvrage nôtre. Voici quelques exemples de cette déclinaison joyeuse qui s'est poursuivie au fil des années.

 

Un jour, un poème

 « Durant la semaine du Printemps des Poètes, chaque enseignant est invité à ouvrir sa journée par la lecture d'un poème hors de tout commentaire. Des lectures ponctuelles en langue d'origine peuvent être réalisées ».

   Nous  avons exploré les nombreuses possibilités ouvertes par ce principe de la lecture offerte : 

  - lectures quotidiennes dans leur classe par les professeurs des écoles et les professeurs de français du collège qui le souhaitaient, mais aussi par des enseignants d'autres disciplines y compris en langue étrangère (par exemple les professeurs d'espagnol et d'allemand disent  des textes en espagnol et en allemand à tous des élèves de 5ème de l'établissement),

  - lectures par des professeurs du collège en primaire et maternelle, et lectures par des professeurs des écoles élémentaires dans les classes du collège,

  - lecture à deux voix par des enseignants du collège de disciplines différentes, échanges de classes entre des professeurs des écoles et lectures à la cantine.

Très vite cette opération a connu des développements supplémentaires :

  - lectures réalisées par des parents d'élèves, y compris  en  langue d'origine,

  - lectures par  des personnels non enseignants (aide-éducateurs, surveillants, infirmière, assistante sociale, agent d'accueil du collège, personnels de direction)  personnels des centres sociaux, du service de Prévention Spécialisée et personnels municipaux (service Politique de la Ville, Médiathèque).

Au total chaque année, pour ne parler que du  collège, 5 à 6 lectures offertes effectuées par des personnes extérieures, enseignantes ou non enseignantes … pour chacune des 30 classes de l'établissement soit 150 lectures environ, le tout dans une organisation ne laissant rien au hasard. Dans le cadre d'un projet, quel qu'il soit, comme à chaque heure de cours, la rigueur organisationnelle, même si elle ne garantit pas l'atteinte des objectifs fixés, reste un élément déterminant de la réussite. Il y eut donc, entre autres choses, un planning de la semaine à destination exclusive des adultes  annonçant  jour après jour, heure après heure (semaine A semaine B... groupe I, groupe II...) chacune des lectures qui serait faite, chacun des adultes qui entrerait dans la classe ainsi que l'heure exacte à laquelle l'intervention serait réalisée - une feuille de route envoyée à chacun de ces intervenants récapitulant les objectifs et les modalités de cette lecture - un courrier/texte à tous les professeurs principaux du collège pour lecture aux élèves ainsi informés de l'existence du projet d'ensemble sans que pour autant l'effet de surprise de chaque intervention dans les classes et même de certaines actions particulières soit remis en question.

Nous avons fait entrer dans les classes des lecteurs très différents, enseignants ou non enseignants afin  de mettre à l'honneur leurs lectures particulières et la lecture elle-même dans sa dimension à la fois intime et collective. Nous voulions créer, dans un cadre festif, surprenant, dense, voire même effervescent, les conditions d'une écoute susceptible de modifier ou d'enrichir les représentations des élèves sur la poésie et plus largement la littérature. Nous avions d'ailleurs intitulé l'action globale « Le Printemps des textes à Décines » afin de privilégier la relation entretenue par le lecteur avec le texte choisi sans exclure - même si, dans les faits, la poésie occupait une part prépondérante - ceux et celles qui ne fréquentaient pas ce genre littéraire. Au-delà encore, ce sont bien aussi les représentations des élèves sur le patrimoine culturel, la culture scolaire,  les adultes mêmes dont il était question.

Mais les choses ne sont pas limitées à ce qui précède heureusement et  l'imbrication forte des pratiques des adultes et de celles des  élèves, autour du texte littéraire «donné» ou «reçu», «lu/dit» ou «entendu», «relu» parfois quand les élèves décidaient de conserver  le texte laissé  à leur disposition par son lecteur, a caractérisé l'ensemble du projet.

 

Lectures offertes par les élèves

Une conviction  nous animait et s'est peu à peu  affinée, celle qu'en matière de lecture et de compréhension  comme le dit Patrick Laudet « il faut y mettre l'oreille, et y instiller force pantagruélion [..] enrichir le diptyque du Lire-Écrire par celui de l'Écouter-Dire, y mettre aussi la bouche. Contre le nominalisme desséchant des taxinomies de Thomas Diafoirus, c'est ici encore l'invitation de Toinette, le bon médecin, à se mettre à table. À la table de la parole : celle qui remet les mots dans le corps, ou qui les lui redonne. On rêverait d'explications de textes qui laïciseraient le rituel juif de la manducation de la parole, en lui donnant un équivalent sécularisé : la diction des textes à voix haute en est peut-être une forme, ou encore leur possible transposition scénique. Même Nietzche en appelle à la bouche, et à cet art d'une lecture « ruminante » ; en final de son Avant-Propos à la « Généalogie de la morale », il écrit : « Certes, il manque, pour pratiquer cette sorte de lecture comme un art, une chose que l'on s'est ingénié à oublier de nos jours – et c'est pourquoi la « lisibilité » de mes écrits requiert que du temps passe encore -, une chose qui exigerait presque que l'on soit une vache et, en tout cas, pas un « homme moderne » : de ruminer. »[1]

Nous souhaitions proposer aux élèves et à leurs  enseignants un cadre de travail relatif à la lecture, à la compréhension, à la réception et à la production de textes offrant l'opportunité d'une valorisation forte des élèves. Par exemple :

  - lectures préparées et réalisées seul ou à plusieurs voix par des élèves des écoles primaires pour les plus petits y compris en maternelle,

  - organisation dans une école élémentaire d'une action intitulée « Un texte, un lecteur » : des élèves volontaires tirent au sort un texte dont ils préparent la lecture  et le nom d'un lecteur (enfant ou adulte) à qui ils offriront leur lecture,

  - dans une autre école élémentaire du REP rencontre poétique de toute l'école  dans la cour avec offrandes poétiques lues ou dites par les élèves en petits groupes,

  - dans une autre,  organisation de « lectures publiques » de textes écrits par les élèves dans le cadre d'un concours poésie à l'échelle de la circonscription,

  - mise en son et en espace par les élèves  de 4 classes de cycle III des écoles élémentaires du REP de poèmes écrits dans le cadre du concours poésie de la circonscription. Cette action était encadrée par les enseignants, l'intervenante musique de la mairie de Décines et un percussionniste professionnel. Une rencontre entre ces 4 classes, sorte de répétition générale, a été organisée avant que les élèves présentent leur travail dans d'autres écoles hors REP et au collège Brassens. En 2005 par exemple, 50 élèves d'élémentaire sont ainsi intervenus dans 16 classes du collège avec l'aide de parents  qui ont participé à l'encadrement des élèves pendant la demi-journée que chaque classe a passée au collège. La valorisation de ce travail s'est poursuivie par sa présentation à un public d'une trentaine de familles à la Maison des Initiatives du quartier.

  - rencontres poétiques au collège : la totalité des élèves de 6 classes a sélectionné des textes sur le thème de l'année, en a préparé la lecture dans le cadre d'une collaboration entre enseignants de français et professeur documentaliste. Après quoi une heure de cours a été banalisée pour un échange. Des petits groupes mêlant les élèves de ces classes investissaient un lieu, un peu transformé pour l'occasion (une bougie, une nappe...), salle de classe bien sûr, mais aussi loge de l'agent d'accueil, bureau de l'infirmière, salle de réunion... pour que chacun lise ou dise le texte qu'il avait choisi. En 2006, 19 groupes d'élèves (préalablement composés et dont la répartition était portée à la connaissance des élèves par affichage au moment même de leur arrivée), répartis en 19 lieux sélectionnés et préparés,  encadrés par 19 adultes, enseignants ou non, de français ou d'autres disciplines, personnel de l’Éducation Nationale ou d'ailleurs « au clair » sur les modalités et objectifs de ce moment spécifique... ont participé à ces échanges poétiques.

  - une exposition de 150 textes intitulée « Prends mon poème » a eu lieu au collège Brassens à Décines en 2007. Les élèves de 6 classes ont travaillé en ateliers d'écriture et écrit des textes sur le thème. Ils ont ensuite réalisé seuls ou dans le cadre du cours d'arts plastiques des affiches présentant soit leur propre texte soit le texte qu'ils avaient sélectionné pour les rencontres poétiques décrites ci-dessus. Un système de languettes permettait au visiteur de l'exposition installée dans le couloir vie scolaire- CDI - salle des professeurs de prendre un vers, une phrase ou un passage pré-sélectionné et offert par l'auteur de l'affiche. Forts de l'idée que la participation des élèves ne devait pas dépendre exclusivement de l'engagement ou non de leurs enseignants dans l'opération d'ensemble, nous avions «fait le tour» des 24 autres classes afin d'ouvrir à tous la possibilité de contribuer à cette exposition. Du matériel avait pu être mis à disposition des élèves travaillant seuls grâce à un reliquat du prix de la Ligue de l'Enseignement.

 

 Penser un projet collectif

On le voit, la quasi-totalité des actions évoquées ci-dessus concerne des classes entières et non des groupes de volontaires. Ce choix est pour moi un choix éthique, assumé dès mes débuts à l’Éducation Nationale, et qui fut  partagé par le groupe porteur du projet entre 2001 et 2007. Aujourd'hui encore, je continue à regretter que le financement des ateliers de pratique artistique, réservés à des volontaires, soit beaucoup plus important que celui des classes à PAC qui elles, s'adressent à la totalité des élèves inscrits dans une classe. À regretter également, pour avoir entendu plus d'une fois, en salles des professeurs, des remarques qui vont dans le sens d'une sélection de fait des élèves - « il y a des classes avec lesquelles on ne peut pas faire de projet » - que les défaillances dans le domaine de l'éthique professionnelle traduites par ces options aient à voir avec les défaillances institutionnelles sur le terrain de la formation initiale aussi bien que continue. Faisons faire aux publics dits « défavorisés »[2] l'économie du volontariat car l'exigence du  volontariat et de ce qui l'auréole, le choix librement consenti, l'engagement a priori des élèves, relèvent d'une conception individualiste et ultra libérale de l'école. Plusieurs années de compagnonnage avec le Printemps des Poètes, dans le contexte catalyseur de ma fonction de coordonnatrice REP, m'auront permis non seulement d'affermir ma position sur ce point,  de confirmer sa pertinence et sa légitimité mais aussi et surtout d'explorer ce qu'elle  implique :  penser le projet à l'échelle de la classe mais aussi des établissements, du réseau et partant, dans un retour à l'individu, à l'échelle du parcours de chaque élève.  C'est également sur cette base qu'en 2008, arrivant dans un nouveau collège relevant lui aussi de l'Éducation Prioritaire, le collège des Iris à Villeurbanne, j'ai impulsé un nouveau projet « Le Printemps des Poètes en 5ème ». Le contexte  différent ne permettait pas le développement d'une action de réseau de l'envergure de celle menée à Décines. Mais diverses actions ont concouru à une ouverture sur l'environnement du collège, à la définition d'un partenariat avec le théâtre voisin, à la  liaison entre les premier et second degrés et c'est bien une logique de niveau qui a prévalu.

 

BIP et PAC

Une dernière remarque avant de clore l'énumération des actions réalisées à Décines en regrettant d'évoquer si brièvement  malgré leur charge d'émotions et les valeurs fortes qui les sous-tendent, les Brigades d'Intervention Poétique (BIP) réalisées par  les comédiens professionnels : en sept ans nous n'avons déploré aucun incident. Et quand bien même en eussions-nous déploré...

Quand des élèves prennent l'initiative de venir discuter avec des surveillants des textes que ceux-ci ont choisis et lus dans leur classe, quand des parents habitant le quartier d'implantation du collège sont « repérés » dans la rue par des enfants de l'école élémentaire et là encore interpellés à propos de leurs textes, quand des élèves s'expriment ainsi : «...nous avons lu à des CM1, ils nous ont écouté bouche-bée et ils en ont demandé encore. Nous sommes partis fiers...» « j'ai appris plein de choses et surtout à être contente de ce que l'on fait et que ce soit un plaisir de lire devant d'autres élèves...» « quand je suis allé dire des textes chez les petits j'avais la classe et j'étais content »..., quand on constate des effets inattendus liés au  recul de l’anonymat, on peut, loin de l'optimisme de bon ton  qui assigne les esprits critiques à un insupportable pessimisme, revendiquer un optimisme de la détermination. 

Et pour finir véritablement :

  * une classe à PAC au collège : en tant que professeure de français, j'ai proposé à une classe de 5ème,  à Décines, pendant plusieurs années, un projet intitulé « Devenir acteur avec les acteurs pendant le Printemps des Poètes » associant pratique artistique et pratique culturelle. Dans ce cadre, les élèves ont préparé en classe et en atelier théâtre des interventions sous la forme de BIP qui selon les années, le projet lui-même et les spécificités du partenaire artistique  ont  pris diverses formes : mises en voix et en espace de textes lus ou dits dans les classes du collège, celles d'écoles élémentaires du réseau, dans divers lieux du collège  (le CDI,  la permanence, le  bureau du chef d'établissement ou du CPE...), dans les classes de l'autre collège de la ville, mais aussi au domicile d'habitants du quartier, dans les maisons de retraite de la commune. La classe entière a participé en 2006 à une déambulation avec les adultes professionnels et non professionnels de la Fanfare à Mains Nues, orchestre vocal de la Compagnie Traction Avant, dans deux écoles du REP... A partir de 2008, à Villeurbanne, j'ai continué à travailler avec le Printemps des Poètes, dans des classes de 5ème qu'elles soient ou non des classes à PAC.

 

Maturation de choix pédagogiques

Il n'existe pas de principe explicatif unique en matière d'éducation, le Printemps des Poètes n'est donc pas le principe explicatif exclusif des choix professionnels que j'ai peu à peu  affirmés.  Mais il est clair qu'il a été pour moi un terrain d'exercice privilégié pour  la clarification,  la maturation de certains choix,  le passage de l'intuition à l'action, puis de  l'action au  retour réflexif sur cette action. On pourrait objecter que tout projet artistique ou culturel aurait produit le même résultat et j'en conviens... partiellement. Les formulations évaluatives du type « Enseignant(e) investi(e) » censées mettre en évidence « le mérite »[3] personnel de ceux et celles qui sont engagés  dans ces projets inscrivent dans l'ordre de la volonté individuelle ce qui relève de la professionnalité. Or, le développement d'actions culturelles et artistiques, quelle qu'en soit la dominante, littéraire, scientifique, historique, technologique ne devrait pas relever de l'investissement facultatif. Il ne devrait pas non plus être renvoyé à la  « pédagogie du détour » - qui ne se résume pas à cela, certes -  quand celle-ci est  perçue comme une voie secondaire avec toute la charge dévalorisante que la gangrène de l'élitisme distille dans notre institution. En réalité, il relève d'une nécessité impérieuse  car c'est une voie royale pour permettre aux élèves d'accéder aux enjeux des savoirs enseignés à l'école.

 

Regarder autrement la poésie

Il est donc temps ici d'en revenir à la poésie. J'ai été en début de carrière une enseignante comme il en existe beaucoup, peu à l'aise avec l'enseignement de la poésie. En cheminant avec le Printemps des Poètes, ma relation personnelle à la poésie et la façon dont j'ai appréhendé son enseignement ont évolué de concert.

Entre mes premières séquences et mes dernières expériences, l'objectif central de la séquence s'est progressivement clarifié, a cessé d'être une tentative de définition de la poésie au profit d'une mise en question de ce que la poésie peut être. J'ai considérablement élargi le répertoire des textes que j'ai proposés aux élèves,  j'ai compris que les limites que je fixais à  cette extension était, le  plus souvent, les miennes, qu'avoir la prétention de faire évoluer les représentations des élèves si souvent encombrées de considérations trop exclusivement formelles - la faute à qui ? - supposait que le choix des textes lui-même  reflète le plus largement la diversité du genre poétique. J'ai été et je me suis initiée à la pratique des ateliers d'écriture,  je suis passée dans ma pratique de professeure de français « des stéréotypes de la récitation et de l'explication de texte » à «des activités multiples et coexistantes autour de la lecture, de l'oralisation et de l'écriture  de poèmes en alliant toujours appropriation individuelle et partage collectif»[4]. Le tout dans un maillage serré d'écrits intermédiaires : écrire individuellement pour se demander si et en quoi les textes proposés sont des poèmes - pour l'un de ces textes, débattre puis écrire pour construire une réponse argumentée et aussi complète que possible à la même question, et le faire en petits groupes hétérogènes devenant, au profit du reste de la classe, « spécialistes » de ces textes - écrire à la suite d'un atelier théâtre pour tenir un carnet de bord du projet et ajouter à sa compréhension du texte les éléments apportés par la pratique théâtrale... -  pour qu'en définitive  les enjeux profonds, la particularité du rapport à la langue et à la compréhension initié par la poésie,  soit explicitement placé  au cœur de la séquence et du  projet.

  Le dernier mot à Jean-Pierre Siméon, ce n'est que justice : « Il faut une coexistence immédiate de la nécessité de la norme et de la nécessité parallèle de l'aptitude à la transgression de la norme. Quand cette transgression est consciente, elle est force de pensée. Elle tient en éveil des consciences critiques et inquiètes où le questionnement est au cœur de la pensée. »

  De quelle place plus belle, plus valorisante les professeurs de français pourraient-ils bien rêver ? A plus forte raison s'ils partagent cet autre postulat : « La revendication de la complexité pour tous est politique. Les poètes revendiquent la complexité jubilatoire de la langue ; montrer qu'une autre langue est possible est un geste politique. » [5]

 

Elisabeth Bruchet

 

 (Titre, bandeau, intertitre sont de la rédaction)

 

 Le site du Printemps des poètes :

http://www.printempsdespoetes.com/

Un répertoire d’actions proposées par le Printemps des poètes :

http://www.printempsdespoetes.com/pjs/PJ518_Repertoire_actions_13_14.pdf

Le printemps des poètes 2014 dans le Café pédagogique :

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/03/07032014Article635297730460513035.aspx

 

 



[1]     «L'explication de texte littéraire : un exercice à revivifier.» Eduscol, ressources pour le lycée général et  technologique. Intervention de Patrick Laudet, inspecteur général de l'éducation  nationale, groupe de Lettres, en   séminaire national. Juin 2011

[2]     A propos de ce terme voir le « Petit abécédaire des calamités surgissantes et/ou persistantes à l'éducation nationale » Le Café Pédagogique du mardi 1er mars 2011 :

        http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/02/01_ABCDaireCalamites.aspx

[3]     Ce terme fait lui aussi l'objet d'une rubrique  dans le « Petit abécédaire... »  déjà cité.

[4]     « Vitamine P », Jean-Pierre Siméon

[5]     idem

Sur le site du Café
Par fsolliec , le lundi 24 mars 2014.

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