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José Roosevelt, scénariste, dessinateur et coloriste, auteur de L’Horloge et de La Table de vénus (éd. Paquet). Né au Brésil, il vit et travaille en Suisse.

« Il faut aimer la BD avant tout. Ca suffit. Le reste vient avec. »



– Comment procédez-vous pour réaliser un album comme La Table de Vénus ?

D’abord, j’écris entièrement l’histoire, qui va s’étendre sur trois albums : c’est l’histoire de l’Antécrhist. Tout est parti d’un gag que j’ai entendu un jour et que j’ai beaucoup aimé, mais qui ne fait jamais rire personne : l’Antéchrist enfant a des parents très riches. Ils reçoivent souvent et ont des invités très classe, et lui s’amuse à les embêter en changeant le vin en eau. Il y a aussi beaucoup d’autres anecdotes qui viennent se rattacher et contribuent à alimenter le scénario.

– Vous partez donc seulement d’un gag ?

En fait, la biographie de l’Antéchrist est fondée sur une documentation plus sérieuse : j’ai fait beaucoup de recherches dans l’encyclopédie universalis, et je me suis aussi inspiré de l’Apocalypse de Saint Jean. C’est la bête de l’Apocalypse qui sera appelée ensuite l’Antéchrist, même si plusieurs personnages le représentent tour à tour.

– Comment construisez-vous le scénario ?

Mes scénarios sont en toile d’araignée. Il y a beaucoup d’annonces, de renvois : par exemple, on parle beaucoup de l’Antéchrist avant qu’il n’apparaisse. Les sept sceaux de l’Apocalypse déterminent le nombre de chapitres : il y a les quatre cavaliers. Le dernier album se terminera comme le septième sceau, qui m’a beaucoup frappé, par la phrase : « Puis il y a eu le silence. »

– L’histoire se passe dans une ville : faites-vous une BD réaliste ?

C’est une fable urbaine. Cela se passe dans une ville, on ne sait pas où. C’est un monde onirique et parallèle, qui n’est pas situé dans le temps ni dans l’espace. Il met en scène des jeunes qui exècrent la télévision. La preuve que c’est de la science-fiction, c’est que la télé est complètement en décadence.

– Et après la mise en place du scénario, comment tout s’organise ?

Je ne mets d’abord en place que les grandes lignes. Le travail de développement se fait ensuite petit à petit. Je rêve et je rumine mon idée. Tout reste dans ma tête pendant six mois, un an. Puis je commence à écrire.
Je fixe le nombre de pages par chapitre. Pour la Table de Vénus, je me suis fixé 144 pages, soit trois albums de 48 pages. Mais quelquefois je rajoute, je coupe. Si j’ai besoin de deux pages de plus, mon éditeur me suit. Ainsi, il y aura 50 pages dans le second volume.

– Les dialogues sont déjà prêts avant la mise en pages ?

J’ai écrit tous les dialogues. Le découpage en pages puis en cases se fait naturellement, je compose au moment même. Quand j’ai une scène importante à mettre en valeur, par exemple, je sais qu’il faut prévoir une grande case.

– Il y a dans La Table de Vénus beaucoup de références et de clins d’oeil à Moebius, à la mythologie… ?

Bien sûr, mais de moins en moins à mesure que je crée mon propre univers. Il y a nécessairement des influences, mais qui n’apparaissent pas volontairement : certains y reconnaissent du Dali, du Moebius, mais je ne le fais pas exprès. C’est simplement une culture dans laquelle j’ai été plongé qui rejaillit. Je fais de plus en plus référence à mes autres BD ; ainsi les personnages de la Table de Vénus font allusion aux personnages de l’Horloge. J’ai repris les mêmes personnages pour les mettre dans un autre univers, une autre histoire, avec un passé différent. Mais graphiquement, ce sont les mêmes.

– Est-ce que vous retravaillez beaucoup vos pages ?

Je fignole beaucoup. Je refais et je refais. Je retravaille le scénario même au moment où je dessine.

– Enfin, vous passez à la couleur ?

Je dessine tout l’album en noir et blanc, puis je mets la couleur : aquarelle et crayon de couleur. J’avais eu recours à un coloriste pour l’Horloge. Cette fois, je fais tout moi-même.

– Il y a beaucoup de monstres dans vos oeuvres, on a l’impression que vous devez beaucoup, surtout dans vos peintures, à Dali, voire à Magritte. Vous définissez-vous comme surréaliste ?

Des monstres ? Mais ce sont de gentils monstres ! Mon univers est onirique. Dans mes rêves, je mélange sans problème l’univers mythologique, des images de films, de la peinture. Mais je n’appartiens à aucun groupe, aucune école. Je ne suis ni surréaliste ni rien du tout.

– Quelle est votre formation ? Comment êtes-vous venu à la BD ?

J’ai passé six mois aux Beaux Arts, mais je n’en ai retiré aucun apprentissage réel. Les profs maintenant pensent avoir pour mission de susciter l’envie de s’exprimer, alors que cette envie doit exister avant. Ce dont on a vraiment besoin, c’est d’apprendre à utiliser les outils mis à notre disposition.

– Vous avez alors commencé une carrière de peintre ?

J’aime avant tout la BD. J’ai appris à lire à trois ans, dans la BD. A six ans j’ai commencé à faire des BD. Quand on me demandait à l’école ce que je voulais faire, je n’avais qu’une réponse : « de la BD ». A quinze ans j’ai commencé à peindre, mais je suis un autodidacte. J’ai appris la peinture dans les musées et dans les livres.

– Que diriez-vous à des jeunes qui voudraient s’orienter dans cette voie ?

Il faut aimer la BD avant tout. Ca suffit. Le reste vient avec. Je ne suis pas un théoricien, je suis même un antithéoricien ; la BD ne s’enseigne pas. Enseigner les règles de la BD, faire de l’analyse de l’équilibre graphique des cases, c’est du bourrage de crâne qui ne fait que terroriser celui qui voudrait se mettre à la BD. Il faut le faire naturellement parce qu’on aime la BD et qu’on est imprégné de cet univers.

– Quels ont été vos modèles ?

Mon idole en matière de dessin, ça a été Carl Barks, le dessinateur inconnu des studios Disney qui dessinait Picsou et Donald dans les années 30 jusqu’en 46. On ne connaissait pas son nom mais on l’appelait « le super dessinateur ». On a connu son nom que beaucoup plus tard.

Propos recueillis par Caroline d’Atabekian et Jacques Julien