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Organisé par l’Institut néerlandais, avec la participation du Monde de l’éducation, le 14 mai 2004 au FIAP (Paris).

Compte-rendu de Serge Pouts-Lajus : Deux systèmes, une quête peu féconde

Le rapprochement de deux systèmes éducatifs est un exercice stimulant. Les organisateurs du colloque (le Monde de l’éducation et l’institut néerlandais) ont eu la bonne idée de le faire sortir du cercle fermé des « comparatistes ». Le regard porté par les Français sur le système néerlandais, par exemple celui d’une directrice d’école française en visite dans une école néerlandaise dans le cadre d’un programme d’échange de l’Union européenne (Comenius), fait immédiatement ressortir un trait qui apparaît comme une qualité, contrastant nettement avec les rigidités bien connues de l’école française : « Aux Pays-Bas, l’école accueille un enfant ; il y a des jeux dans les couloirs, un toboggan dans la cour. Pas de clefs aux portes, pas de grilles autour des bâtiments. Les parents sont très présents dans l’école, ils aident les enseignants, ils sont chez eux. L’élève a du temps ; on ne le presse pas comme chez nous ; il a peu de travail et son cartable est léger. Et pourtant, à 14h30, tout le monde est parti. Les enfants jouent dehors l’après-midi. Chez nous, les enfants, dès le primaire, sortent de l’école à 18h avec du travail. Aux Pays-Bas, il n’y a pas de notes et donc pas de drame. Les enfants et les adultes parlent bien anglais. Ils sont à l’aise avec les TIC. Les profs travaillent ensemble, ils se voient, passent des week-ends ensemble. »

Un paradis pédagogique ?

Les Pays-Bas sont-ils donc un paradis pédagogique dont il ne resterait plus qu’à nous inspirer ? Pas vraiment. Une mère d’élèves française vivant aux Pays-Bas et deux universitaires néerlandaises connaissant bien leur système éducatif national viennent compléter le tableau : « Aux Pays-Bas, l’enfant apprend seul, l’enseignant facilite mais il est aussi un spectateur. Pour l’enfant qui ne fonctionne pas, c’est tant pis pour lui. Le système est hypocrite. C’est vrai que les parents sont très présents pour les activités sociales, mais pas pour les activités intellectuelles ». A l’issue de l’école primaire, à 12 ans, les élèves sont orientés dans l’une des trois branches : VWO qui conduit à l’université, HAVO à une formation professionnelle supérieure et VMBO à une formation professionnelle courte. La sélection se fait sur la base des résultats à un test national. Les élèves de l’école primaire ne sont pas notés mais dès l’âge de 6 ans, ils sont soumis à des tests dont les résultats restent secrets ou ne sont communiqués qu’oralement aux parents qui le demandent. A 12 ans, on découvre brutalement comment on est orienté. Fin du rêve. Le système éducatif néerlandais apparaît comme brutalement sélectif et ségrégatif : 80% des élèves sont scolarisés dans des établissements privés et la concentration des enfants issus de l’immigration dans certaines écoles est devenue telle que l’on parle à leur propos d’« écoles noires »…

Claude Thélot et Claude Lelièvre, respectivement Président et membre de la commission du débat national sur l’avenir de l’école, étaient là pour dire que le système français, attaché par principe et par tradition à l’égalité scolaire, traversait une crise profonde et n’était par conséquent pas en position de donner des leçons à aucun de ses voisins. Pour Claude Thélot, le débat a fait ressortir une demande consensuelle adressée à l’école pour qu’elle fasse « vraiment réussir tous ses élèves ». Pour la commission, cette réussite passe nécessairement par la définition d’une culture commune, d’un socle de « connaissances indispensables ». Or, comme le souligne l’historien Claude Lelièvre, cette définition de ce socle « minimal » que, pudiquement, on préfère appeler « indispensable », pose depuis plus de 40 ans un problème insoluble, malgré la qualité des experts mobilisés tout au long de ces décennies pour le résoudre : Bourdieu, Gros, Dubet et aujourd’hui Thélot, Lelièvre et beaucoup d’autres. D’où la terrible menace que Lelièvre fait planer au-dessus de nos têtes : « il est temps aujourd’hui, soit d’y répondre, soit de l’enterrer définitivement et d’en faire son deuil. »

Contrôle et imprévu

Un sociologue néerlandais, Geert Hofstede, mondialement connu pour avoir, tout au long de sa carrière de chercheur, analysé les différences culturelles et classé les caractéristiques des cultures nationales et régionales, applique ses résultats à une comparaison entre les cultures néerlandaises et françaises. A côté de traits communs concernant l’équilibre individualisme / collectivisme ou l’appréhension de l’avenir, les cultures néerlandaises et françaises se distinguent surtout sur deux plans.

L’inégalité des statuts et la distance hiérarchique sont forts en France : l’enseignant est porteur d’autorité, fait régner la discipline dans la classe et prend les initiatives. Elles sont beaucoup plus souples aux Pays Bas où les rapports sont plus égalitaires et la communication mutuelle est encouragée. En France, on se soucie d’abord de l’éducation des élites, alors que c’est vers l’éducation de la classe moyenne que tend le système néerlandais.

La gestion de l’imprévu est le deuxième trait qui distingue fortement les deux cultures : le contrôle est très intense en France, beaucoup plus lâche aux Pays-Bas. Le système français est rigide, intolérant, il favorise les comportements émotionnels et excessifs ; les programmes sont contraignants et les parents sont neutralisés. A l’inverse, aux Pays-Bas, les programmes sont ouverts et les parents considérés comme des ressources ; le système favorise la flexibilité, les comportements réservés et peu intellectualisés.

Une conclusion provisoire, ironique et personnelle.

Les systèmes éducatifs français et néerlandais rencontrent des difficultés dont certaines sont semblables parce qu’elles proviennent d’une évolution commune de leurs environnements respectifs : sécurité et intégration de populations immigrées. Mais pour des systèmes si différents dans leurs fondements culturels et leurs organisations (long tronc commun en France, différentiation précoce aux Pays-Bas), les diagnostics et les solutions envisagées varient considérablement. Les deux systèmes semblent toutefois aussi incapables l’un que l’autre d’envisager de façon concrète une solution à la crise qu’ils traversent et dont ils craignent qu’elle ne fasse que s’aggraver si rien n’est fait. On peut être tenté de chercher chez l’autre l’inspiration pour résoudre les problèmes que l’on ne parvient pas à résoudre chez soi et que l’autre ne rencontre pas. Mais la cohérence interne des cultures rend cette quête peu féconde.

Dans sa présentation, Geert Hofstede a rappelé que ses analyses sont complétées par celles du Français Philippe d’Iribarne qui a montré que la cohérence de la culture néerlandaise repose principalement sur la recherche du consensus, tandis que celle de la culture française repose sur des logiques d’honneur.

A la lumière de cette analyse comparative, on peut donc s’étonner que ce soient les Français qui aient cherché, à travers le débat, à constituer un consensus sur l’avenir de leur école. La culture du consensus, ce n’est pas la leur mais celle de leurs voisins néerlandais ! C’était donc aux Pays-Bas que la Commission Thélot aurait du officier ! Si nos voisins néerlandais commettaient une erreur symétrique de la nôtre, alors nous pourrions peut-être nous inspirer de la méthode qu’ils mettraient en œuvre pour réformer leur système éducatif : elle pourrait nous convenir mieux qu’à eux…

Serge Pouts-Lajus