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Sur le site de notre partenaire France 5, les liens vers les meilleurs sites pour la BD

« Il est pour moi évident que la Bande Dessinée n’est pas simplement, comme le pensent certains, un outil ou un support pédagogique, mais avant tout un art encore trop méconnu « .

Pourquoi un guide en ligne sur la Bande dessinée dans les C.D.I. ? Pour répondre à cette question, je commencerai par la décomposer.

Tout d’abord, pourquoi un site ? Tout simplement parce qu’Internet était le média idéal pour éditer un travail somme toute modeste qui ne serait jamais paru sous la forme d’un livre, se faire publier n’étant pas quelque chose de simple. Internet m’a permis de tout faire moi-même, de A à Z : textes, choix des illustrations, mise sur support informatique, choix de l’hébergeur. Il n’y a plus, ensuite, qu’à informer les gens susceptibles d’être intéressés de l’existence du site.

La Bande dessinée, ensuite. Au départ, pour moi, il s’agit d’une passion, donc de quelque chose de subjectif. Comment expliquer la magie de l’illustré, les personnages vivant et parlant sur le papier, qu’on retrouve comme des amis ? Nous étions quelques-uns, à huit ans, en 1970, à être des furieux de Pif et de Rahan, d’Astérix et de Tintin, plongés dans ces images qui nous racontaient tant de choses, échangeant et commentant les péripéties que vivaient nos héros. Les années ont passé, les choix de lectures ont évolué, mais la passion est encore là, et je me régale toujours autant devant les récits en images. Il faut dire que la B.D. est un art (si, si !) encore jeune que j’ai vu, comme les gens de ma génération, grandir en même temps que moi. Nous avons vu émerger des auteurs extrêmement talentueux et accompagné l’évolution (la révolution ?) de ce moyen d’expression si particulier, à l’intersection de la littérature et des arts graphiques. Mais ce ne fut pas facile. La Bande dessinée a souffert, et souffre encore, d’un grand discrédit. Longtemps qualifiée de sous-littérature, voire soupçonnée de pervertir la jeunesse, elle n’est encore aujourd’hui que tolérée par un grand nombre de personnes, vue comme une distraction, un loisir pour enfants et adolescents, dont il conviendra de s’éloigner pour mieux s’attaquer à la vraie lecture : celle de la littérature. Hors de question pour elles de considérer une B.D. comme une œuvre artistique à part entière. Bien évidemment, je ne sous-entend pas que toutes les bandes dessinées méritent le titre d’œuvre artistique. Mais que penseriez-vous de quelqu’un qui démolirait le genre romanesque tout entier en vous jetant à la tête les collections roses ou les romans de hall de gare, tout en ignorant jusqu’à l’existence de Victor Hugo ou d’Alexandre Dumas ? C’est pourtant bien ce que se permettent de nombreuses personnes, souvent très cultivées par ailleurs, avec la Bande dessinée

Et ceci nous amène tout doucement à notre troisième point : pourquoi les C.D.I., et partant l’Education Nationale ? Parce que j’y travaille (je suis enseignant-documentaliste), et qu’il me semble que la bande dessinée reste tout particulièrement suspecte dans le milieu éducatif. J’ai l’impression que de nombreux enseignants gardent cette image d’une lecture de bas étage, trop facile et éloignant les jeunes des vraies valeurs de la littérature. Et si fort heureusement ce n’est pas toujours le cas au niveau des professeurs, cela s’avère au niveau de l’institution. Jetons par exemple un coup d’œil aux programmes. Il apparaît rapidement que la place accordée à la Bande dessinée est réduite. On trouve quelques références dans les programmes de français, au chapitre  » Lecture  » ; de la 6e à la 4e, on fait allusion à la B.D. dans la section  » Textes et images « , au niveau de la narration. On notera quand même que toute allusion à la B.D. semble disparaître du programme de 3e.

Par contre, une agréable surprise nous attend quand on consulte la liste des ouvrages dont la lecture est recommandée par le ministère : la B.D. y est très correctement représentée à chaque niveau, et les bibliographies proposées sont très sympathiques : Franquin, Tardi, Gelluck, Roba, Tito, Fred, Pratt, Bilal, Comès, Loustal, et j’en passe. Déjà de quoi constituer un fonds respectable… si les achats qui en découlent sont effectués au niveau des C.D.I. !

Dans les programmes d’arts plastiques, qui paraîtraient pourtant bien placés pour réserver une part à la B.D., le mot d’ordre semble être :  » N’en parlons pas « . Il semble qu’il n’y ait pas la plus petite allusion au 9ème art, ce qui paraît ironique quand on voit que, dans les catégories d’image étudiables sont cités logos, images de presse, images publicitaires et même… images pieuses ! Mais de B.D., point. Dans la tête de ceux qui bâtissent ces programmes, ce n’est visiblement pas de l’art.

Qu’en est-il des manuels scolaires ? S’ils commencent à faire une petite place à la B.D., ils ne l’utilisent guère que pour illustrer un point de cours. Le chapitre sur la narration, entre autres, prend souvent comme exemple une planche ou une demi-planche dont on étudie les dialogues. Mais cela s’arrête là. Rares sont les manuels, même récents, qui explorent l’aspect  » Raconter en image  » ou la relation texte-dessin, et aucun ne propose d’étudier la B.D. en tant que telle, alors qu’on commence à voir apparaître des chapitres consacrés à l’étude d’œuvres cinématographiques. Notons par ailleurs que les concepteurs de ces manuels ne semblent pas tenir la bande dessinée en haute estime. Dans la catégorie du mépris, Hachette décroche le pompon avec son dernier manuel de 5e (paru en 2001) où une seule planche (et pas bien terrible encore) figure dans les sous-chapitres  » La découverte de l’image « . On admirera la définition donnée au passage :  » La B.D. est un récit fragmenté (sic !) en plusieurs vignettes délimitées par un cadre le plus souvent rectangulaire (re-sic !). » Une autre planche est visible dans le chapitre « Clés méthodologiques : Lire l’image « . Elle se trouve à une page intitulée  » Des images pour distraire en racontant  » : il n’est pas question de se cultiver avec la B.D., tout juste de passer le temps. Le manuel de 3e de Belin (paru en 1999) n’est pas mal non plus : dans la section  » Œuvres conseillées  » il reprend à peu près la liste des ouvrages dont la lecture est recommandée par les programmes… en l’expurgeant carrément de la totalité des bandes dessinées ! Notons d’ailleurs que plus on monte en niveau, moins la B.D. est utilisée dans les manuels.

Comme on le voit, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a encore des barrières entre la Bande dessinée et l’Education Nationale, barrières qui résultent trop souvent d’une méconnaissance totale du genre. Beaucoup d’enseignants- documentalistes la méconnaissent, ce qui fait que, souvent, l’on ne trouve dans les bacs que les sempiternels albums de Lucky Luke, d’Astérix, de Tintin, de Boule et Bill, excellents par ailleurs, mais il y a bien d’autres choses à faire découvrir. Une autre tendance est de se rassurer en privilégiant la bande dessinée  » pédagogique  » : on acceptera la forme, pourvu que le fond soit éducatif. C’est ainsi qu’on voit également fleurir dans les bacs des collèges les albums d’Alix et de Vasco, dont l’académisme du dessin et les reconstitutions historiques rassurent les pédagogues. Encore ces séries sont-elles des créations réussies d’auteurs reconnus ; quand on tombe dans la B.D. expressément conçue pour instruire, on se retrouve fréquemment en présence d’horreurs, créations de commande au dessin souvent indigent et au scénario navrant.

A la décharge des enseignants-documentalistes, il faut par ailleurs signaler que les albums de B.D. sont chers : les prix s’échelonnent entre 50 et 120 francs pièce, ce qui représente un handicap certain pour les C.D.I. au budget modeste, et ils sont la majorité. Ainsi il est fréquent que, faute d’argent, on sacrifie l’achat de B.D. à d’autres dépenses jugées plus importantes.

Mais ce tour de l’Education Nationale ne serait pas complet si on oubliait de parler de son acteur le plus important : l’élève ! Qu’en est-il des liens des collégiens et lycéens avec les bandes dessinées ? Il est certain que l’attrait et le plaisir de l’image en font une lecture recherchée, plus facile que celle du roman, et que le coin B.D. est régulièrement fréquenté par de nombreux élèves qui se disputent certains albums. Mais ne nous faisons pas d’illusion : les problèmes que connaissent les documentalistes pour faire se rencontrer ouvrages et lecteurs sont les mêmes pour la B.D. que pour le roman, le conte ou les documentaires : il y a une tendance certaine à aller à la facilité, à céder à l’habitude, à lire ce que l’on connaît déjà et à renâcler devant la nouveauté. Autant l’on s’arrache Astérix, le petit Spirou ou Titeuf, autant Corto Maltese, Silence ou Mauss peuvent rester dans les bacs des mois sans que quiconque y touche. La  » forme  » B.D. est loin d’être suffisante pour provoquer la lecture. Vous pouvez compter sur les élèves pour faire le tri rapidement entre ce qui les attire et ce qui les laisse indifférent. C’est à l’enseignant-documentaliste qu’il revient ensuite de motiver, de faire découvrir, d’initier, de  » pousser  » certaines bandes dessinées comme il le fait avec d’autres ouvrages. Il assumera ainsi sa fonction de passeur, faisant découvrir de nouveaux rivages.

Avec ce site, j’ai voulu donner à mes collègues enseignants-documentalistes quelques clés pour mieux jouer ce rôle de passeur vers la Bande dessinée Il ne s’agit pas d’un site pédagogique au sens propre, mais finalement d’un site bibliographique. Il est pour moi évident que la Bande dessinée n’est pas simplement, comme le pensent certains, un outil ou un support pédagogique, mais avant tout un art encore trop méconnu. Elle a fait la preuve qu’elle n’a pas besoin d’alibi éducatif pour donner des oeuvres dont la qualité et la richesse sont indéniables et dont la présence est tout à fait souhaitable dans tout C.D.I. Et je pense que l’Enseignement, qui a aussi mission de Culture, a vocation à faire découvrir cet art aux élèves comme il le fait pour les autres arts : ni mieux ni moins bien.

Yves Bocquel
http://bdaucdi.multimania.com