Quelles représentations du métier enseignant à travers les différents textes ministériels parus en octobre ? 

Directeur d'IUFM, Jean-Louis Auduc montre ici les insuffisances des maquettes des futurs concours de recrutement. Ils oublient la réalité des parcours étudiants et les spécificités des maternelles et des lycées professionnels. Peut-être oublient-ils aussi que "faire cours" ce n'est pas "faire classe".



Que nous apprennent les divers textes publiés à la mi-octobre concernant la formation initiale des enseignants sur le métier enseignant tel qu’il est vu par nos gouvernants ?


La formation proposée s’inscrit-elle enfin dans une formation tout au long du cursus universitaire plutôt que dans l’ancienne formation successive séparant le savoir de la formation professionnelle ?


Les textes ministériels rappellent « les parcours à construire en licence sur les métiers de l’enseignement ».


Ce rappel pourrait être intéressant s’il était en prise sur le réel. Tous le textes donnent à penser que 90% des étudiants se dirigeant vers une licence sont inscrits dans les filières générales des universités où ils peuvent se construire un parcours cohérent. Cette situation, qui était peut-être vraie il y a vingt ans a aujourd’hui totalement disparue. Les textes semblent l’ignorer…. A la rentrée 2007-2008 , seuls 55,6% des bacheliers généraux se sont dirigés vers l’Université ( hors IUT). [1]Les autres se sont dirigés vers les filières sélectives (IUT,STS,CPGE) .Ce chiffre montre la forte chute de l’orientation des bacheliers généraux vers l’Université hors IUT qui était encore de 62,8% en 2003-2004.


Rappelons que 6 lauréats sur 10 d’une licence obtenue en trois ans s’étaient en 2002 inscrits en Licence à l’entrée dans le supérieur. Les autres sont passés par les lycées ou les IUT et ont proportionnellement mieux réussi que ceux des filières générales des universités.


Le fait que les bacheliers généraux « contournent » de plus en plus les deux premières années des filières générales des universités pour d’autres préparations pose donc problème sur la crédibilité de parcours « préprofessionnel » en licence.



Les textes ministériels passent également sous silence un certain nombre de points. Ces silences sont inquiétants :


  • Le métier d’enseignant du professionnel et du technologique s’il fait l’objet d’une petite évocation dans un des textes ne fait l’objet d’aucun développement alors que leur spécificité est importante. Ce métier semble totalement ignoré dans la circulaire sur les masters qui, lorsqu’elle évoque la bidisciplinarité, ne cite à un aucun moment les PLP bivalents comme lettres-histoire, lettres-langues, maths-physique. Le nécessaire parcours spécifique concernant les enseignants des matières techniques et professionnelles n’est absolument pas évoqué. Est-ce que ces enseignants seront encore des enseignants à part entière ? Leur totale absence implique qu’on se pose légitimement la question.
  • L’école maternelle, elle aussi, est la grande absente des textes. Il y a bien l’indication dans l’épreuve de « leçon modèle » que celle-ci pourra concerner une classe de l’école maternelle, mais cela est articulé avec l’indication à trois reprises d’une liaison avec une discipline, alors que les programmes de l’école maternelle évoque des « grands domaines d’activités » et non des disciplines. Cette incohérence interroge. N’est-elle pas le prélude à l’instauration d’un concours spécifique maternelle ?

  • Les accords Lang-Cloupet de 1993 et la création du CAFEP ( Certificat d’aptitude aux fonctions d’enseignement dans les établissements d’enseignement privé du second degré) aux épreuves identiques à celles du CAPES avaient permis de construire un parcours commun dans le second degré à tous les enseignants qui privilégie la laïcité nécessaire des programmes scolaires nationaux.. Rien n’est dit du CAFEP dans les différents documents. Qu’est-ce que cela signifie ? Va t-on rejeter et faire disparaître les collaborations fructueuses construites entre les IUFM et les IFP ( Institut de Formation Pédagogique)?

Ces absences, ces incohérences ne sont pas fortuites. En fait, il y a derrière la logique mise en œuvre par ces textes, un métier enseignant qui se définit comme « faire cours » alors que tout démontre qu’enseigner, c’est « faire classe ».


Faire cours, c’est donner à penser qu’enseigner un savoir, ne nécessite pas de réfléchir sur ceux à qui on l’enseigne.

Ainsi, dans l’épreuve « Connaissance du  système éducatif », on ne juge pas utile d’évoquer les composantes de la communauté scolaire et les partenaires de l’école.


Faire classe, c’est considérer que le cœur du métier d’enseignant, c’est transmettre des savoirs et mettre en apprentissage des élèves en faisant dans la classe des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques permettant de viser la réussite de tous et de chacun.


L’absence d’obligation d’un stage validé pour exercer le métier enseignant s’inscrit également dans cette démarche.

Un stage validé en établissement scolaire aurait pu parfaitement faire partie des pré-requis pour passer le concours.

Il est intéressant de voir comment le stage en établissement est traité dans le document du ministère de l’enseignement supérieur concernant les masters.

La partie concernant les professeurs des écoles indique «  Didactique, psychologie du développement et des apprentissages,…outils pédagogiques et communication,….préparation aux concours et stages ». De telles formulations ne se retrouvent absolument pas dans la partie concernant l’enseignement secondaire. Est-ce à dire que les stages et la pédagogie ne concernent que le premier degré et qu’on peut se retrouver à plein temps en collège sans avoir été une seule fois réfléchi en situation sur le métier qu’on va exercer ?


L’épreuve de « leçon modèle » hors de tout contexte de classe ne pourra que conforter la représentation du métier enseignant comme exclusivement « faire cours ». L’étudiant se retrouvera dans cette épreuve devant des examinateurs qui lui ressembleront et il croira s’il est reçu qu’il sait exercer le métier enseignant.

Le risque existe donc que le jeune enseignant reçu au concours lorsqu’il rencontrera des élèves qui ne lui ressembleront pas et qu’il se trouvera en difficulté pensera que cela vient des élèves et non de ses insuffisances en terme d’approches didactiques et pédagogiques pour gérer efficacement la classe. 



Le « compagnonnage » prévu dans ce cadre risque également de :

-   conforter le stagiaire dans ses préjugés, dans ses idées préconçues sur le métier enseignant ;

-   lui donner une seule vision des réponses à fournir par rapport à une situation sans les confronter avec d’autres réponses possibles ;

-   privilégier l’approche territorial aux dépends d’un cadrage national ;

-   en fait favoriser le conservatisme des démarches pédagogiques en ne permettant pas de réfléchir sur la pluralité des réponses pédagogiques possibles pour mettre en situation d’apprentissage les élèves.


L’enjeu des semaines qui viennent est donc de faire son possible dans tous les IUFM, toutes les universités pour construire des parcours de masters permettant à l’étudiant de saisir ce qu’est effectivement faire classe, qui malgré ce qu’indiquent les épreuves du concours ne se résume pas simplement à faire cours.



 Jean-Louis AUDUC



Sur le Café derniers articles de JL Auduc :

Sur la formation des enseignants

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Filles et garçons dans le système éducatif

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http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2008/Lamixitefuturcombat.aspx

Et le Dossier formation du Café

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/ReformeFormation.aspx




[1] Tous les chiffres cités ici sont extraits de «  Repères et références statistiques 2008 sur les enseignements, la formation et la recherche »

Par fgiroud , le mardi 28 octobre 2008.

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