Jean-Paul Bronckart : « Nous n’avons pas « d’homme nouveau » à construire. » 

BronckartLa conclusion d’un séminaire est toujours un exercice délicat, et il incombe à Jean-Paul Bronckart, un des pères de l’événement avec son compère Bernard Schneuwly, de tenir le défi. Mettant à profit son capital d’expertise pour faire synthétique, sinon unanimité, il attaque par un rubricage panoramique de ce qui constitue le «milieu», concept central de la théorie vigotskienne comme source de contradictions qui peuvent aider le sujet à construire du développement.
Contrairement à ce qu’on pu croire certains courants naturalistes de la psychologie générale, « le milieu n’est pas l’environnement matériel physique. C’est le cadre dans lequel se déploie l’activité des humains ». Quelles en sont les sous-ensembles ?-    L’infrastructure socio-économique, les classes sociales, et la position qu’une personne y occupe.-    Les systèmes de valeurs idéologiques collectives, les représentations mises en scène, véhiculées dans les textes. Ces valeurs sont autonomes par rapport aux infrastructures, parce que les valeurs des signes se fabriquent dans les productions textuelles et se transmettent historiquement dans le capital culturel.-    Le système éducatif d’un Etat
On peut y adjoindre des rubriques plus restreintes :-    la famille, les organisations culturelles, politiques,-    les cadres de l’activité de travail,-    les cadres des systèmes de formation, à la fois au niveau organisationnel et programmatique, mais aussi au niveau fonctionnel des collectifs de travail (le système de formation en est un) : communautés de pratiques, milieux didactiques…
Cette typologie imparfaite amène Bronckart à une question : peut-on distinguer les éléments qui constituent la position de départ, ceux qui constituent des ressources, et ceux à caractère « pro-actif » contribuant au développement des personnes : milieu de travail, famille, système de formation ?

Retour réflexif sur les textes fondateurs et leurs ambiguitésBronckartMais en expert des textes, le linguiste entend ne pas les prendre au pied de la lettre.
Pour Vigotski, explique-t-il, le « nouveau » se produit par le conflit entre l’organisme et le milieu (mais les débats du colloque on montré qu'on pouvait aussi parler de conflit entre interne et interne, ou entre externe et externe) qui suscite une adaptation du sujet dans un cadre « zdpique » (relatif à la zone proximale de développement, ndlr)… Le milieu joue donc un rôle de source, non de cadre.
Mais soupçonné dès 1927 d’idéalisme par le pouvoir soviétique, Vigotski se défend en critiquant la position du « déterminisme unilatéral du milieu sur le développement » qui va s’imposer en URSS.  Il conceptualise l’idée de l’âge pédologique des élèves, qui permette une formation individualisée des élèves.
Bronckart souligne que la formation de « l’homme nouveau » est évidemment présente chez Vigotski. Ne va-t-il pas même jusqu’à écrire en 30 qu’elle va changer le « fondement biologique de l’Homme » ? Dans le texte vigotskien, le terme « personne » n’est jamais vraiment posé comme concept, sans doute pour ne pas être taxé d’idéalisme.

Refuser les raccourcis des « contradictions »« Toutes les contradictions génerent-elles du développement ? Evidemment non. Alors, précisons : contradiction entre quoi et quoi ? »-    Chez l’enfant, entre l’interne et l’externe-    Chez l’adulte, s’agit-il encore de réorganisation des fonctions psychologiques supérieures ? « La centration de Vygotski sur la pédologie est sans doute parce qu’il considère que c’est un laboratoire particulier. Mais a-t-il raison ou tort ?" demande avec ironie le chercheur à son brillant auditoire...

Penser à la lueur du travail reconstruit...Prenant comme « grain d’analyse » un entretien filmé avec des infirmières à l’hôpital, J.-P. Bronckart constate qu’en début d’entretien, les infirmières se posent des questions sur l’utilité du soin (prise de tension, température..). Elles s’interrogent sur la nécessité de refaire plusieurs fois la même chose. Mais elles en reconstruisent progressivement les significations : « il ne faut pas balaliser le moment de soin, c’est dans ces occasions qu’on rencontre le malade »… Elles envisagent le temps du soin avec une autre attention («l’occasion d’entrer en matière avec le malade pour d’autre choses »). Elles passent de l’angle médical à l’angle relationnel. En fin d’entretien, elles parlent de la manière de faire de chacune (« ne pas parler de tout dans le compte-rendu », ne pas faire « Voici »). Elles interrogent le collectif de travail («on a besoin de montrer ce qu’on a fait dans son travail ») et enfin réinterprètent le rôle de l’infirmière, le lien avec les autres métiers, la distance à avoir, le plaisir à retrouver les patients…
BronckartPour le chercheur, cette restructuration des significations du métier, par le biais du collectif de travail, est une forme de dépassement. Dans quelle mesure s’agit-il de développement ? «Nous n’avons que des indices : parce qu’on accroit la compréhension de soi dans l’agir, on attribue de nouvelles significations au travail". Mais ces indices doivent aussi se regarder dans l’action : comment vont agir ces professionnelles à la lueur de la reconstruction orale qu’elles ont fait de leur activité ? « Il faut éviter tout postulat d’immédiateté, tranche Bronckart, décidément modeste. On a un indice de développement potentiel, c’est tout. »

D’ailleurs, c’est avec cette position résolument mesurée qu’il prend la distance nécessaire avec le Texte Fondateur du Maître, dans un propos qui devrait rassurer l’enseignant de terrain face aux nouvelles prescriptions didactiques qui envahissent le quotidien : «Il me semble donc impossible de connaître l’âge « pédologique » de développement. Individualiser l’apprentissage, c’est impossible, et c’est aussi contradictoire avec la position de fond vygotskienne de la place du collectif. En tout état de cause, il n’est sans doute pas urgent de construire un homme nouveau, ni d’entraîner de nouveaux conditionnements…
Le nouveau doit surprendre. Un développement conditionné n’est pas un développement… »

Si ça n'est pas de la conclusion... c'est au moins une ouverture pour le prochain rendez-vous du séminaire. A suivre !

Par COFFEEASSO\ppicard3 , le samedi 01 novembre 2008.

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