Ozcar Alper, rĂ©alisateur et scĂ©nariste turc d’origine Hemshin, revendique ouvertement la dimension politique de son 7ème long mĂ©trage de fiction, intitulĂ© « Nuit noire en Anatolie », Prix Antigone d’or en SĂ©lection officielle, Festival CINEMED de Montpellier, en 2023. A travers le portrait sensible de son hĂ©ros Ishak, homme seul, sensible et tourmentĂ©, joueur de luth gagnant sa vie en donnant sa musique dans une boite de nuit, contraint au retour après sept ans d’absence dans son village natal d’Anatolie, lĂ oĂą il subit la haine de tous, le cinĂ©aste met en Ă©vidence, en un style Ă la fois poĂ©tique et rĂ©aliste, la ‘normalisation des modes de pensĂ©es nationalistes et racistes Ă l’oeuvre depuis des annĂ©es sous un rĂ©gime autoritaire.
Le destin tragique d’un ĂŞtre humain diffĂ©rent
Difficile d’imaginer le climat de haine distillĂ© par les habitants Ă la vue des paysages magnifiques (monts rocailleux, forĂŞts aux arbres gigantesques, sentiers profonds, ciels et lumières changeantes sculptant les reliefs), ces paysages de toute beautĂ©, en osmose avec la personnalitĂ© du protagoniste, qui composent le l’environnement d’enfance vers lequel notre hĂ©ros solitaire revient au chevet de sa mère malade, et au cĹ“ur de souffrances longtemps enfouies.
ConfrontĂ© de plus en plus ouvertement (et physiquement) au rejet de la part des autres, dans des formes transformant cette expĂ©rience personnelle et intime douloureuse en une ‘chasse Ă l’homme’ impitoyable et tragique.
Pas de fioriture pour cette fable radicale, Ă©voquant avec finesse la diffĂ©rence -d’orientation sexuelle, si l’on s’en tient Ă cette catĂ©gorisation rĂ©ductrice par rapport Ă la richesse intĂ©rieure de cette belle personne humaine. Ishak, une ‘diffĂ©rence’ menant Ă l’exclusion et Ă la mort donnĂ©es par une communautĂ© fermĂ©e sur elle-mĂŞme.
L’histoire se situe ‘parmi des gens ordinaires dans un petit village de montagne’ mais l’intĂ©rĂŞt consiste dans l’arrière-plan, autrement dit le ‘processus politique’ en marche.
Pari tenu : « Nuit noire en Anatolie » suggère avec force ‘comment les dĂ©sirs rĂ©primĂ©s par la sociĂ©tĂ©, la sexualitĂ© non exprimĂ©e, crĂ©ent peur et violence’, selon les mots du cinĂ©aste turc. Une fable sombre, frĂ´lant le fantastique, mais cruelle et vraisemblable, qui rĂ©sonne, en dehors de la Turquie, avec bien d’autres formes d’oppression portant atteinte Ă notre humanitĂ©.
Samra Bonvoisin
« Nuit noire en Anatolie », film de Ozcar Alper – sortie le 14 fĂ©vrier 2024