En Écosse, le gouvernement a récemment demandé aux enseignants s’ils disposaient, à leur domicile, d’un micro-ordinateur connecté à Internet : 70% ont répondu oui, soit 20% de mieux que l’année précédente. On peut faire l’hypothèse qu’une enquête semblable, réalisée en France – que ne l’a-t-on d’ailleurs pas encore faite ?-, donnerait des résultats sans doute inférieurs, mais peu. Entre les Écossais et nous, il n’y a tout de même pas tant de différence. Cette proportion élevée pourrait être rapprochée d’autres : près d’un foyer français sur quatre connecté à Internet (étude SVM/GFK) mais sensiblement davantage parmi ceux ayant au moins au moins un enfant scolarisé ; et puis les chiffres de connexion des établissements scolaires : 100% dans le secondaire, deux fois moins dans le primaire, mais, eux aussi, sur le chemin des 100%.
Une fois ces chiffres posés, avant d’aller plus loin, il faut répondre à ceux qui se précipitent pour souligner qu’ils n’ont aucune valeur car ce qui compte, ce sont les usages. Certes. S’il y a des machines et pas d’usages, ou bien des usages inefficaces, alors, les machines, aussi nombreuses soient-elles, ne servent effectivement à rien. Franchissons donc ce pas et posons la question : quels sont les usages des TIC par les professeurs et les élèves ? Mais à cette question, nous ne connaissons pas davantage la réponse. Lorsque l’on n’a pas la curiosité de demander aux enseignants s’ils ont un ordinateur chez eux, on ne l’a pas non plus pour s’enquérir de leurs usages, qu’ils soient personnels ou professionnels, à leur domicile, dans leur classe ou ailleurs. Que pourrait-on dire enfin de l’efficacité pédagogique d’usages dont on ne sait rien ?
Arrivé à ce point, seules les opinions comptent. Ceux qui, comme nous, pensent que l’informatique connectée a toute sa place dans les établissements scolaires et chez les enseignants citeront des exemples qui soutiennent cette conviction. Ceux qui pensent le contraire, ou bien doutent, donneront des exemples d’usages inappropriés ou, mieux encore, feront état d’une sous-utilisation globale des équipements installés. Mais en arrière-plan de ces discussions sans fin, la tendance à la généralisation des équipements se confirme : d’ici peu, tous (oui, tous !…) les professeurs et tous (tous aussi !…) les élèves seront des usagers du réseau ; et parmi leurs usages qui ne seront pas tous éducatifs, il y en aura, n’en doutons pas, qui le seront.
Face à cette situation, il serait exagérément pessimiste et même insultant à l’égard des enseignants et des responsables politiques de prétendre que la généralisation des équipements pourrait n’être qu’une bévue ne reposant sur aucun fondement éducatif rationnel. L’origine des TICE remonte à des pratiques pionnières dont la fécondité pédagogique a été démontrée, dans le contexte où elles se sont déroulées. Les observations de terrain récentes, notamment au niveau des académies, montrent qu’à côté de ces usages pionniers se développent des usages ordinaires qui, souvent, satisfont les enseignants qui les mettent en œuvre. Les questions que pose aujourd’hui la généralisation des équipements sont donc, d’une part, l’évaluation de la qualité des usages, d’autre part, celle de la généralisation des » bons usages « , c’est-à-dire des usages reconnus par leur acteurs ou par des observateurs extérieurs, comme pédagogiquement utiles et efficaces. Or, il faudrait être d’une singulière mauvaise foi pour exiger que cette phase de la généralisation se déroule sur le même rythme que celle de l’équipement. Nous avons quelques années devant nous pour relever ce défi et la seule question qui se pose est : comment allons-nous y parvenir ?
C’est une question difficile et il ne faut pas s’étonner qu’elle suscite des réponses multiples. Les autorités administratives penchent, et c’est normal, en faveur de la solution la plus technocratique, celle consistant à repérer les » bonnes pratiques « , celle des » bons enseignants « , et à les donner en exemple à tous. C’est la stratégie suivie depuis plusieurs années par les divers comités mis en place par le ministère pour faire avancer la noble cause de l’innovation. Belle solution sur le papier, cette façon de faire soulève malheureusement plusieurs difficultés pratiques. Celle du repérage d’abord car il faut une autorité pour trancher entre ce qui sera donné en exemple et ce qui ne le sera pas. Celle de l’efficacité ensuite : la constitution d’une base de données n’est pas une solution opératoire au délicat problème du transfert. Par ailleurs, la mise en vedette d’enseignants héroïques et labellisés provoque souvent l’indifférence et parfois, pire, l’agacement ou le découragement, chez les autres.
Face à la solution technocratique, il existe d’autre voies et c’est bien sûr vers celles-là que nous préférons nous tourner. Elles s’appuient sur les dynamiques locales plutôt que sur l’impulsion nationale ; sur tous (oui, tous !…) les enseignants plutôt que sur une poignée d’entre eux ; sur Internet parce que, justement, le réseau est accessible à tous et de partout, et qu’il est le meilleur instrument de lecture et de diffusion permettant de mutualiser les pratiques dans la continuité. Cette dynamique de généralisation par la base et par le réseau n’est pas incompatible avec celle que pilote l’État, par le haut et par l’exemple. L’une et l’autre peuvent cohabiter, c’est d’ailleurs dans cette situation que nous nous trouvons aujourd’hui. En revanche, il n’y a aucune raison pour que l’autorité institutionnelle qui contrôle totalement l’une, ignore absolument l’autre. Il y aurait même du danger à ce que cela perdure. Nous attendons du prochain ministre de l’Éducation nationale qu’il en ait conscience et soit un pilote avisé de la généralisation des usages des TICE.
Nous verrons bien…