La Cour des Comptes veut revoir l'évaluation de l'Ecole et des enseignants 

 

Le rapport de la Cour des Comtes  sur  l'évaluation de l'Education nationale "pour améliorer sa performance" appelle à une rupture complète avec la culture de l'institution scolaire. La Cour demande la mise en place de batteries de tests automatisés, pilotés par une nouvelle institution à créer , susceptible d'évaluer les performances du système éducatif, des élèves et des enseignants. Ce rapport peut devenir un levier puissant pour supprimer le Cnesco et, bien au delà, piloter de façon très hiérarchique et coercitive l'Ecole et les enseignants. Il importerait en France des modes d'évaluation américains qui n'ont apporté que désillusions.

 

L'évaluation une exigence pour l'Ecole

 

"La massification des populations scolaires impose une sommation de la mesure des savoirs transmis, maintenant possible par l’emploi de modes d’enquêtes, plus systématiques et globaux, sous forme de tests le plus souvent numérisés. C’est ainsi que pratiquent les enquêtes de référence internationales et nombre d’institutions éducatives étrangères". Dans un nouveau rapport publié le 20 février, la Cour des Comptes invite l'Education nationale à réorganiser son évaluation et à mettre en place une évaluation de type américain.

 

"L’évaluation constitue pour l’Éducation nationale, peut-être plus encore que pour tout autre service public, un impératif. L’école a pour mission première la transmission des connaissances. Aussi la mesure des connaissances transmises est consubstantielle à sa mission, inhérente à l’acte d’enseigner comme cette mesure est indispensable à l’évaluation du fonctionnement et des performances du service public de l’éducation", estime la Cour.

 

Des évaluations actuelles contradictoires

 

La Cour dénonce des évaluations trop partielles et une multiplication d'initiatives. Elle reconnait la solidité des évaluations Cedre réalisées par la Depp mais déplore qu'il faille 5 ans pour avoir une évaluation dans toutes les disciplines. Elle salue la mise en place de l'évaluation de 6ème depuis 2015 et son extension à tous les élèves depuis 2017.

 

Mais la Cour relève aussi des évaluations divergentes à l'intérieur du système éducatif. On va voir que les choix opérés par la Cour ne doivent rien au hasard. Ainsi à propos  du dispositif PARLER que la Cour gratifie d'une évaluation positive alors que l'Inspection générale a émis un avis négatif. La Cour oublie que l'Inspection s'était interessée à l'efficacité durable du dispositif. Même chose , mais à l'envers pour l'enquête de R Goigoux, Lire et écrire au CP dont les résultats sont contestables selon la Cour. La Cour défend aussi l'idée que les classes de niveau sont positives et s'appuie sur les travaux d'Esther Duflo, que Blanquer vient de faire entrer dans son Conseil scientifique. La Cour relève les évaluations divergentes sur l'efficacité de l'éducation prioritaire. Elle s'indigne de voir les maitres + multipliés alors que leur efficacité n'est pas prouvée. Autrement dit la Cour reprend les chevaux de bataille des dénonciateurs du "pédagogisme".

 

Lier davantage l'évaluation des enseignants et la carrière

 

La Cour attaque aussi l'évaluation des enseignants. Elle a pu calculer que le nombre d'inspections d'un esneignant est en moyenne de 5 soit une tous les 7 ans (5 ans au primaire). Surtout l'évaluation n'est pas assez liée à la carrière estime la Cour. "Le critère de l’ancienneté demeure très prégnant", estime la Cour. "Le projet du ministère dispose que les propositions annuelles de promotion à la hors classe seront basées sur un "barème" fondé sur deux éléments, d’une part l’appréciation finale du troisième rendez-vous de carrière de l’enseignant, d’autre part le nombre d’années de présence de l’enseignant dans la plage d’appel statutaire à la hors-classe. Aussi cette réforme est loin de garantir une connexion plus forte entre carrière et évaluation. De surcroît apparait le risque que s’instaure effectivement une déconnexion entre évaluation et avancement".

 

Une attaque frontale du Cnesco

 

Tout cela amène la Cour à attaquer frontalement le Cnesco. Certes elle  relève qu'à chaque alternance politique on a changé l'organe d'évaluation de l'Ecole : Hcéé, HCE puis Cnesco. Mais elle invite à supprimer à son tour le Cnesco en attaquant frontalement son mode de fonctionnement. "Les critiques adressées à l’instance actuelle chargée de l’évaluation du système éducatif, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), illustrent les divergences de vision et d’attentes en termes de méthodologies. Sans enlever de l’intérêt à des conclusions obtenues par « consensus participatif » ou « collaboratif » tel que pratiqué par le CNESCO ou le secrétariat général à la modernisation des politiques publiques, elles n’acquièrent leur valeur probante que si elles se combinent avec des données objectives. Les méthodes dites participatives ou collaboratives d’évaluation, pour disposer d’une base solide, ont grand besoin de données".

 

Une nouvelle instance et des batteries de tests annuels

 

La Cour invite à créer plus qu'une nouvelle instance un nouveau système. "Il serait possible de construire un système cohérent, crédible et efficace d’évaluation à condition de lui fixer, au moins dans un premier temps, une cible prioritaire et de concevoir les instruments à cet effet Un consensus pourrait se dégager pour estimer comme condition première et nécessaire à l’évaluation du système éducatif, la mesure du degré de maitrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, qui clôt la scolarité obligatoire", écrit la Cour.

 

"Le déploiement actuel des technologies numériques dans les établissements scolaires et les progrès réalisés par les tests standardisés, rendent possible la généralisation de contrôles réguliers des connaissances et compétences acquises, pour un coût raisonnable car fortement dégressif. La généralisation des tests de compétences en classe de sixième à la rentrée 2017 ouvre cette voie. Grâce à un dispositif étendu d’évaluation des acquis des élèves, il serait non seulement possible de mesurer une performance collective, mais de décliner des données agrégées par équipes éducatives, par établissements, par dispositifs pédagogiques".

 

Ce nouvel organisme indépendant publierait un rapport annuel sur la performance du systeme éducatif. Pour cela il mettrait aussi en place des batteries de tests d'abord à chaque entrée et fin de cycles puis à l'entrée et à la fin de chaque année pour évaluer les élèves mais aussi les enseignants. C'est l'idée de l'évaluation par les résultats que JM BLanquer a aussi défendu récemment.

 

Le modèle dépassé du NCLB

 

La Cour s'appuie sur les systèmes existant aux Etats Unis, où le Teaching for the test est devenu une routine, et au Luxembourg, les eux seuls états où on ait vraiment des systèmes d'évaluation sur l'enseignement obligatoire.

 

Ces idées ne sont pas réellement neuves. La mise en place  d'évaluations tests a commencer aux Etats Unis dans les années 1960. Elle est devenue un système , liant évaluation des élèves, des écoles et des enseignants avce la loi No Child Left Behind , en 2002.

 

L aloi NCLB mettait en place des indicateurs et liait l'avenir des écoles et le salaire et l'emploi des enseignants aux résultats des évaluations. Cela a généré des fraudes en tous genres et totalement déformé les enseignements, l'objectif étant d'enseigner pour le test et non pour le développement de l'élève. Par exemple les disciplines non évaluées ont été abandonnées ou réduites.

 

Quinze ans plus tard NCLB a été supprimée et remplacée par une nouvelle loi nettement moins coercitive. Le paradoxe c'est qu'alors qu'aux Etats Unis on réfléchit aux désillusions apportées par NCLB, en France la vague arrive portée par l'arrivée au ministère de JM Blanquer.

 

Ce que sous tend ce type d'évaluation, tout comme les dispositifs vantés par la Cour comme  PARLER, c'est un encadrement  hiérarchisé et très strict des enseignants. C'est l'idée qu'en imposant des normes et en vérifiant leur application on va améliorer le système éducatif.

 

Une menace directe pour les enseignants

 

Aux Etats Unis il aura fallu la multiplication des scandales et des fraudes pour que ce type de système soit remis en question. Comme l'explique Anthony S. Bryk, tout cela a surtout apporté des désillusions. Si cette politique définit de "bonnes pratiques" elle ne dit pas " ce qu’il faudrait faire pour que l’intervention fonctionne pour différents sous groupes d’élèves et d’enseignants ou dans différents contextes. Ici, au fond, nous sommes confrontés à la différence entre la connaissance que quelque chose peut fonctionner et la connaissance sur la façon de le faire fonctionner de manière fiable sur des contextes et des populations variés", note A S Bryk.

 

Pour AS Bryk cela doit nous inviter à nous focaliser non sur la pratique mais sur son application. " Ces observations suggèrent que nous accordions plus d’attention aux tâches que les enseignants accomplissent et aux environnements organisationnels qui façonnent la manière dont ce travail est mené. Plutôt que de laisser croire que la voie vers l’amélioration des résultats consiste à ajouter continuellement de nouveaux programmes (de fait « plus de pièces »), cette perspective nous encourage à nous concentrer d’abord sur l’amélioration de notre compréhension des systèmes de travail qui créent des résultats insatisfaisants. Car c’est dans cette capacité à voir le système que les progrès significatifs peuvent s’établir", écrit-il.

 

Or c'est justement ce que fait le Cnesco qui semble galoper loin devant la Cour. Le Cnesco aborde les questions pédagogiques à travers des conférences de consensus qui réunissent chercheurs et enseignants. C'est cette rencontre qui peut être efficace pour faire évoluer les pratiques sur le terrain. Et c'est aussi ce que R Goigoux a fait dans la recherche Lire Ecrire.

 

La Cour a multiplié très récemment les rapports sur l'Ecole. Il y a quelques mois elle a demandé l'annualisation des services enseignants Dans un autre rapport la Cour a plaidé pour une réorganisation territoriale de l'Education nationale.

 

Tous ces rapports convergent avec les  idées développées par JM Blanquer dans L'Ecole de demain. Ils sont un puissant appui pour le ministre. Autrement dit ce rapport aura des suites. Et sans doute rapidement.

 

François Jarraud

 

Le rapport

La Cour veut un recadrage du métier d'enseignant

La Cour veut "simplifier" l'organisation territoriale de l'Education nationale

 

 

Par fjarraud , le mercredi 21 février 2018.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 23/02/2018 à 08:17
    En effet, ce rapport est inquiétant.

    Mettre en place des contrôles systématiques a pour conséquences de réifier des indicateurs en critères présumés représentés parfaitement le système scolaire. C'est ce qu'on appelle "confondre la carte et le territoire". Ce qui est mesurable ne correspond jamais à tout ce qui est important. On en particulier incapable de mesurer ce qui agit sur le long terme. Il y a énormément de biais pervers. Sur un système Education, les expériences internationales sont sans ambiguïté. C'est contre productif.
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