Emmanuel Davidenkoff, Brigitte Perucca, La république des enseignants, Editions Jacob Duvernet Paris 2003-05-01.
En proposant La république des enseignants, Emmanuel Davidenkoff et Brigitte Perucca ajoutent au paysage de la littérature scolaire un ouvrage qui donne la parole à des enseignants. Ils revendiquent leur différence en ayant refusé la parole de quelques-uns qui ont l’habitude de parler soit dans les livres soit dans les médias pour la donner à des enseignants ordinaires. En cela les « co-auteurs » de cet ouvrage ont rassemblé les témoignages d’une centaine d’enseignants « ordinaires » et ont structuré leurs réponses en six thèmes : la république, ce que c’est qu’enseigner, l’individualité du métier, la peur des autres, les questionnements personnels, et ce qui fait que l’on peut aimer ce métier.
La méthode employée dans cet ouvrage se situe entre le témoignage et la recherche. Jamais l’un ni l’autre, il renvoie le lecteur à sa propre lecture. Autrement dit, lire ce livre nécessite que le lecteur s’interroge sur ses a priori sur la profession enseignante et refuse d’en faire le seul cadre de lecture, auquel cas il passerait à côté de l’essentiel. Car l’essentiel est ici en premier lieu la « prise de parole » dont on sait qu’elle est si difficile dans les établissements scolaires. Puisse cet ouvrage permettre aux enseignants d’engager une parole dans l’établissement dans lequel ils travaillent ! L’essentiel c’est aussi un regard qui ne prend pas le prisme des savoirs et de cadres scolaires comme entrée, mais celui de trajectoires humaines au sein d’une société dans laquelle vit cette profession.
Du côté des frustrations à la lecture de cet ouvrage, il y a l’absence de la figure de l’enseignant / parent. En effet, on oublie trop souvent que si les enseignants ont été des enfants, ce sont aussi des parents d’élèves, et il y a là une rareté de cette parole double que l’on observe pourtant en filigrane des pratiques professionnelles dans les établissements. Il y a aussi la difficulté à situer la parole des auteurs dans une posture claire. En effet l’organisation de l’ouvrage propose à chaque chapitre trois postures complémentaires. Oscillant entre le témoignage brut, l’analyse journalistique et le travail de recherche, la parole tenue ici est trop souvent polysémique et donc parfois pas explicitée.
Si l’on replace cet ouvrage dans le concert des publications récentes, les auteurs revendiquent d’avoir voulu donner la parole. Saluons cette pratique qui nous rappelle un article d’Emmanuel Davidenkoff qui avait vivement critiqué les méthodes employées par les enseignants qui publient des ouvrages de témoignage / revendication. En cela les auteurs de l’ouvrage essaient de trouver une ligne d’écriture qui ne soit pas enfermante. Souhaitons que ce livre soit lu comme le miroir d’une profession, et non comme le miroir de l’école. Car de l’école, il manque beaucoup de morceaux dans cet ouvrage et c’est volontaire. Malheureusement, les généralisations hâtives risquent d’y amener. Or ce qui importe dans les témoignages rapportés ici c’est qu’ils permettent d’entrevoir la richesse humaine de toute profession. Pas contre on pourra déplorer que sur le plan de la professionnalité il n’y ai pas davantage de matériau. En particulier, la conclusion sur la formation initiale et continue des enseignants mériterait un vrai travail d’investigation et pas seulement le reflet de sentiments et de demandes. La formation, en particulier continue, qui est le vrai parent pauvre de l’éducation (le seul budget que l’on peut réduire sans vraiment faire de grosses vagues) demande un traitement plus en profondeur. Ce qu’expriment les enseignants est un ensemble de contradictions. Lire ce livre peut être un bon moyen pour commencer à rechercher ces pôles de contradictions qui font de ce métier sa richesse et sa pauvreté…
Bruno Devauchelle
Cepec