"Il ne faut pas seulement faire découvrir la langue. Il faut observer, comprendre ce qui se passe, débattre de l'orthographe.  Mais l'observation de la langue n'est pas la fin. Il faut après enclencher des automatismes même si les élèves râlent." Co-auteure avec Danièle Cogis de "Orthographe à qui la faute", publié en 2007, Danielle Manesse est une grande spécialiste de l'enseignement de l'orthographe.

Une nouvelle Note de la Depp montre une baisse des compétences en orthographe en Cm2. Ces résultats vous surprennent-ils ?

Ils m'attristent. Mais ils ne me surprennent pas. Quelque chose de grave s'est passé à la fin du XXème siècle. On a changé de pédagogie et on a diffusé des conceptions erronées sur l'orthographe, notamment parmi  les formateurs des maitres porteurs d'une conception « anti-norme » opportuniste et peu réfléchie.  Une nouvelle conception de l'enseignement du français s'est répandue qui explique ces résultats. J'en suis désolée car je vois se creuser les inégalités de réussite des enfants où les plus démunis deviennent encore plus démunis.  Tout cela alors que l'Ecole peut enseigner l'orthographe minimale utile, on sait comment faire..

Il faudrait faire quoi ?

Surtout ne pas lâcher prise. On constate que c'est encore l'orthographe grammaticale qui pose problème, comme c'était déjà le cas en 2007. L'orthographe grammaticale est difficile car en français on ne l'entend pas. On écrit le pluriel mais on ne le dit pas.

Ceci dit, il ne faut pas dramatiser. Ce ne sont que 3 ou 4 règles non maitrisées qui expliquent la baisse de niveau. Ce qu'il faut faire c'est des activités nombreuses et diverses pour automatiser l'application de ces règles. L'accord du pluriel il faut le répéter souvent et beaucoup. Finalement cela ne concerne que 3 sortes de mot (le nom, l'adjectif, le verbe). Ce n'est pas la mer à boire !

Or à la fin du siècle dernier on a à la fois introduit beaucoup de choses nouvelles dans l'enseignement au primaire comme la langue vivante, le numérique, la citoyenneté. Mais on a aussi eu la volonté de s'attaquer aux normes. Il fallait dénoncer les normes très rigides. Et c'est très bien !  Mais on a fini par jeter le bébé orthographe avec l'eau du bain ! Et maintenant cela se retrouve aussi chez les enseignants dont le niveau en grammaire est souvent insuffisant.

Ce que les enseignants doivent bien comprendre c'est qu'il ne faut pas seulement faire découvrir la langue. Il faut observer, comprendre ce qui se passe, débattre de l'orthographe.  Mais l'observation de la langue n'est pas la fin. Il faut après enclencher des automatismes même si les élèves râlent. Il y a des savoirs à apprendre et cela les écoliers sont capables de l'entendre. Il faut que les enfants apprennent à reconnaitre les classes de mots, à distinguer le nom d'un verbe. Parfois apprendre par coeur, les conjugaisons par exemple, comme on apprend les verbes anglais,  c'est le plus économique et le plus rapide pour permettre à des automatismes de s'installer. Il faut s'opposer à cette lâcheté sociale qui fait que les enfants des milieux populaires sortent de l'école avec d'énormes carences orthographiques qui finiront par les empêcher d'écrire et d'être lus.

Dans la récente Note de la Depp on observe que les écarts sociaux sur la maitrise de l'orthographe restent forts mais s'atténuent. On peut donc se demander si on n'assiste pas à une évolution du rapport à la langue écrite. Qu'en pensez-vous ?

On a dit que les SMS, les écrans jouent un rôle dans cette baisse de niveau. Mais ce que j'observe c'est que les enfants savent très bien faire la différence entre écrire un SMS et rédiger une rédaction. En réalité le style SMS n'a pas gagné les autres écrits.

Que pourrait faire la ministre pour améliorer le niveau en orthographe ?

Ce n'est pas une question de programme. S'ils étaient appliqués on n'en serait pas là. La vraie question c'est plutôt l'empilement des politiques éducatives. Si on veut relever le niveau en orthographe il faut du temps, des efforts continus, un front cohérent des professeurs. Malheureusement, ces résultats vont servir politiquement des gens qui ne connaissent rien à l'Ecole et qui veulent imposer leurs idées réactionnaires sur l'enseignement.

Propos recueillis par François Jarraud

Orthographe à qui la faute ?

Orthographe : Nouvelle chute des résultats