Claire Augé-Rabier : Réaliser un livre audio au lycée 

A l’Ecole, la rencontre entre la poésie et l’oral se fait essentiellement sous la forme de la récitation : un exercice qui instrumentalise quelque peu la poésie pour travailler les capacités de mémorisation. D’autres possibilités de rencontre existent pourtant, plus créatives et plus formatrices sans doute. Professeure de lettres au lycée Charles Chaplin à Décines dans l’académie de Lyon, Claire Augé-Rabier explore de nouvelles activités que facilite le numérique : ses élèves ont réalisé un livre audio rassemblant leurs lectures à voix haute d’un livre entier des « Contemplations » de Victor Hugo. D’autres travaux autour de poèmes surréalistes le confirment : la mise en voix permet une appropriation intime de textes parfois difficiles ; les élèves se font plus attentifs « au rythme, au « bruit » de la langue et à la puissance d’évocation des mots » ; pour une génération d’adolescents qui « ont davantage les écouteurs sur les oreilles qu’un livre en main », pour ceux-là aussi qui sont parfois en difficulté avec l’écrit, l’oral devient une fort belle entrée en littérature.

 

Dans quel contexte ce projet de livre audio est-il né ?

 

L’idée du livre audio n’a paradoxalement pas été l’idée clef d’un projet. Il est né presque de lui-même, du développement d’un travail. En effet, j’ai présenté au PNF un travail autour de l’oral et du numérique à partir de texte surréalistes... En novembre, j’ai expliqué lors de cet atelier que le travail fait en juin avait été repris en septembre avec une autre classe – le travail avait alors évolué, changé, mûri. Aujourd’hui, on peut dire en quelque sorte que le travail autour du livre audio est la troisième phase de ma réflexion sur l’oral au lycée.

 

Lorsque l’on parle d’oral en cours de Lettres au lycée, on pense tout de suite à l’oral des épreuves anticipées de français au baccalauréat : il correspond à un oral de restitution de connaissances. Cependant, c’est aussi une vision restrictive de l’oral en cours de Littérature. L’oral se situe à la source de la littérature depuis Orphée et Homère, source de la poésie. La frontière entre sphère musicale et sphère littéraire peut être d’ailleurs très ténue et nos élèves ont davantage les écouteurs sur les oreilles qu’un livre en main. L’oral  peut donc être ainsi une porte d’entrée vers la littérature, une entrée connue pour les emmener vers l’inconnu.

 

Ce livre audio de Pauca Meae a été développé avec une classe de seconde très dynamique et volontaire. Les élèves avaient été si enthousiastes par le travail d’enregistrement sur les poèmes surréalistes étudiés en première séquence que je leur ai proposé de reconduire le même travail sur l’œuvre de Victor Hugo que nous étudiions alors en œuvre intégrale. L’objectif pédagogique était de reconduire le travail sur l’oral et de l’approfondir ; les élèves en écoutant les enregistrements de leurs camarades avaient de nouvelles idées, de nouvelles envies. Les enregistrements ont eu lieu à la maison – néanmoins, tous les élèves, lors de la première séquence sur la poésie surréaliste avaient travaillé en salle informatique sur Audacity. Si cela n’était pas possible, j’ai proposé des heures de permanence dans la salle informatique pendant leurs heures de trou pour leur offrir un espace d’enregistrement au lycée. Dans la perspective d’un autre travail sur l’oral en Littérature & Société, je passerai par les smartphones des élèves, plus pratiques pour un enregistrement au lycée, les élèves pouvant s’isoler plus facilement pour ne pas interférer sur leurs enregistrements.

 

Comment avez-vous fait le choix et la distribution des poèmes de « Pauca Meae » ?

 

Les élèves devaient lire chez eux le recueil Pauca Meae. Ils devaient alors choisir un poème au choix et l’enregistrer. En effet, nous avions étudié ensemble l’étymologie du mot « lecture », legere qui signifie aussi « cueillir ». Ils devaient donc cueillir un poème dans ce recueil… Ensuite, ils ont eu à justifier à l’oral, en classe, en quelques mots leur choix par rapport au reste du recueil. C’est en écoutant leurs travaux à la maison que je me suis rendue compte que nous avions presque la totalité du recueil enregistré, seuls quatre poèmes manquaient à l’appel. Je leur ai donc proposé de faire un livre audio en offrant aux volontaires la possibilité de faire un nouvel enregistrement « plaisir & note bonus » en précisant que, les poèmes restants étant les plus longs (cf. Charles Vacqerie), ils avaient le droit de faire le travail en groupe. La difficulté pour un groupe à réserver la salle de musique puis à attendre l’accordeur pour le piano a mis, un temps, en péril la réalisation du livre audio…

 

Bien sûr, certains élèves avaient choisi le même poème…Aussi, une séance a été organisée pour écouter les doublons et choisir, par vote écrit sur un bulletin secret, la lecture qu’ils préféraient. C’était une belle séance où les élèves étaient fiers d’eux et où j’ai eu l’impression pour ma part que dans cette heure, nous avions « fait » de la poésie. Ainsi, le livre audio a été créé. Il y a de petits ratés : le premier poème n’a jamais été enregistré. C’est dommage car c’est donc ma lecture rapide et sommaire qui ouvre le travail de mes élèves. Une très bonne lecture avait été faite du poème 8 « Elle était pâle, et pourtant rose » mais les parents n’ont pas donné leur autorisation pour sa diffusion… La photo de couverture a été prise, par une élève qui ne souhaitait pas figurer sur la photographie,  en fin de cours. Il s’agissait de placer le livre à la place de la bouche : on laisse le livre parler. Cette proposition d’élèves m’a enchanté…d’autant plus qu’elle me permettait d’éviter les fameux droits à l’image. Plusieurs étapes donc : le choix personnel de lecture, le choix collectif des lectures qui révélaient le mieux les textes, le choix d’autoriser la diffusion par les parents.

 

Quelles ont été les différentes  étapes et modalités de travail pour réaliser cette mise en voix collective ?

 

Pauca Meae a été étudiée en œuvre intégrale, après une séquence sur la poésie surréaliste qui inaugurait l’année scolaire. L’enregistrement a été réalisé au terme de toute l’étude car je suis et reste persuadée que l’on ne peut lire correctement un texte que lorsque l’on comprend. (D’ailleurs, à l’écoute, on remarque quelques vers demeurés incompris pour certains élèves…) Quelques poèmes ont été analysés précisément : Demain dès l’aube, Elle avait pris ce pli, Veni, Vidi, Vixi. Les élèves ont plongé dans la lecture du recueil à travers des thèmes transversaux : l’œuvre autobiographique, l’aphasie du poète, le parallèle entre Eurydice et Léopoldine, la réflexion sur le poète.

 

Le travail de lecture et de mise en voix était dans le prolongement de celui fait dans la séquence précédente. Pour préparer les élèves, on avait réfléchi sur la notion de lecture à travers quelques exemples volontairement différents : Heureux qui comme Ulysse  de Du Bellay et Ridan, La mort du loup de Musset et Gérard Philippe, Aragon et Jean Ferrat, Pâques à New-York de Cendrars et Ekoué. On s’est interrogé sur ces mises en voix : respectaient-elles le texte ? Le « lecteur » apportait-il quelque chose à l’œuvre ? Récréation ou re-création ? Qu’apporte la musique ? Sert-elle le vers ? Les élèves étaient libres de leurs choix.

 

Dans un autre projet, vous avez conduit vos élèves à travailler aussi par l’oral des poèmes surréalistes : pouvez-vous expliquer en quoi a consisté ce travail et comment concrètement vous l’avez mené ?

 

Pourquoi le surréalisme ? Le surréalisme est intéressant par nature pour nos élèves car il est en premier lieu difficile d’accès. Il faut accepter de lâcher prise, de renoncer au « savoir » et à la raison. Pourquoi cette démarche ? Nos élèves ont tendance dans notre système à se focaliser sur ce qu’ils ne comprennent pas. Ils regardent le verre à moitié vide. Combien de fois nos élèves nous interrogent-ils sur un mot incompris dans un texte après la première lecture comme si tout le sens reposait sur ce terme ? Je souhaitais ainsi les forcer à écouter vraiment les textes et à s’ouvrir à eux.

 

En 2013-2014, ce projet a été mené avec deux classes d’élèves de 2nde relativement difficiles. Ces classes inversaient la courbe de Gauss : pas de tête de classe, une moyenne générale annuelle autour de 8. Les deux classes étaient toutes deux sympathiques mais difficiles à motiver. En 2014-2015, je n’ai qu’une classe de 2nde au profil différent : moitié européenne dont 1/3 3ème langue chinois, une moitié plus faible. Néanmoins, il y a une bonne dynamique de groupe et ils sont très réactifs. Le projet a donc été testé avec des classes différentes et des réactions différentes.

 

Le projet pédagogique a eu lieu dans le cadre d’une séquence autour de cinq poèmes surréalistes, avec le rêve pour thème commun, d’Eluard (Dans le cylindre des tribulations, La terre est bleue et La Dame de carreau) et de Desnos (Un jour qu’il faisait nuit, J’ai tant rêvé de toi). Le choix du corpus s’est fait non seulement à partir de mes inclinations ; j’ai cherché la plus grande hétérogénéité de texte possible.

 

Au cours de la séquence, les élèves ont tous fait une lecture analytique, celle du poème choisi. Il s’agissait en fin de 2nde de consolider les acquis du commentaire et d’amener les élèves à construire eux- même une explication orale. En début de 2nde, il s’agissait de découvrir l’analyse et l’interprétation des textes, d’avoir une première approche du commentaire composé.

 

L’oral ici se décline autour de différents axes : la restitution de connaissances (proche de l’oral EAF), l’expression personnelle, l’écoute et la lecture. Je souhaitais travailler ces différents pôles dans la séquence.

Oral 1 : l’écoute. Le support papier a été supprimé en premier temps et les poèmes ont été uniquement écoutés.

Oral 2 : L’expression personnelle. A la manière d’une chronique radio, je souhaitais que les élèves s’expriment librement sur le texte sans avoir peur de se tromper.

Oral 3 : La restitution de connaissances. Au terme du travail d’analyse, il s’agit de l’expliquer à l’oral. Les élèves ont alors découvert que l’oral pour les EAF devait se travailler…

Oral 4 : la lecture. La bonne lecture d’un texte ne peut se faire que lorsque le texte est compris.

 

De manière générale,  quelles vous semblent les vertus de l’oral pour faire l’expérience de la poésie ?

 

L’oral, pour faire l’expérience de la poésie, me paraît aujourd’hui fondamental. Ce qui est amusant, c’est que j’en ai vraiment pris conscience à travers ce travail. Les élèves font alors attention au rythme, au « bruit » de la langue et à la puissance d’évocation des mots. J’ai l’impression qu’ils ont mieux compris alors l’intérêt, aussi, d’une explication de texte. Ils ont compris pourquoi il n’est pas toujours intéressant de se demander si l’auteur a pensé à cela en l’écrivant… C’est la première année que je commence par l’écriture poétique et je trouve cela très enrichissant en début de seconde.

 

L’oral permet aussi d’offrir à toutes les élèves un espace d’expression, autre que l’écrit. Des élèves étiquetés en difficulté se sont révélés et ont exprimé, avec une naïveté touchante ou une maturité frappante, une émotion esthétique.

 

De manière générale encore, quelles vous semblent les vertus du numérique pour mener un apprentissage de l’oral ?

 

 Le numérique permet de travailler l’oral : comment sinon faire passer 36 élèves à la fois sans que cela ne devienne trop chronophage ? comment produire une vraie œuvre poétique face à 36 regards dans une condition d’examen ? Sans le numérique, ce travail me paraît bien difficile voire impossible. Il permet également de dépasser le temps et l’immédiateté : l’oral peut se travailler, se remodeler sans disparaître, effacé tout de suite. Néanmoins, je ne dis pas que l’oral ne peut se travailler qu’à travers le numérique. Pour un travail autour de la création d’une lecture, il est un outil précieux et à mes yeux indispensable. Avec cette même classe, nous faisons le procès de la Marquise de Merteuil, dans le cadre d’une séquence argumentative sur les femmes au XVIIIème siècle. Le procès donnera lieu à des discours et des plaidoiries, qui prennent eux du sens dans l’immédiateté. Si un enregistrement a lieu alors, c’est pour le simple plaisir du souvenir… 

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Le livre audio des élèves

Activités orales sur le surréalisme

Dans le Café

 

 

Par fjarraud , le lundi 02 mars 2015.

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