Masculin et féminin : le manifeste 

7 novembre 2017 : 313 enseignant•es publient un manifeste. Ils s’y engagent à ne plus enseigner la règle grammaticale selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin ». Explications ? Cette « règle scélérate », récente, peut être facilement remplacée, par exemple  par la règle de proximité qui a longtemps été d’usage en français, à l’instar du latin. Cette « règle scélérate », idéologique, a été édictée au XVIIème siècle pour asseoir dans la langue la hiérarchie des sexes. Cette « règle scélérate », institutionnalisée, contribue à faire du sexisme la norme, linguistique, scolaire, sociale. Les signataires du manifeste appellent chacun•e à les rejoindre pour participer au changement des pratiques et des mentalités. Voici le texte du manifeste …

« Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle », écrivait Racine en 1691. Et si tel redevenait désormais le bon usage ? Plusieurs centaines d’enseignant•es annoncent ne plus vouloir transmettre la règle selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin ». Et privilégier la règle de proximité, qui dominait depuis le latin jusqu’au français du 17ème siècle. Voici témoignages et explications depuis le lieu où se construisent nos usages des mots et du monde : depuis l’Ecole. On y verra combien ces 10 professeur•es signataires du manifeste aiment le français. Au point de l’enseigner chaque jour. Au point de considérer qu’il s’agit d’une langue toujours vivante, donc en constante et nécessaire évolution. Au point de percevoir combien la langue détermine notre représentation du réel et notre relation aux autres. Au point d’amener les élèves à réfléchir sur ce qu’est la langue, « à la fois une institution sociale et un système de valeurs » (Barthes).

« Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », stipulait le grammairien Beauzée en 1767. C’est bien pour fortifier la domination des hommes sur les femmes qu’a été édictée la règle grammaticale selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin. Une telle vision du monde est-elle encore acceptable ? En ce cas, n’est-il pas indispensable d’abandonner la règle qui depuis des décennies  l’institue dans l’esprit des élèves? Présidente de l’Association Française pour l’Enseignement du Français (AFEF), Viviane Youx éclaire son soutien au manifeste aujourd’hui lancé. Une telle évolution lui parait facile à mettre en place pour « lutter contre le sexisme linguistique » qui passe par l’Ecole. Et par là, chaque enseignant•e de français est aussi amené•e à réfléchir sur les contenus et le sens même de l’enseignement dispensé.

Le 7 novembre, 314 professeur•es ont déclaré vouloir ne plus enseigner la fameuse règle de grammaire sexiste « Le masculin l'emporte sur le féminin ». Le Manifeste a suscité bien des réactions. Positives : environ 30 000 personnes ont d’ores et déjà signé la pétition de soutien. Négatives : fin de non-recevoir du ministre, opposition de l’Académie française, menaces ponctuelles de sanction ou de représailles, résolution de députés conservateurs, insultes en ligne, annulation de formations … Comment cette tourmente est-elle vécue par celles et ceux qui ont osé s’engager pour défendre leurs convictions ? Quelles réactions chez leurs collègues, les élèves ou les parents ? Cela a-t-il modifié la réflexion et la détermination ? Témoignages d’enseignant.es, du primaire jusqu’au supérieur, de France, de Belgique ou du Québec, tous et toutes armées « d’un courage et d’une foi nouvelles » (Racine)...

Une règle grammaticale jugée sexiste par beaucoup de professeur.es et d’élèves, un manifeste de 314 enseignant.es, un tapage politique et médiatique : d’où vient ce mouvement et où va-t-il ? Professeure émérite de littérature française de la Renaissance, Eliane Viennot a lancé et coordonné le manifeste, nourri de ses recherches et de ses réflexions. Dans un savoureux fascicule, « Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! », elle a par exemple retracé le long effort des grammairiens et des académiciens, à partir du 17ème siècle, pour masculiniser le français, viriliser les noms de métier, changer les accords d’usage. Faisant ici le point sur le mouvement aujourd’hui enclenché, elle répond aux détracteurs et aux conservateurs : « La domination masculine, ça suffit, il faut qu’elle régresse, partout. »

Des élèves constatent dans le dictionnaire l’absence de mots pour désigner les hommes ou les femmes exerçant certaines professions, puis créent ces noms à partir des règles de fonctionnement du lexique : comment, à cet exemple, intégrer l’éducation à l’égalité des sexes aux apprentissages de la classe ? En quoi est-il intéressant de questionner avec les élèves les normes de la langue pour saisir comment elle se construit, comment elle nous construit, comment nous pouvons la reconstruire ? Ancien professeur des écoles, Gaël Pasquier est maître de conférences en sociologie à l’ESPE de Créteil et membre de l’Observatoire Universitaire International Education et Prévention (OUIEP). Ses recherches portent sur les pratiques enseignantes et les politiques éducatives en faveur de l’égalité des sexes et des sexualités, la lutte contre le sexisme et contre l’homophobie. Ses analyses éclairent remarquablement la tension entre le devoir d’enseigner les normes et la nécessité de les interroger.



Par fjarraud , le mercredi 08 novembre 2017.

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