La rentrée vue par Luc Chatel 

Climat délétère, rentrée difficile marquée par des manifestations les 6 et 7 septembre mais aussi par la mise en place de réformes, tout pousse à faire le point sur l'Ecole. Le Café l'a fait en publiant le 30 septembre "L'état de l'Ecole", un guide de rentrée qui fait le point et accompagne les enseignants. A l'occasion de la rentrée des enseignants, nous interrogeons Luc Chatel sur ces tensions et les défis de cette rentrée. Philippe Meirieu, Thierry Cadart réagissent aux propos du ministre.



Chatel : "Mieux accompagner les enseignants tout au long de leur carrière"


C’est votre seconde rentrée scolaire comme ministre de l’éducation nationale, mais peut-être la première que vous ayez intégralement préparée. Elle se fait dans un cadre budgétaire strict, avec moins d’emplois et un climat social chargé, avec l’annonce de grèves et manifestations les 6 et 7 septembre. Au moment où les enseignants prennent leur poste, quel message voulez-vous leur adresser ?


J'ai envoyé par Internet ce matin un message aux enseignants accessible sur le site education.gouv.fr . Je sais qu'ils ne font pas ce métier par hasard mais par passion. Mais c'est un métier difficile. Nous devons être à leur côté. Ma conviction, c'est que ce ministère ne s'est pas appuyé sur sa principale ressource, les enseignants. Le devoir du ministre c'est de mieux les accompagner tout au long de leur carrière.


C'est pour cela que je mets en place un pacte de carrière. Il y a d’abord un côté concret qui touche aux rémunérations : 190 000 enseignants sont revalorisés ce 1er septembre et ceux qui débutent sont payés 10% de plus. Ainsi pour les futurs professeurs des écoles et professeurs certifiés, le gain mensuel sera de 157 euros nets par mois et il s’élèvera à 259 euros nets par mois pour les futurs professeurs agrégés. Les enseignants en début de carrière ayant jusqu'à 7 années d'ancienneté sont également concernés : en moyenne 660 euros de gain annuel. C'est un signal fort. Et il y a aussi l'accompagnement en matière de ressources humaines, les entretiens que l'on va mettre en place, le droit individuel à la formation systématisé à la rentrée, le travail sur la prévention des risques et la santé. Je souhaite vraiment valoriser le travail des enseignants et être à la hauteur du gestionnaire des ressources humaines que je dois être.


Aujourd'hui les enseignants ont surtout un sentiment d'isolement


Parce que l'Education nationale les laisse seuls. Elle doit mieux les écouter, mieux les accompagner, leur permettre de se former tout au long de leur carrière. Et offrir des perspectives.


Mais qui va les écouter ?


Dans chaque académie on met en place un système d'entretiens une première fois après 2 ans de carrière et une deuxième entre 40 et 50 ans. Les services des ressources humaines de chaque académie recevront les enseignants et feront avec eux un bilan. Et ensuite apporteront des réponses. Par exemple aider un enseignant à 45 ans à se renforcer ou à évoluer vers un autre métier.


Ils sont assez nombreux pour faire cela ? Jusque là ils n'ont pas réussi à mettre en place les secondes carrières…


J'ai donné des instructions aux recteurs. J'ai visité des DRH ces derniers jours. Ils sont mobilisés pour être à la hauteur de cet enjeu.


Un décret vient de modifier l’évaluation des agents de l’Etat. Quelle va être sa traduction dans l’Education nationale ?


C'est un chantier que j'ai ouvert avec Josette Théophile, la DRH que j’ai recrutée l’an passé. On veut qu'il y ait une part plus grande dans l'évaluation à l'engagement de chaque professeur. Je suis prêt à discuter l'évolution du dispositif. On ouvre ce chantier avec les organisations syndicales. Ce qui est important c'est qu'il y ait un entretien professionnel avec des critères objectifs, connus de tous et donc respectés par tous. Qu'on puisse avoir une évaluation comme dans les grandes entreprises et comme on la met en place dans les administrations.


Ce serait une évaluation faite par le chef d'établissement ?


Tout cela reste ouvert. De plus en plus il faut que les chefs d'établissement s'impliquent dans la gestion des ressources humaines. Si on veut moins d'isolement pour les enseignants, il faut bien qu'il y ait dans l'encadrement des personnels qui s'impliquent. Mais le chef d'établissement ne peut pas non plus être le seul évaluateur du système. On a besoin de l'inspection et de son regard pédagogique.


C'est un peu ce qui existe aujourd'hui


Oui, mais le chef d'établissement doit être l'interlocuteur en matière de relations humaines.


Vos prédécesseurs avaient combattu le « pédagogisme » et récompensé ses ennemis. Vous ne l’avez pas fait. Mais en juillet dernier, vous avez tout d’un coup décidé de diminuer le soutien du ministère à trois mouvements (Icem, Gfen et Crap) dont la notoriété est grande chez les enseignants . Où en est ce dossier ?


La politique de gestion budgétaire de l'éducation nationale est déclinée avec celle de l'ensemble du Gouvernement. Il y a un effort budgétaire qui est demandé par exemple en crédits d'engagement. Je rappelle qu'il y a 60 millions d'euros consacrés aux associations. C'est considérable. Je rappelle aussi que quand je suis arrivé, j'ai voulu donner de la visibilité à ces partenariats avec un accord pluri-annuel avec 8 grandes associations. Considérant les mouvements que vous évoquez, ils ont été reçus par mes collaborateurs. A partir du moment où on réduit les crédits de 10% ça les touche aussi.


Ils parlent d'une réduction de moitié…


On a adapté en fonction des projets des uns et des autres. Je gère les ressources qui me sont affectées, j'essaie de le faire avec discernement et en concertation avec les intéressés.


Une autre différence sensible avec vos prédécesseurs, c’est le fait que vous ayez obtenu des majorités au CSE pour soutenir votre projet de réforme du lycée. Si de nombreux enseignants en partagent la philosophie générale (par exemple le soutien aux élèves, la volonté de mettre davantage de souplesse dans les parcours), l’application concrète dans les établissements suscite aussi des déceptions. Elle se traduit souvent par des conditions de travail aggravées. Suffit-il d’instituer le tutorat ou l’accompagnement pour avoir des tuteurs et des accompagnateurs ? Quels efforts seront faits pour accompagner les enseignants dans cette réforme et pour qu’elle se traduise aussi positivement pour eux ?


Je sais qu'il ne suffit pas de décréter pour que soit mise en œuvre une réforme. Il faut un accompagnement. C'est la raison pour laquelle j'ai mobilisé tous nos corps intermédiaires. J'ai vu tous les chefs d'établissement en novembre dernier. Et ils ont un rôle fondamental pour cette réforme dans la mise en place du conseil pédagogique, l'accompagnement personnalisé, l'affectation des heures dédoublées. Il y a une large initiative qui est locale et mon rôle c'était de leur expliquer la réforme. J'ai réuni les corps d'inspection et chaque recteur l'a fait aussi. Il y a une volonté de ma part d'aller le plus loin possible dans l'accompagnement local de la réforme.


Il y aura un effort de formation des enseignants ?


Dans les réponses académiques de formation on a prévu que l'accompagnement personnalisé soit traité car certains enseignants sont perdus. On a demandé aux recteurs de prévoir des modules de formation pour eux.


Cette année c’est le collège qui devrait faire l’objet des analyses du HCE et peut-être dans la foulée d’une réforme. Avez-vous des éclairages sur les travaux du HCE ? Un calendrier pour une réforme du collège ?


Je n'ai pas encore d'éléments sur ce rapport. J'entends dire qu'il ne se passe rien au collège. Mais ce n'est pas vrai. Il y a des dispositions transversales qui concernent le collège. Par exemple les dispositifs "cours le matin sport l'après-midi", Clair, les internats d'excellence. On a le livret de compétences au collège à cette rentrée. C'est une vraie avancée qui permet de mettre en valeur l'engagement des élèves. L'accompagnement éducatif monte en puissance. Il touche 850 000 élèves. Mais je suis très preneur des propositions du HCE.


S’il est un thème qui domine chaque rentrée c’est celui de la lutte contre l’échec scolaire. Quelles politiques allez vous impulser pour diminuer le nombre de sorties sans qualification ?


La réponse c'est la personnalisation de l'enseignement. Nous avons réussi le défi de la massification. L'école a ouvert ses portes, le pourcentage d'accès au bac a triplé en une génération. Le défi actuel c'est la réussite de chacun. La vérité c'est que ce n'est pas le cas. L'école ne joue pas pleinement son rôle d'égalité des chances. Pour lutter contre l'échec scolaire il faut qu'elle s'adapte à la diversité des élèves. La grande difficulté pour les enseignants c'est l'hétérogénéité. Il faut détecter ceux qui réussissent le mieux et les porter à un niveau d'excellence. C'est la mission de l'école républicaine de permettre l'ascension sociale par l'école. En même temps il ne faut pas laisser ceux qui sont au bord du chemin. Donc il faut s'adapter à la situation de chaque élève. C'est l'aide individualisée au primaire, l'accompagnement dans le secondaire, les stages de remise à niveau (270 000 élèves en ont profité). Pour lutter encore plus en amont il faut très tôt lutter contre l'illettrisme. On va conforter le plan lancé l'année dernière notamment en maternelle. Car quand on arrive en CP, le déterminisme familial est déjà visible. C'est aussi une orientation plus progressive, éviter les couperets. On va à partir de cette année avoir des passerelles, de la réversibilité.


Vous ne croyez pas qu'en ce domaine l'assouplissement de la carte scolaire a aggravé les choses ?


Non. Car selon les chiffres que l'on a, dans un quart des établissements il y a une croissance de la demande. Le système de la carte scolaire produisait des inégalités, il créait des ghettos, aggravés par le contournement. L'assouplissement va se faire progressivement. On va travailler sur ce sujet avec l'enseignement prioritaire. Il faut travailler politique de la ville et politique scolaire en même temps.


Il semble qu'il y ait plusieurs études qui soient bloquées sur ce sujet. Vont-elles sortir ?


Elles ne sont pas bloquées. Mais le sujet est complexe et les clichés sont grands. On a eu des retours positifs sur l'assouplissement avec notamment des taux de satisfaction élevés des élèves boursiers. Il faudra aller plus loin et en articulation avec la politique de la ville.


La Cour des Comptes a plaidé pour un nouveau management de l’Ecole. Quelles suites pensez-vous donner à ces suggestions ?


Quand je différencie la répartition des moyens en fonction des priorités, quand je donne davantage d'autonomie aux établissements dans le cadre du dispositif Clair ou de la réforme du lycée, je suis exactement dans les préconisations de la Cour des Comptes. Le rapport montre qu'il n'y a pas de problème de moyens mais de répartition des moyens. Le problème c'est de mettre les moyens là où on en a besoin. On cite souvent des indicateurs, des moyennes, ça ne veut rien dire. Par exemple la moyenne de 24 élèves par classe ne veut rien dire. Je reçois des lettres de parents qui veulent que leur enfant soit 29ème dans un bon établissement. Inversement dans certains collèges en zone prioritaire 22 élèves c'est un peu trop. Ce qui compte c'est notre capacité à différencier, prioriser, adapter au plus près de la réalité locale.


Des études comme celle de Thomas Pikety ont montré qu'en diminuant le nombre d'élèves on améliore les résultats.


Oui, mais il y a aussi des études qui montrent qu'on ne peut pas faire un lien entre les résultats, le climat scolaire et le nombre d'élèves.


On vous attendait beaucoup sur le terrain des TICE où vous aviez promis un plan d’action. Les conditions semblent réunies après le succès du plan Ecole numérique rurale, le rapport Fourgous, les demandes du HCE. Où en est votre projet ?


Le chantier n'est pas en panne. A cette rentrée il y a des nouveautés. Tous les manuels de 2de sont numériques. Il y a les 6 700 écoles numériques rurales. Il y a la création du site "Ciné lycée" qui est une grande innovation en matière culturelle. Je prépare d'autres mesures audacieuses mais j'ai besoin de les articuler avec les collectivités locales. Or il n'y a pas assez de concertation avec elles. Il y a du matériel acheté qui n'est pas utilisé et des ressources pédagogiques qui cherchent leur matériel. Je suis prêt à faire des propositions ambitieuses sur les ressources pédagogiques et la formation des enseignants. Je les présenterai dans quelques semaines. Mais s'il n'y a pas le troisième volet, celui de l'équipement, financé par les collectivités, ça ne peut pas marcher. Il faut une concertation et je vais recevoir les présidents des 3 associations de collectivités territoriales.


Actuellement les relations avec elles sont mauvaises. Par exemple il y a conflit sur les manuels scolaires, des diagnostics de sécurité faits en les ignorant, du partage des rôles pour la maintenance informatique…


Il y a des sujets sur lesquels une collaboration renforcée est bienvenue. Il y a aussi des postures. Par exemple sur les manuels scolaires, les régions étaient informées des projets gouvernementaux puisque l'ARF est représentée au Conseil supérieur de l'éducation qui a validé la réforme du lycée en décembre 2009... D'ailleurs j'observe que plusieurs régions annoncent qu'elles vont financer la totalité des manuels de seconde. Je souhaite qu’on travaille mieux ensemble, parce qu’au fond, les Régions et l’Etat ont les mêmes ambitions de réussite pour les lycées et les lycéens.


L’été a été marqué par des déclarations gouvernementales sur les Roms ou l’immigration qui ne sont pas bien accueillies par les enseignants. D’autant que le système éducatif connaît déjà bien des discriminations. Ces déclarations vont-elles se traduire en actes dans l’éducation nationale ? Concrètement allez vous renforcer ou diminuer les crédits pour la scolarisation des enfants Roms, qui est bien imparfaite ? Allez-vous revenir sur le droit à la scolarisation des enfants sans papiers et sur la sanctuarisation des établissements scolaires en ce qui concerne les arrestations par la police des sans papiers ?


Il y a un principe républicain intangible qui est que l'Ecole accueille tous les enfants quelle que soit la situation de leurs parents. Même si cet accueil n'a pas d'incidence sur le statut de leur parent. On relève ce défi tous les jours. On accueille tous les enfants.


Des moyens importants sont mis en œuvre. Il y a 36 000 enfants non francophones scolarisés, c'est 2 000 de plus qu'il y a deux ans. Les classes d'accueil des gens du voyage ont augmenté. Il se trouve que j'ai accueilli comme maire cet été le grand rassemblement des tziganes et on a beaucoup parlé de cela. Je vais les recevoir officiellement dans la seconde quinzaine de septembre pour travailler avec eux sur la scolarisation des enfants du voyage. Car il y a les principes mais dans les faits on peut améliorer leur solarisation.



Entretien : François Jarraud


Sur la rentrée :

Le message vidéo de Luc Chatel

http://www.education.gouv.fr/cid53001/rentree-scolai[...]

Le dossier de presse de rentrée

http://www.education.gouv.fr/cid52942/rentree-scol[...]

L'état de l'école – Guide de la rentrée 2010

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages[...]



Pour un débat avec Luc Chatel


La politique Chatel c'est l'impuissance ou l'accompagnement des mourants ? Et vous qu'en pensez-vous ? Le Café pédagogique a publié le 1er septembre 2010 un long entretien avec Luc Chatel. Le ministre exposait sa politique aussi bien en faveur des enseignants que sur l'évolution du système éducatif. Nous avons demandé à un grand spécialiste de l'éducation, Philippe Meirieu, vice-président du Conseil régional Rhône-Alpes, et à un syndicaliste, Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt, un syndicat qui soutient la réforme du lycée mise en place par Luc Chatel, de réagir aux propos du ministre.



L'accompagnement des mourants


Par Philippe Meirieu



“Le ministre ne manque pas de bonnes intentions, mais elles me paraissent bien en décalage avec la réalité de sa politique. C’est fort incongru, même, d’insister tant sur l’accompagnement de la carrière des enseignants au moment où les IUFM sont vidés de leur substance et où la formation des enseignants est décapitée. Que vaut un accompagnement s’il ne s’appuie pas sur une solide formation initiale professionnelle ? Je crains que les dispositifs qu’on nous propose se réduisent à quelques modules de “tenue de classe” et à quelques entretiens avec des “gestionnaires de ressources humaines”. Quand on se souvient des Missions académiques à la formation (MAFPEN) dirigées par des universitaires faisant jeu égal avec les recteurs, on mesure le recul depuis 1981 : le métier d’enseignant n’est plus conçu comme un métier d’expert, de “chercheur en pédagogie”, d’acteur à mobiliser dans des projets collectifs ; c’est devenu un métier d’exécution qu’on gère dans une logique managériale, avec quelques pansements à caractère psychologique et quelques recettes pour ne pas craquer. Tout cela est attristant : on a besoin de souffle face à une situation scolaire de plus en plus tendue. On nous répond par de la technocratie que ceux-là mêmes qui sont chargés de la mettre en place – les inspecteurs – dénoncent aujourd’hui comme une caporalisation insupportable.


Le ministre explique, à juste titre, que le métier est difficile, que l’hétérogénéité des classes est un défi important, mais il ne répond que par des prothèses individuelles, quand il faudrait réfléchir plus globalement sur les conditions du travail collectif, les missions de l’enseignant, les besoins spécifiques d’accompagnement des équipes, en particulier dans les ZEP. Il parle de “personnalisation”, mais cette dernière se traduit par une multiplication de dispositifs de dérivation et non par une vraie pédagogie ambitieuse, comme celle qui avait pu être imaginée avec les cycles à l’école primaire. Il vante le livret de compétences, mais sans aller jusqu’au bout de la logique dont il pourrait être porteur et qui nous amènerait à revoir complètement notre système d’évaluation et de sélection. Il affirme vouloir mettre des moyens là où les besoins sont les plus importants, mais je ne vois pas qu’il envisage un transfert de crédit des classes préparatoires aux grandes écoles vers les ZEP. Il permet aux “bons élèves boursiers” de déroger à la carte scolaire, mais en prenant le risque de laisser des pans entiers de notre institution s’enfoncer dans une crise grave.


Il dit vouloir que l’école républicaine accueille dignement tous les enfants, mais je ne suis pas certain que les professeurs en aient aujourd’hui les moyens. Il fait, en effet, l’impasse sur les réductions drastiques de postes et leur effet de paralysie progressive de l’école. Il est, évidemment, tributaire, ici, de la politique d’un gouvernement qui s’en prend aux fonctionnaires et imagine qu’économiser sur l’éducation permettra de réduire notre dette...


Alors que notre dette en matière éducative creuse la tombe de la démocratie ! En réalité, nous assistons à un déni de la notion même de “service public” : l’école devient une grande entreprise qu’on cherche à “moderniser”. Je crains que, dans cette situation, le fossé entre les enseignants et leur ministère se creuse et que la dépression s’installe dans l’Education nationale. Je ne voudrais pas que l’accompagnement dont parle tant le ministre finisse par être un accompagnement des mourants.”


Philippe Meirieu



Incohérence et impuissance.


Par Thierry Cadart


Monsieur Chatel reprend son discours d'autosatisfaction à vrai dire assez courant chez tous les ministres de l'Education nationale le jour de la rentrée. Les enjeux de communication sont sans doute trop forts ce jour-là pour permettre aux ministres une évaluation objective de leur action. Mais il y a quand même des limites à ne pas dépasser !


 Malgré quelques intuitions justes sur les limites du dialogue social et de la gestion des ressources humaines dans notre administration, malgré des principes mis en œuvre dans le cadre de la réforme des lycées qui permettaient d'avancer vers une meilleure prise en compte des difficultés des élèves, plus de souplesse dans les parcours et plus d'espace pour une mise en œuvre de véritables projets pédagogiques dans les établissements, notre ministre peine à imprimer concrètement sa marque :


- Il n'a pas pu empêcher la mise en œuvre de la désastreuse réforme de la formation initiale et du recrutement des maîtres. Réforme voulue et pensée par son prédécesseur mais aux implications budgétaires très fortes, puisque c'est sur cette réforme que se financent les réductions budgétaires de cette année. De ce fait, faute d'avoir pu ou d'avoir su se défaire de cette contrainte budgétaire gouvernementale et quoi qu'il en pense, Monsieur Chatel a dû procéder à une réforme qui va entièrement à l'encontre de ses « bonnes » intuitions.


Nous contestons l'affirmation du Ministre sur le fait que la réforme en régime de croisière assurera une formation en aval du concours, la date de l'admissibilité et le choix des épreuves de concours encourageant plutôt l'accès au métier par d'autres parcours de formations que les masters enseignement, mais en tout état de cause les jeunes collègues débutant cette année n'ont pas pu bénéficier de cette formation qui n'était pas encore en place. Comment peut-on justifier le fait qu'ils ne bénéficient pas au moins des mêmes efforts de formations que leurs prédécesseurs ? En termes de gestion des ressources humaines, le recours au bizutage généralisé ça paraît curieux quand même ! Et pour mettre en œuvre une réforme du lycée et demain une réforme du système éducatif qui doit s'appuyer sur les compétences pédagogiques des enseignants, comment commencer plus mal qu'en niant la dimension pédagogique et professionnelle dans le bagage nécessaire des futurs enseignants ?


- Il n'aura pas les moyens de mettre en place un véritable accompagnement des collègues en milieu de carrière, un simple entretien ne suffira pas, les personnels d'encadrement doivent être aidés dans cette nouvelle fonction, ils doivent être assez nombreux et formés pour répondre à ce défi.


- Plutôt que de suivre les pistes de travail intéressantes et réfléchies des états généraux sur la violence, qu'il a lui-même convoqués, pistes de travail qui c'est vrai auraient pu se révéler coûteuses dans un premier temps et surtout  contradictoires avec la logique du tout répressif en cours actuellement, il est amené à mettre en avant des mesures chargées symboliquement, le plus souvent inefficaces ou impossibles à mettre en œuvre comme les sanctions automatiques ou l'éloignement des fauteurs de troubles. Il lance une expérimentation (le programme CLAIR) menée sans aucune concertation, qui repose sur des présupposés douteux, mais dont on nous apprend qu'avant même avoir  débuté, elle a vocation à prendre la place de l'éducation prioritaire ! On voit bien la confusion entretenue entre difficulté scolaire et violences et le passage d'une logique de territoire à aider à une logique  d'individus à contrôler.


Luc Chatel aura beaucoup de mal à mobiliser les moyens nécessaires à l'accompagnement de la réforme du lycée, nos demandes de formations sur l'accompagnement personnalisé restent  lettres mortes pour l'instant, la pression sur les suppressions de postes peut par ailleurs amener les collègues à ne pas investir les nouveaux dispositifs.


-Il maintient la politique de suppression de la carte scolaire dont tout indique qu'elle aboutira à un renforcement de la ségrégation sociale.


-Il piétine sur la mise en place du plan numérique parce qu'il sait bien qu'un plan  d'une telle ampleur nécessiterait un effort important, accompagné par les collectivités locales mais dont l'Etat doit prendre sa part, ne serait-ce qu'en termes de formation des personnels.


Au total les personnels et les acteurs de l'Ecole auront bien du mal à déceler le projet éducatif qui est mis en œuvre. Cette politique manque de cohérence et d'ambition, elle n'empêchera pas l'Ecole d'étouffer sous le poids de la contrainte budgétaire.


Permettra-t-elle au moins à l'Ecole d'échapper au délire sécuritaire qui menace notre pays ? Les déclarations du Ministre au Café Pédagogique sur la scolarisation des Roms sont plutôt rassurantes. Il est important que le Ministre, lui-même, réaffirme la vocation de l'École à accueillir tous les élèves quelle que soit la situation de leurs parents.


Mais tous les collègues en charge de ces questions le savent, il ne suffit pas de réaffirmer la volonté d'accueil de l'Ecole, il faut aussi se donner les moyens d'un accueil et d'un accompagnement réussis, qu'est-ce qui nous permettrait de croire que ce sera le cas sur cette mission en particulier, compte tenu de la façon dont toutes les autres missions sont traitées !


Plus largement sur ces questions de discriminations à l'Ecole, et alors qu'un rapport sur cette  question reste bloqué, on ne sait où ni pourquoi, nous demandons au Ministre de se saisir de cette question de façon effective pour déboucher sur un véritable plan d'action.


Au vu de toutes ces contradictions et de ces difficultés à traduire en acte une politique éducative, j'aurais aimé que le Café Pédagogique demande au ministre de l'Education nationale s'il n'a pas envie que le porte-parole du gouvernement puisse annoncer l'arrêt des suppressions de postes pour son ministère ?


Thierry Cadart



Par fjarraud , le vendredi 17 septembre 2010.

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