Formation : des textes qui ne passent pas 

Par François Jarraud



Le CSE paralysé, une large unité syndicale contre les choix gouvernementaux, des textes qui fleurent bon le bricolage et la rafistolage : la formation des enseignants revue Darcos – Chatel serait-elle un remarquable exemple de mal gouvernance ?


Acte I : Le CSE paralysé par le refus des syndicats

Prévu le 6 mai 2010, le Conseil supérieur de l'éducation devait étudier une circulaire sur les compétences à acquérir par les futurs professeurs. Suite au boycott de la Fsu, du Sgen, de la Fep, du Se-Unsa, de la Fcpe et de l'UNL, la réunion a été reportée.


"L’objet du litige", nous confie l'intersyndicale Sgen – Fep – Se-Unsa, Unsa Education, "est la présentation par le Ministre de l’Education nationale d’un arrêté et d’une circulaire sur les compétences à acquérir par les professeurs, les documentalistes et les conseillers principaux d’éducation au cours de leur  formation… Cet arrêté abroge l’arrêté du 19 décembre 2006 qui, lui, définissait le cahier des charges de la formation des maîtres en IUFM. Par la circulaire, le Ministre renvoie vers les Recteurs et Inspecteurs d’académie la mise en œuvre de l’essentiel de cette formation avec l’organisation de l’année de stage. Il n’y a aucun cadrage de cette formation, ni cahier des charges, ce qui est la porte ouverte à toutes les dérives et inégalités de traitement des futurs enseignants en fonction des volontés et possibilités des académies". L'intersyndicale proteste aussi contre l'organisation de l'année de stage. "N’est-ce pas mettre nos futurs collègues dans les pires conditions d’apprentissage de leur métier que de leur demander, d’assurer un service à temps complet devant élèves et de se former sur leur temps personnel?"


Du coté de la Fsu, on estime que "la suppression du cahier des charges confirme l’éclatement du cadre national de la formation et le renvoi aux académies et départements d'une part importante de la formation après le concours."


Acte II : Un texte rejeté

Réuni le 12 mai, le Conseil supérieur de l'éducation a rejeté le référentiel de compétences proposé par le ministère (24 contre et 2 pour) et la circulaire d'application par 36 contre et 2 pour.


Acte III : Nouveau boycott le 20 mai

Convoqué pour examiner la réforme du recrutement des enseignants, le Comité Technique Paritaire du 20 mai se tiendra sans la FSU , annonce l'organisation. Evoquant " une réforme chaque jour plus dramatique pour les élèves, pour le système éducatif et pour les personnels", la FSU manifeste son soutien son opposition à cette réforme. " Elle rappelle sa demande du maintien des IUFM et de conditions de l’année de stagiaires qui permettent une véritable formation en alternance." Le syndicat soulève également le refus du ministère de mettre à l'ordre du jour la question des personnels non titulaires.


Acte IV : Des conditions d'affectation déroutantes

" Ce n’est pas avec la maigre réévaluation des débuts de carrière que les frais générés par un double déménagement pourront être aisément supportés par les nouveaux recrutés". Le Sgen-Cfdt dénonce dans un communiqué le système de nomination des nouveaux enseignants. Ils seront affectés selon une double procédure : dans une académie d'abord avant le 1er aout, puis au mouvement national en mars.


Les lauréats 2010 des concours de recrutement du second degré (agrégés, certifiés, PLP et CPE) devront être affectés dans une académie avant le 1er août pour y effectuer leur stage. " Pour des raisons obscures, et sans doute à la demande de certaines organisations syndicales", souligne le Sgen, le ministère a maintenu ce double mouvement, alors que plus rien ne le justifie". Le Sgen estime que "cette réforme n'aura rien apporté de bon !"

Communiqué

http://www.fsu.fr/spip.php?article2284

La procédure d'affectation

http://www.education.gouv.fr/cid51298/menh1006434n.html

Communiqué

http://www.cfdt.fr/rewrite/article/26091/actualites/masterisat[...]


Journée d'action de la FSU contre la réforme de la formation

En dénonçant "1,5 millions d'élèves cobayes", la FSU souhaitait jeudi 20 mai mobiliser autour d'une journée d'action contre la réforme de la formation. Pour elle, il s'agit de revenir à une année de stage qui renforce la professionnalisation.


"Le changement brutal c'est que les professeurs formés en 2010 vont se retrouver en pleine responsabilité à la rentrée", nous confie Gilles MOindrot, secrétaire général du Snuipp. Dans le 1er degré ils seront affectés en surnombre durant deux mois. Dans le second degré ils seront directement mis en classe. "La formation comportera de grandes différences selon les universités. Des points comme l'apprentissage de la lecture, de l'enseignement en maternelle, seront traités dans des conditions très différentes".


La FSU conteste également le compagnonnage imaginé par le gouvernement. "Il pousse à l'imitation",déplore G MOindrot, " au lieu de permettre une véritable réflexion sur les gestes professionnels".  Pour lui la situation actuelle résulte à la fois du souci de récupérer des postes (9 000 précisément) mais aussi d'une certaine conception du métier par le ministère.


Voulue par la FSU qui souhaitait la masterisation, les conditions de sa mise en place ne la satisfait pas. Unis sur la question de la stagiairisation, on perçoit encore des visions différentes entre le Snes et le Snuipp sur ce qu'elle devrait être et la professionnalisation. Jeudi 20 mai des actions ont eu lieu dans une cinquantaine de départements.

Dossier formation

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/ReformeFormation.aspx



Analyse : Jean-Louis Auduc : Une réforme irresponsable

"Le ministre de l’éducation nationale va-t-il enfin « agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » ?" interroge Jean-Louis Auduc, directeur adjoint d'IUFM. La suppression de tout cadrage national de la formation des enseignants, les flous dans les textes officiels, montrent que la question de la formation  des enseignants est traitée de façon indigne. "Alors que des évolutions apparaissent nécessaires à tous les niveaux du système éducatif pour l’améliorer", souligne JL Auduc, "ce n’est pas une génération d’enseignants parée pour répondre aux enjeux qui s’annonce, mais une génération d’enseignants sacrifiée dans leur formation par souci d’économies  à court terme"



Le ministre de l’éducation nationale va-t-il enfin « agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » ?


Les épreuves orales d’admission des futurs concours de recrutement d’enseignants comportent une épreuve, d’ailleurs contestée, visant à vérifier que le futur enseignant possède bien la compétence  n°1 des dix compétences professionnelles de décembre 2006 : « Agir en fonctionnaire de l'Etat et de façon éthique et responsable ».


Au vu de ses prises de décisions et de son comportement actuel, il est clair qu’il serait impossible de valider au ministre de l’éducation nationale cette compétence qui comprend notamment parmi ses connaissances, capacités, attitudes : « Connaître les grands principes du droit de la fonction publique et du code de l’éducation ; respecter et faire respecter la personne de chaque élève »…… En effet, ce qui se passe actuellement autour de la formation des enseignants tourne le dos à la plus élémentaire éthique et à la responsabilité dont on doit faire preuve vis-à-vis des étudiants et des élèves.



Un « flou » juridique totalement anormal et irresponsable


Les étudiants qui souhaitent se diriger vers l’exercice du métier enseignant sont aujourd’hui placés dans une situation totalement incompréhensible et où l’on peut se demander si la logique actuelle n’est pas plus proche du camion fou ayant perdu l’usage de ses freins que d’une conduite pensée et responsable. Qu’on en juge !


Les textes réglementaires actuellement publiés et les effets d’annonces du ministère à moins de quatre mois de la rentrée sont totalement contradictoires. Les seuls décrets publiés, ceux du 29 juillet 2009 indique que pourront s’inscrire aux concours de recrutement enseignant: « Les candidats justifiant, à la date de clôture des registres d'inscription, qu'ils sont inscrits en dernière année d'études en vue de l'obtention d'un master ou d'un titre ou diplôme reconnu équivalent par le ministre chargé de l'éducation » Cette formule implique une inscription aux concours  après les inscriptions universitaires en M2, soit vers la fin septembre. Une telle rédaction est absolument contradictoire avec l’organisation d’épreuves du concours, par exemple pour les professeurs des écoles en septembre comme le ministère l’avait indiqué oralement.


Or, à la date du 9 mai, les étudiants et les formateurs  n’ont toujours pas vu publier de textes modifiant les décrets de juillet 2009. Des projets de document avaient circulé avec des dates d’inscription aux concours du 10 mai au 18 juin….. Visiblement, ces dates ne seront pas tenues.


Un tel flou est inadmissible. Comment construire pour deux ans des masters lorsqu’on ignore les textes réglementaires d’application qui s’imposeront à tous.


Autre exemple de l’improvisation et de l’absence de considération des étudiants qui règnent : Pour le concours de professeur des écoles, le ministère avait indiqué à la rentrée 2009 qu’avait été « oublié » dans les décrets de juillet 2009 (ce qui montre le sérieux du suivi du dossier !) parmi les pré-requis indispensables pour l’obtention du concours, le certificat de compétences en informatique et internet (C2i), le certificat de compétences en langues (CLES).  Un projet de texte communiqué aux directeurs d’IUFM indiquait en février 2010 que ces deux compétences seraient « obligatoires » pour être stagiairisé, donc devaient obligatoirement faire partie des contenus du master.


Un des deux textes soumis au CSE du 6 mai (reporté au 12 mai) indique à présent : « des formations débouchant sur l’obtention du certificat en langues (CLES) et du certificat de compétences en informatique  et internet (C2i) seront organisées au bénéfice des stagiaires issus des concours pour lesquels ces pré-requis sont exigés à la date de titularisation. ».


Comment peut-on admettre qu’à quelques mois du démarrage des formations et des éventuelles épreuves d’admissibilité, les textes réglementaires indispensables pour les conditions d’inscriptions au concours ne soient pas sortis ! Une intervention, une annonce du ministre n’est pas un décret ou un arrêté.


La pratique actuelle semble d’ailleurs montrer que le ministère semble souhaiter le moins possible être « contraint »  par les textes. 



Une absence de cadrage national très préjudiciable


On aurait pu attendre d’un arrêté ministériel sur les compétences à acquérir par les futurs enseignants qu’ à l’image des textes précédents d’avril 2002 ou décembre 2006, il prévoit un cadrage précis des horaires et des contenus de formation valables dans toutes les académies ou départements.


Loin de cet objectif, le texte que va examiner le 12 mai le conseil supérieur de l’éducation le 12 mai se contente d’abroger l’arrêté du 19 décembre 2006 et ne prévoit aucun cahier des charges, aucun cadrage en terme de contenus de la formation.


Le CSE n’avait pu se tenir le 6 mai boycotté par la majorité des organisations syndicales et la FCPE, choqués par l’absence total de cadrage pour la future formation des enseignants, ce qui confirme que loin d’une quelconque amélioration de la formation initiale des enseignants, la refonte prévue vise à démolir toute formation professionnelle des enseignants.


La formation initiale des enseignants stagiaires s’appliquera, en effet, en fonction des moyens et des possibilités pouvant exister dans chaque académie ou chaque département. La seule formation professionnelle dont pourront bénéficier les stagiaires en 2010-2011 sera donc liée au potentiel de moyens susceptible d’exister dans chaque académie et chaque département.  Aucun moyen supplémentaire n’est prévu pour l’application de cette circulaire. La réforme de la formation des enseignants montre ici son vrai visage : faire à tout prix des économies budgétaires !



De lourdes conséquences pour certaines académies et certains départements


Cette adaptation aux possibilités locales sans moyens supplémentaires, cette injonction à chaque responsable de se débrouiller avec les moyens disponibles auront de lourdes conséquences.


Il y aura des disparités importantes entre les différentes parties du territoire et les choix effectués seront davantage pilotés par des impératifs de gestion plutôt que par l’intérêt des élèves. En effet, tous les observateurs attentifs du système éducatif le savent, les territoires avec les populations les plus défavorisées sont aussi les zones où il y a le plus de difficultés de remplacement, où dans le premier degré les personnels en ZIL ou en brigades de remplacement sont très insuffisants, où il y a le moins de maîtres formateurs ou de conseillers pédagogiques.


Ce sera donc dans ces départements, ces académies, où faute de moyens suffisants de remplacement adéquats, la formation professionnelle des enseignants risque d’être la plus chaotique,  la plus faible, voire inexistante dans un certain nombre de cas, alors que dans ces territoires la réussite des jeunes nécessiterait des enseignants très bien formés.


On marche sur la tête !!! On tourne ainsi le dos à l’égalité de traitement de tous les élèves dans le service public de l’éducation nationale.


Les deux seuls domaines évoqués dans la circulaire d’accompagnement de l’arrêté sont :

-           conduite de la classe, gestion des situations conflictuelles et des comportements violents ou discriminatoires ;

-           individualisation de l’enseignement.


Ces deux approches sont loin de recouvrir les besoins indispensables à une formation sérieuse d’enseignants.



Enseigner est un métier qui s’apprend.


Cela signifie une vraie gestion de l’alternance. Il est anormal qu’il n’y ait pas de référence, comme dans les textes précédents, à la nécessité d’un travail d’analyses de pratiques. Les moments d’analyse de pratiques sont pourtant des moments décisifs pour que le stagiaire comprenne l’importance d’une posture réflexive, de mise à distance par rapport à ce qu’il a vécu dans sa classe.


L’analyse de pratiques doit permettre au stagiaire de :

-          relier les apprentissages effectués en formation et de les éclairer par une mise en perspective ;

-          se référer aux savoirs constitués pour mieux nommer et comprendre l’expérience de terrain ;

-          faire des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques ;

-          dégager le caractère multiple et hétérogène du métier enseignant.


Il est anormal de ne pas  voir apparaître dans les formations obligatoires :

-          la gestion de la diversité des publics scolaires et notamment de la mixité dans les classes

-          le travail avec les parents d’élèves

-          la psychologie de l’enfant et de l’adolescent.


Encore plus inquiétant et révélateur de la logique de la refonte de la formation initiale des enseignants, la formule dans la circulaire d’application qui indique que « des formations plus individualisées et optionnelles, adaptées au parcours professionnel du stagiaire se déroulant sauf exception hors du temps de service. »


Cela signifie clairement que tout ce qui peut permettre à l’enseignant de mieux s’adapter à sa classe, à ses élèves, de mieux diagnostiquer leurs forces te leurs faiblesses se fera hors du temps de service, comme si quelques recettes généralisantes pouvaient suppléer à une réflexion sur les pratiques pédagogiques les plus appropriées.


Apprendre les gestes professionnels, les gestes du métier, la gestion de la classe et des éventuels conflits, cela ne se résume pas à l’imitation des gestes d’un autre. 

L’organisation de « conférences » comme proposée dans le texte pour modèle de formation peut être un danger si elle devient l’essentiel de la formation, car cela peut :

-          conforter le stagiaire dans ses préjugés, dans ses idées préconçues sur le métier enseignant ;

-          donner une seule vision des réponses à fournir par rapport à une situation sans les confronter avec d’autres réponses possibles ;

-          en fait favoriser le conservatisme des démarches pédagogiques en ne permettant pas de réfléchir sur la pluralité des réponses pédagogiques possibles pour mettre en situation d’apprentissage les élèves.



Est-ce ainsi qu’on améliorera les performances de notre système éducatif ?


Alors que des évolutions apparaissent nécessaires à tous les niveaux du système éducatif pour l’améliorer, ce n’est pas une génération d’enseignants parée pour répondre aux enjeux qui s’annonce, mais une génération d’enseignants sacrifiée dans leur formation par souci d’économies  à court terme et faute d’une véritable ambition pour une formation professionnelle de haut niveau.


Former des enseignants en alternance, c’est les confronter à la  globalité, à la complexité  du métier d’enseignant, donc cela nécessite obligatoirement une approche différenciée, diversifiée. Il s’agit de former et non de formater.


L’enseignant est un concepteur, il n’est pas qu’un simple exécutant, il prend lors de chaque séquence, lors de l’articulation entre les séquences, des dizaines, des centaines de microdécisions. Il n’est pas un simple exécutant d’où l’enjeu d’une véritable démarche réflexive en formation au travers notamment des analyses de pratiques.

Les enseignants débutants prennent aussi quotidiennement de multiples décisions dans d’autres buts que celui de l’enseignement disciplinaire : pour obtenir le calme en classe, pour capter leur attention, pour entretenir leur motivation ou préserver ses propres forces. 



L’enseignant est aussi un aiguilleur. Dans le cas des élèves à besoins éducatifs spécifiques, il a à participer dans le cadre de son cœur de métier au diagnostic de la situation du jeune concerné, mais il n’a pas à donner au jeune et à sa famille l’impression qu’il est en capacité de traiter toutes les situations. Il doit les aiguiller vers les professionnels compétents dans les différents domaines concernés.


Etre enseignant, c’est bien connaître ceux qui peuvent compléter son action. Le partenariat, ce n’est pas se concurrencer, c’est agir en complémentarité, donc bien connaître son cœur de métier et le cœur de métier des professionnels qui peuvent agir pour accompagner le jeune.


La mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences à l’école et au collège, la réforme des lycées, la nécessaire lutte contre l’échec scolaire et l’absentéisme scolaire, tout cela nécessite des enseignants bien préparés à la diversité des pratiques de l’exercice du métier enseignant.


Jean-Louis Auduc


Directeur adjoint d'IUFM


 

Derbiers articles de JL Auduc dans le Café :

Un arrêté en trompe l'œil

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/03/1703[...]

Un texte qui tourne le dos aux besoins

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/03/Form[...]

Deux années pour en arriver là !

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01/Auduc_D[...]


Le dossier formation du Café

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/ReformeFormation.aspx



Sur le site du Café
Par fjarraud , le vendredi 21 mai 2010.

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