Le bac est-il donné à tout le monde ?  

Par François Jarraud


 

Jeudi 16 juin , les 466 632 candidats aux bacs généraux et technologiques ouvrent le cycle du baccalauréat par le devoir de philosophie. Le 20 juin ce sera le tour des candidats aux bacs professionnels. Pourtant, chaque année, certains médias glosent sur le taux de réussite de 80%. Il a même atteint 86 % en 2010.  Est-ce à dire que le diplôme est donné à tous ?


Remarquons d'abord que ceux qui tiennent ces propos ont obtenu leur bac à une époque, dans les années 1970, où le taux de réussite oscillait déjà entre 65 et 70%. C'était déjà un taux élevé qui tient à deux raisons. La première c'est que cet examen sanctionne un niveau moyen de fin d'étude. Ce n'est pas un concours. On peut attendre du système éducatif qu'il assure 80% de réussite comme il assure 90% pour les compétences en maths ou français en fin de primaire ou de collège.  Ce taux est d'autant plus facile à attendre qu'en fait la sélection a lieu avant le bac. Ce taux de 80% cache que seulement 66% d'une génération obtient le bac. Un jeune sur trois quitte l'école sans le bac. Ce taux de réussite n'est  pas seulement faible. Il est stable depuis 1995 où déjà on atteignant 63%.


On observe également de forts écarts entre groupes sociaux et sexes. Le taux de réussite au bac est de 90% pour les élèves dont les parents sont cadres, 86% pour les professions intermédiaires, 83% pour les employés et 76% pour des parents ouvriers. On observe également un fort écart entre sexes : 81% des garçons sont reçus contre 85% des filles. Ce taux cache en fait un écart trois fois plus grand : 70% des filles d'une génération seront bachelières contre 58% des garçons.


Trop de diplômés ? Dans l'intérêt général, si on veut avoir par exemple une économie plus compétitive, on devrait plutôt s'inquiéter de la faiblesse de ces taux. Mais il y a une explication à cette attitude malthusienne. Ce qui défrise dans un fort taux de réussite au bac c'est quand même que certains qui n'y arrivaient pas y arrivent. L'élévation du taux de réussite au bac renvoie à sa démocratisation. Ce n'est pas tolérable pour tout le monde... Ceux qui critiquent le bac rêvent peut-être d'un examen d'entrée en université qui garantirait à leurs enfants, seuls capables déjà de payer les frais d'examen, le monopole des études supérieures.


La France a-t-elle davantage de bacheliers que ses voisins ? Dans tous les pays de l'Union européenne, un document certifie la fin de l'enseignement secondaire Selon les statistiques de l'Unesco, le taux brut de diplômés de fin du secondaire s'établit à 51% en France contre 92% en Finlande, 73% aux Etats-Unis, 74% en Italie. Le taux brut de diplômés du supérieur est à 38% en France contre 62% aux Etats-Unis, 74% en Finlande, 55% en Italie.


Faut-il réformer le bac ? Les mêmes critiques font campagne pour une réforme du bac.  A vrai dire ils ont des arguments. Le bac est une machine colossale et couteuse. Or quelques épreuves seulement sont prédictives du résultat pour 90% des candidats. R Apparu, dans son projet de réforme du lycée, avait demandé une simplification du bac. 4 disciplines seulement resteraient matière à contrôle final. Si elle apparaît logique, la réforme proposée semble surtout susceptible d'augmenter l'injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu'au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires. R Apparu ne demande d'ailleurs pas de contrôle continu mais un CCF où les élèves seraient notés par un professeur qui ne serait pas son professeur.


Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu'il coûte à celui qui ne l'a pas. Si en France personne ne s'est attaché à ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs études en ce sens. En 2008, l'Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation, a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu'au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l'économie américaine durant leur vie. Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L'AEE estime également d'autres retombées : "les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d'attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales". L'AEE a pu calculer qu'en poussant tous les Américains jusqu'à la fin des études secondaires, l'Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale.


En 2010, L'OCDE, s'est livrée aussi au calcul de l'investissement dans l'enseignement. "En moyenne dans l’ensemble des pays de l'OCDE, un homme diplômé du supérieur génèrera 119 000 $ de plus en recettes fiscales et en cotisations sociales sur toute sa vie active qu’un diplômé du deuxième cycle du secondaire", estime l'OCDE. "Même après avoir pris en compte les dépenses publiques nécessaires au financement des formations supérieures, les recettes fiscales et les cotisations sociales des diplômés de l’université font de l’enseignement supérieur un bon investissement  sur long terme. Déduction faite du coût des formations supérieures, le gain à long terme pour le Trésor public s’élève en moyenne à 86 000 $ dans la zone OCDE, soit près de trois fois le montant de l’investissement public par étudiant dans l’enseignement supérieur. Les retombées globales sont même plus importantes, dans la mesure où de nombreux avantages liés aux études ne se traduisent pas directement par des recettes fiscales".


Alors comment augmenter la part des bacheliers ? Comment faire ? Ce n'est pas à Neuilly qu'on pourra l'augmenter significativement. Il faut évidemment aller chercher les nouveaux bacheliers là où ils sont : dans les ghettos défavorisés.  Il faut que dès la maternelle, dès deux ans, il y ait un effort important de fait pour ces enfants. Or on sait que la scolarisation à deux ans est en voie d'extinction. Il faut, nous dit T Piketty,  réduire le nombre d'élèves par classe significativement en ZEP. Or, là aussi, on sait que la réduction est marginale. Mieux que la prédiction du résultat à partir de certaines matières, on peut déjà prédire que le taux d'échec ne sera pas le même si l'on est fils de cadre ou d'ouvrier. C'est justement cela qu'il faudrait changer. 

Dossier de presse du bac 2011

http://www.education.gouv.fr/cid56542/baccalaureat-2011.html

Le profit du supérieur OCDE 2010

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2010/115_5.aspx#a2



Sur le site du Café

Par fjarraud , le samedi 25 juin 2011.

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