La cérémonie organisée le 23 février dernier par l’Académie des Césars, soirée marquée par une féminisation notable des récompenses les plus prestigieuses, des prises de paroles fortes manifestant le vent d’émancipation qui s’est levé au sein du cinéma français dans tous les corps de métiers techniques et artistiques. Et le discours impressionnant de l’actrice et réalisatrice Judith Godrèche, par sa lucidité, son souci de solidarité envers d’autres femmes, invisibles et muettes, d’appel bienveillant à sortir de l’enfermement, à se mobiliser, à porter devant la justice les agressions sexuelles ou les viols subis. Et cette intervention, courageuse et généreuse, empreinte de gravité, dépasse sans nul doute la mise en lumière d’une souffrance constitutive de son enfance volée pour ouvrir la voie à d’autres combats individuels et collectifs et transformer en profondeur les relations hommes-femmes dans toutes les dimensions de l’exercice du 7ème Art. Un engagement au long cours, prolongé lors de l’audition récente devant les sénateurs par des propositions concrètes, à la fois juridiques, sociales et politiques, aptes à bousculer les privilèges de ‘ l’entre soi’ et remettre en cause une domination masculin prégnante, pouvant aller jusqu’à la violence sexuelle, dans le milieu.
Agnès Jaoui, comédienne, scénariste, réalisatrice et …chanteuse, a reçu, émue et malicieuse, un César d’honneur (elle en possède déjà six) en nous chantant accompagnée par son Yukulélé un air de sa composition (César, si vous saviez comme j’ai toujours rêve de faire un beau discours..et de passer à l’Olympia…). Ce soir-là, elle n’en dira pas plus.
Pas besoin d’afficher des convictions de longue date.
Il n’empêche. Rien de conformiste dans son itinéraire singulier et foisonnant, depuis « Cuisine et dépendances » de Philippe Muyl (1993), la rencontre amoureuse avec Jean-Pierre Bacri, la complicité en écriture et l’affection sans faille maintenues au delà de la rupture, la collaboration commune avec le cinéaste Alain Resnais notamment, la première réalisation, « Le Goût des autres » (2000), et toutes les risques assumés avec énergie pour la parité hommes-femmes dans le métier par exemple, avec joie sur la scène et les plateaux, et le choix de personnages féminins dont elle assume l’âge, la fragilité et l’amour de la vie, malgré les blessures intimes, les idéaux progressistes mis à mal et le chaos du monde.
Ainsi nous la découvrons avec délice en femme épanouie savourant une étreinte sensuelle avec un amant peu dégourdi, échoué par accident (de kayak) sur l’île utopique et écologique dont elle est la reine sans couronne (« Comme un avion » de Bruno Podalydès, 2015) ou en professeur de scénario ouverte aux questions curieuses d’étudiants en cinéma avides de partage, tout en se laissant émouvoir et révéler par un ancien amant retrouvé (« Le Cours de la vie » de Frédéric Sojcher, 2023).
Ainsi nous la découvrons avec délice en femme épanouie savourant une étreinte sensuelle avec un amant peu dégourdi, échoué par accident (de kayak) sur l’île utopique et écologique dont elle est la reine sans couronne (« Comme un avion » de Bruno Podalydès, 2015) ou en professeur de scénario ouverte aux questions curieuses d’étudiants en cinéma avides de partage, tout en se laissant émouvoir et révéler par un ancien amant retrouvé (« Le Cours de la vie » de Frédéric Sojcher, 2023).
Aujourd’hui, encore à l’affiche dans deux films de jeunes réalisateurs, elle interprète des rôles de mère, avec des registres de jeu diamétralement opposés en apparence. Sous la direction de Noé Debré, scénariste aguerri, elle est une mère juive, malade et recluse, dans une cité où tous les membres de la communauté sont en train de plier bagage (et boutique comme l’épicier casher) sous la pression des préjugés racistes et des replis identitaires. Son seul soutien, un fils adolescent (Michael Zindel, inventif et fantasque); faux étudiant, vrai fournisseur en nourriture et câlins en tous genres, d’abord inconscient de l’étrange isolement qui les gagne, vagabondant de liaison éphémère avec une jeune épouse d’origine arabe en improbable boulot de vendeur à domicile, finit par se rendre à l’évidence : Maman n’est plus, il faut partir. Une comédie grave et pleine de fantaisie où Agnès Jaoui assume les contradictions de son personnage et où le burlesque des situations met à mal les assignations identitaire. C’est « Le Dernier des Juifs ».
Dans « La Vie de ma mère » de Julien Carpentier, c’est un jeune fleuriste (William Lebghil), assisté d’un employé un peu novice (Salif Cissé) qui se trouve confronté, après plusieurs années sans nouvelles, à la folie de sa mère (Agnès Jaoui). Cette dernière (bipolaire) vient de faire une fugue : elle s’est échappée de la clinique. A partir d’un script un peu excessif dans ses partis-pris, et des débuts orageux -la maman est envahissante, le fils tente de se protéger tant bien que mal-, peu à peu, le rempart du fils s’effrite, une affection et une tendresse émergent et s’affirment. Dans l’alternance d’exaltation, d’euphorie et de tristesse dépressive, la comédienne fait merveille et trahit, au delà des débordements incontrôlables, son immense détresse intérieure et son désir obstiné d’aimer, ce fils bouleversé par sa folie, ce fils chéri.
Samra Bonvoisin
« Le dernier des Juifs », film de Noé Debré-actuellement en salle
« La Vie de ma mère », film de Julien Carpentier-actuellement en salle