Philippe Sérès enseigne les mathématiques au Lycée Henri IV, à Paris. Il appartient à l’équipe AID CREEM qui développe Geoplan-Geospace.
Il a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la sortie d’une nouvelle version de ces logiciels.
DM : Philippe Sérès, Geoplan et Geospace font partie depuis longtemps déjà du “paysage pédagogique mathématique”. Pouvez-vous retracer pour nous l’histoire de ces logiciels ?
PS : Le CREEM (Centre de Recherche et d’Expérimentation sur l’Enseignement des Mathématiques), laboratoire du CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers), est composé d’enseignants de mathématiques du secondaire et du supérieur ; il a commencé très tôt à travailler sur l’apport des images informatiques dans l’enseignement des mathématiques. Ces recherches ont été fortement soutenues par le Ministère de l’Education Nationale dès lors que le développement des Nouvelles Technologies devenait une de ses priorités.
Le CREEM a ainsi développé dès les années 80 un grand nombre de logiciels dédiés à une activité et destinés à l’enseignement des Mathématiques. Une caractéristique commune de beaucoup de ces logiciels était de produire des images interactives, et ils ont été pour cette raison baptisés Imagiciels.
Geoplan et Geospace sont nés du besoin de développer des outils facilitant la création de ces images, notamment dans l’espace. Ces outils, initialement destinés aux programmeurs d’Imagiciels, se sont progressivement développés jusqu’à devenir des logiciels à part entière pouvant permettre à tout enseignant de créer ses propres Imagiciels.
Ces logiciels, appelés alors Geoplan et Geospace, ont été diffusés (version DOS) dans tous les Lycées en 1992 dans l’ensemble “Activités mathématiques avec Imagiciels, premières et Terminales”. Ces documents ne sont plus disponibles.
Le développement de Windows et l’utilisation croissante de la souris nous ont conduit à développer des versions compatibles avec ce système d’exploitation, GeoplanW et GeospacW, avec un nombre toujours croissant de possibilités offertes aux enseignants et aux élèves. La dernière version de GeoplanW a été diffusée en 1999.
Notre recherche s’est ensuite tournée vers le développement d’outils permettant de “sortir” la figure interactive de son logiciel pour l’insérer dans des documents (Word, HTML) en lui conservant ses propriétés d’interactivité.
Ces produits utilisant la technologie contrôle-ActiveX de Microsoft sont disponibles sur le site http://www2.cnam.fr/creem/ . Parallèlement, un nouveau logiciel, Geoplan-Geospace a pu faire la synthèse des deux logiciels jusque là indépendants avec de nouvelles fonctionnalités.
DM : Avez-vous une idée du nombre d’exemplaires distribués depuis l’ancêtre (sous DOS) ?
Sans doute plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, mais personne dans l’équipe n’a effectué une telle comptabilité.
DM : L’équipe du CREEM ne dispose plus des moyens qui étaient les siens il y a quelques années. Comment fonctionne-t-elle actuellement ?
PS : Effectivement, le CREEM devenu maintenant AID-CREEM ne dispose plus ni des décharges de service ni des subventions autrefois fournies par le Ministère de l’Education Nationale, ni des locaux et moyens matériels jusqu’ici fournis par le CNAM. Nous avons obtenu, en contrepartie, le droit d’utiliser directement les droits d’auteurs générés par la vente des logiciels, ce qui, nous l’espérons, nous permettra de continuer à travailler ; notre équipe se compose actuellement de sept membres.
DM : Il existe maintenant d’assez nombreux logiciels de géométrie dynamique. De quelle manière Geoplan et Geospace se distinguent-ils de leurs concurrents ?
PS : Même si elle est maintenant usuelle, l’expression “logiciel de géométrie dynamique” ne nous semble pas vraiment adaptée à Geoplan-Geospace. Ce logiciel ne permet pas seulement de faire de la géométrie élémentaire plane ou de l’espace. De nombreuses questions d’analyse, d’analyse numérique, d’arithmétique peuvent aussi être illustrées de façon très pertinente.
Je pense que la force de ces logiciels est d’avoir été conçus au sein d’une équipe de professeurs de mathématiques en activité et en relation avec un groupe d’enseignants (le GRUG : groupe des utilisateurs de Geoplan) dont les membres utilisent effectivement les logiciels dans leur classe, avec leurs élèves. La plupart de leurs fonctionnalités n’ont été programmées qu’en réponse à des demandes d’utilisateurs enseignants effectifs.
Ainsi sont nées par exemple les “commandes” permettant l’interaction avec les figures.
DM : Quelles sont les nouveautés des versions qui sortent maintenant ?
PS : Je n’en ferai pas une liste complète, car il y en a beaucoup. Les principales sont :
– L’intégration en un logiciel des deux précédents a permis de faire communiquer entre elles des figures du plan et de l’espace ce qui est fort utile pour certaines applications.
– La notion de prototype déjà présente dans le plan a été étendue à l’espace.
– La partie “Fonctions numériques” s’est beaucoup développée avec les fonctions à plusieurs variables et les fonctions définies par prototype.
– Le logiciel est devenu multilingue (actuellement Français-Anglais-Allemand) avec la possibilité de lire les figures même enregistrées dans une langue différente de celle utilisée dans l’interface.
– D’autre part, le système de diffusion du logiciel Geoplan-Geospace est profondément modifié :
En effet, nous avions constaté que les précédente versions ont été peu diffusées sous forme individuelles. Les principaux achats ont été le fait des établissements d’enseignement (collèges, lycées, et même universités et écoles d’ingénieurs). Les disquettes étaient copiables et il y a eu du piratage. Les enseignants plus scrupuleux nous ont parfois demandé de pouvoir recopier les logiciels pour travailler chez eux ou les fournir à ceux de leurs élèves qui avaient un PC à la maison. La réponse officielle était toujours “non” car les prix étaient très bas. Pour éviter cette situation, nous avons décidé que l’achat d’une licence par un établissement donnera le droit d’utilisation par tous les enseignants et tous les élèves de cet établissement (et seulement par eux) y compris sur leurs ordinateurs personnels. Cette solution nous paraît satisfaisante à deux points de vue:
– du point de vue éthique: les enseignants qui font l’effort de s’investir dans l’utilisation de ce genre de logiciel ne sont pas obligés de payer en plus, leurs élèves ne sont pas financièrement pénalisés;
– du point de vue pragmatique et légal: le piratage est ainsi supprimé puisque les copies sont autorisées.
Bien entendu ce système n’a de sens que si les établissements d’enseignement acceptent de jouer le jeu et achètent une licence (c’est ce qui s’était passé avec les versions précédentes qui n’offraient pas cet avantage).
Il faut ajouter que pour éviter des injustices, cette logique a imposé que le prix de la licence dépende logiquement du nombre d’élèves de l’établissement (les petits paient moins que les gros).
DM : La portabilité des figures de Geoplan-Geospace sur Internet ne peut se faire, à travers les “contrôle Active x”, que sur Internet Explorer sous Windows. Un projet Geoplan-Java vise à obvier à ces restrictions ? Où en est ce projet ?
PS : Le projet, permet actuellement la lecture et l’exécution de certaines figures sous un environnement Java. Nous ne savons pas si nos moyens actuels permettront d’obtenir un jour proche un logiciel équivalent sous Java de Geoplan-Geospace.
DM : Quels sont vos projets de développement ultérieurs ?
PS : Nous devons prioritairement assurer la maintenance (il y a toujours des bugs à corriger).
Nous devons aussi assurer le développement des versions activeX.
Nous répondrons ensuite à des demandes de fonctionnalités supplémentaires, dans la mesure de nos moyens (les nombres complexes, les suites récurrentes d’ordre 3, les polygones convexes dans le plan, les importations de fonctions sont déjà sur liste d’attente…)
Si des possibilités se présentent d’accroître le nombre de langues disponibles, nous en profiterons.
Si une version Java nous permet un jour de nous dégager de “l’emprise Microsoft”, nous en serons ravis.
Philippe Sérès, merci.
Entretien : Didier Missenard