Comment dévoluer efficacement avec les TICE ? Rencontre avec Eric DAUPHAS 

La dévolution est souvent perçue comme une nécessité en EPS au lycée. Pourtant, sa mise en place reste souvent difficile pour l’enseignant d’EPS ! Eric Dauphas, professeur d’EPS au lycée René Cassin de Noisiel a accepté de nous présenter sa démarche via l’application « Coach’s eye » (iOS et Android) et « sprint timer – photo finish » (IOS) avec une classe de terminale en relais vitesse, dans l’objectif d’atteindre le niveau 4 de compétence attendue des programmes.

 

Pouvez-vous nous présenter votre démarche et son contexte ?

 

Au cours d’un cycle relais/vitesse avec une classe de terminale SSI et STI, nous utilisons deux ressources numériques que sont les applications Coach’s eye et sprint timer.

 

La première, coach’s eye, est une application d’analyse vidéo offrant la possibilité de faire du ralenti, de l’image par image, de superposer 2 vidéos et d’analyser l’action motrice filmée en traçant dessus, et pourquoi pas, en enregistrant un commentaire audio. Coach’s eye permet de faire de l’autoscopie, c’est à dire permet à l’élève de porter un regard sur soi lors d’une action motrice.  Il s’agit ainsi de permettre à l’élève d’avoir des feedback (information que reçoit l’élève sur l’exécution d’une tâche motrice) sur sa performance (nature des opérations mises en œuvre pour atteindre le but fixé), et ainsi de pouvoir établir une relation de cause à effet entre l’intention et l’action. Ce vidéo-feedback accompagnera l’élève dans la construction de la compétence   attendue de niveau 4 en relais-vitesse, en le faisant accéder à des capacités constitutives à celle-ci. Ainsi, laisser à l’élève la possibilité de pouvoir analyser sa performance permettra à celui-ci d’adopter une démarche réflexive sur sa pratique en utilisant des indicateurs variés : à la fois ressentis (feedback intrinsèque) et constatés, grâce à l’artefact vidéo et à l’observation de ses camarades (feedback extrinsèque).  Cette analyse sera aussi possible sur les effets de ses actions.

 

La deuxième application utilisée, sprint timer, permet de se rapprocher d’un chronométrage électrique, puisqu’il permet à l’élève chronométreur, en filmant, ou en prenant une rafale de photos, d’avoir un temps précis au centièmes de secondes, et ainsi de départager des élèves arrivant quasiment en même temps. Lorsque l’on sait que l’œil humain ne peut distinguer séparément deux évènements que s’ils sont séparés d’au moins 1/10e de seconde, et que le temps de réaction à un signal visuel est de 180 ms, comment départager des élèves arrivant simultanément et comment avoir une justesse dans le chronométrage pour des élèves distants de moins d’un mètre à l’arrivée sans l’utilisation de cette application?

 

Sprint timer permet également de palier au changement de temps de réaction entre les différents chronométreurs, puisque le déclenchement du chronomètre se fait au son du sifflet. Ainsi, sprint timer redonne toute sa place au chronométreur en « assurant » une fiabilité quasi professionnelle, du moins aux yeux des élèves, et de participer à la construction des compétences méthodologiques et sociales (CMS 2 : respecter les règles de vie collective et assumer les différents rôles liés à l’activité).

 

Justement, pourquoi avez-vous fait ce choix ?

 

Je suis parti du constat qu’il m´était difficile de voir tous les élèves sur plusieurs courses au cours de la leçon. En effet, il n’était pas rare que lors d’une régulation avec un groupe d’élèves, des élèves, pendant ce temps, passaient.  Il est devenu nécessaire de se poser la question de la délégation de pouvoir. Qu’est-ce qu’il était possible de déléguer à l’élève et comment ?

 

Dévoluer en relais dans un cycle de terminale est compliqué : comment en effet rendre possible le rôle d’observateur d’une transmission qui ne dure que quelques secondes ? La vidéo, et notamment l’utilisation du ralenti, est nécessaire puisqu’elle permet de rendre l’action de l’observateur pertinente puisque celui peut dès lors conseiller en s’appuyant sur des critères et des outils favorisant l’objectivité et la précision.

 

L'enjeu, doit-on le rappeler, est de permettre aux élèves de terminale de construire eux-mêmes leurs apprentissages, c'est-à-dire d'intégrer réellement les contenus scolaires de l'EPS. Pour cela, il est nécessaire de lui dévoluer une partie du " pouvoir " professoral dans la relation enseigner - apprendre. Ce n’est qu’à cette condition que l’élève pourra combiner activité physique et activité réflexive et ainsi transformer durablement ses habiletés motrices.

 

L’utilisation de coach’s eye à travers l’analyse de la transmission du témoin me permet de pouvoir déléguer aux élèves la responsabilité d’une situation d’apprentissage. Bien entendu, il ne s’agit pas de confier en totalité cette mission à l’élève sans un accompagnement précis. L’élève a en sa possession une fiche critériée indiquant avec précision ce qu’il doit analyser sur la vidéo (le témoin ne perd pas de vitesse, les coureurs ne ralentissent pas, il n’y a pas de tampon entre les coureurs, la transmission se fait sans hésitation et en 3 foulées maximum).

 

L’analyse vidéo ne pourra donc se faire qu’à la condition d’un guidage précis par l’enseignant. L’élève analyse les erreurs commises dans un premier temps. Ensuite, c’est bien à l’enseignant de proposer des situations permettant une modification du comportement.

Au cours des différents cycles vécus avec des classes de terminale, j’ai pu observer la capacité qu’ont les élèves pour réguler en corrigeant des erreurs simples. Cette délégation de pouvoir est donc tout à fait envisageable, voire souhaitable pour permettre aux élèves de construire des repères permettant d’analyser leur pratique ; de mesurer l’écart à la compétence attendue et de se projeter dans un futur proche en prenant conscience de leurs manques mais aussi de leurs savoir-faire.

 

Comment la leçon est-elle organisée ?

 

J’organise mon intervention en 3 temps : Avant la leçon : Lors de 3 séances dans le cycle, je demande aux élèves d’enregistrer toutes les vidéos filmées. Je visionnerai chez moi et j’analyserai les défauts récurrents chez les élèves sur une vidéo témoin, sur laquelle j’insérerai des commentaires audio et des dessins. Cette analyse individualisée me permettra non seulement de pouvoir anticiper les besoins des élèves et de proposer des procédures d’enseignement adaptées, mais aussi de leur faire connaître ce qu’il leur reste à faire pour accéder à la compétence attendue de niveau 4.

 

Pendant la leçon : A chaque course, il y a 1 élève juge au départ, 1 élève juge de transmission, 1 élève au chronométrage avec sprint timer et enfin 4 élèves pour le coaching et l’analyse de pratique. Un élève filme et les 3 autres observent la transmission. Ils font la régulation au groupe qui passe sans faire appel à la vidéo, puis on termine par la confrontation à l’image.

Les élèves ont 3 possibilités : Se filmer et s’autoréguler avec le groupe d’observateurs en utilisant une fiche critériée ; Se filmer, analyser ensemble la vidéo, puis venir me voir avec celle-ci pour confronter leur analyse à mon expertise ; Se filmer, enregistrer leur analyse sur coach’s eye. Je pourrai ensuite évaluer leur analyse après les cours.

 

De plus, dans le cadre du cycle, nous utilisons régulièrement la superposition de vidéo.  En effet, la vidéo est enregistrée et est comparée à la prestation après le feedback.  C’est à cette condition que l’on pourra se rendre compte de l’efficacité réelle du vidéo feedback en EPS. Après la leçon, je peux utiliser les vidéos filmées par les élèves pour les évaluer. D’ailleurs à ce sujet, je demande aux élèves de se filmer et d’analyser leur prestation avec coach’s eye, en m’indiquant ce qu’ils doivent faire pour progresser. Leur analyse est enregistrée avec la fonction magnétophone de l’application, et ils peuvent dessiner des zones, entourer un défaut etc... Ils enregistrent ensuite leur vidéo d’analyse sur la tablette. Ce travail réalisé en cours me permet après les cours de pouvoir évaluer leur degré d’analyse, révélateur de leur connaissance de l’APSA, et leur mise en projet (révélateur de leur connaissance de leur niveau) pour réduire l’écart à la compétence.

 

Avez-vous perçu une plus-value dans l’utilisation de ces outils pour l’enseignement de relais-vitesse ?

 

Oui, il est évident que pour des habiletés fermées type relais-vitesse, l’utilisation de vidéo-feedback représente une valeur ajoutée non négligeable. Ils agissent comme de véritables leviers à la réussite de tous. Des études (Amorose & Horn, 2000) ont mis en évidence le rôle important des feedback extrinsèques comme sources d’informations pour l’auto-évaluation de sa propre compétence. L’enseignant a une place privilégiée dans la capacité à générer chez l’apprenant une auto-évaluation de ses actions et de ses causalités. Le vidéo-feedback avec coach’s eye favoriserait ainsi un engagement plus marqué et plus soutenu dans le temps. Le feedback, comme celui effectué avec coach’s eye dans le cadre de mes cours, est associé à l’activité d’apprentissage (comment améliorer la transmission, comment être plus efficace ?) pour faciliter les conduites motrices à venir. C’est à cette condition que l’outil utilisé permet une réelle plus-value dans l’enseignement. L’application coach’s eye rend disponibles des informations visuelles sur le mouvement auxquelles l'apprenant n'a pas accès naturellement. Ainsi, en nous appuyant sur le modèle SAMR (Ruben Puentedura, 2014 ; S.Lacroix & Y.Tomaszower 2015), coach’s eye montre, dans le cadre de notre enseignement du relais, une réelle modification de la tâche en permettant aux élèves de travailler de manière différente. Le recours à cette application optimise et individualise les interventions ou régulations en phase d’apprentissage.

 

De plus, il apparaît que le travail en groupe avec des élèves observateurs permet de travailler la confiance réciproque (Winnikamen et Carton 2004) en étant sous la vision de l’autre. De réelles interactions sociales, animées par des « débats d’idées » et une utilisation d’un vocabulaire spécifique à l’APSA apparaissent ainsi.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

La rencontre avec Yoann Tomaszower au sein du dossier numérique et EPS

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 09 avril 2015.

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