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Créées à l’initiative de la ville de Rennes et de la Ligue de l’Enseignement, les 5èmes Rencontres nationales de l’Education viennent de se terminer. Le thème de cette année,  » Education et territoires : Refonder le service public d’éducation « , pose l’idée que le découpage ancien, du système de formation, entre scolaire/périscolaire/extrascolaire/post scolaire, a vécu : le moment est venu d’interroger les missions des institutions concernées. Les lois de décentralisation et la déconcentration des services de l’Etat ont modifié le positionnement des divers acteurs de l’éducation. La notion même de service public est aujourd’hui en débat, notamment par l’exigence de participation des usagers.

Cette nouvelle approche politique en éducation, souvent résumée dans le concept de  » pilotage partagé  » sera-t-elle capable d’amener des transformations décisives dans les articulations entre les différents espaces éducatifs, dans l’espoir d’une meilleure efficacité ? Porte-t-il en germe le risque de dilution des objectifs scolaires (l’appropriation des savoirs ? Comment imaginer des solutions qui cessent de prendre les acteurs de terrain pour des exécutants de  » projets  » élaborés par les technostructures, mais au contraire favorise la collaboration entre professionnels efficaces ?

Autant d’interrogations qui ont traversé ces Rencontres pendant 3 jours de travaux, conférences, ateliers et tables rondes.

Pour Edmond Hervé, le Maire de Rennes, la première nécessité est de  » lever le principe de suspicion, de restaurer la confiance entre école-société et société-école « . Et si la décentralisation et la déconcentration permettent de pouvoir contractualiser les projets éducatifs en les adaptant aux réalités locales. Mais il n’en demeure pas moins qu’il faut  » un pilote national qui mette un frein aux reformes incessantes et en tous sens, les temps politiques étant bien différents des temps scientifiques « .  » Travailler un projet éducatif redonnera sens et profondeur pour l’école « .

Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l’Enseignement, n’a pas mâché ses mots pour qualifier l’actuelle politique en matière d’éducation :  » Se taire aujourd’hui est dangereux. Il y a une espèce de naturalisation des inégalités, une institutionnalisation du racisme qui fait que l’école n’est plus un lieu de convergences.  » Si pour lui,  » la réforme Fillon est une véritable régression « , et ni les injonctions pédagogiques de De Robien, ni la marchandisation de l’école et la suppression de la carte scolaire rendront une cohésion sociale dans ce pays. L’Etat en a, seul, la responsabilité, au-delà de toute  » temporalité « .

L’Etat, il en a beaucoup été question dans l’intervention d’Yves Dutercq, professeur des Universités et membre du Centre de recherche en Education de Nantes :  » Education Nationale, service public ou service du public ?  »

Pour lui, l’Etat est devenu  » plus garant du principe de liberté que d’égalité par le transfert de compétences aux régions et aux territoires « . Si au niveau mondial, l’inquiétude est grande devant la montée des régulations des systèmes éducatifs par l’introduction de la notion de  » marché « , la France, à un degré moindre, n’est pas épargnée non plus : cours privés de soutien scolaire, lobbys libéraux à l’OCDE, à l’UE, stratégies de concurrence appréciées des parents, prérogatives de plus en plus affirmées des usagers.  » L’école est devenu un lieu où s’exerce le droit commun « .

L’Etat central est devenu une autorité lointaine. La décentralisation et la déconcentration nécessitent donc des  » multi-régulations de contrôle (pour les normes, les standards et les réglementations) et d’autonomie pour favoriser l’action, les règles du jeu « . Alors, oui à la notion de  » gouvernance  » qui s’opposerait au pouvoir absolu et à l’anarchie des marchés ? La question reste posée.

Si la décentralisation de l’Education Nationale ne semble pas être à l’ordre du jour, c’est plutôt  » la voie de la contractualisation, forme de régulation entre les différents niveaux de l’Education Nationale, qui permettra une adéquation de tous et des prises de responsabilité pour partager les diagnostics et les compétences « . Trois évolutions sont donc nécessaires, selon lui : évolution des professionnels (qu’est-ce qu’on fait et pourquoi), évolution des niveaux de responsabilité et évolution du rôle de l’Etat : non plus assimilation ou intégration forcée, mais surtout  » régulateur des régulations « , avec un rôle important de médiateur des collectivités locales et territoriales. Ce serait donc la fin de l’Etat-providence.

C’est Jacques Auxiette, président du Conseil Régional des Pays de Loire et président de la Commission éducation de l’Association des régions de France, qui fut le plus virulent à cet égard :  » Les Régions ne sont ni des sous-traitants, ni des sous-produits de l’Etat. Elles ne peuvent être réduites à de simples exécutants ! (…) Les Services Publics, une exclusivité de l’Etat ? Cela se saurait s’il faisait le nécessaire !  »

Pourlui, les régions sont porteuses de sens et de responsabilité du fait même de la proximité avec la population. Leurs expertises et leurs engagements au service de tous doivent être davantage reconnus : la territorialisation peut réduire les inégalités d’accès à la formation, réhabiliter les politiques publiques, renouer avec la jeunesse, de par les compétences que leur donne la décentralisation : apprentissage, formation professionnelle, VAE, formation sanitaire et sociale, AFPA, TICE… 50% de leurs budgets portent sur l’éducatif.  » Il faut un Service Public Régional de l’Education, avec un projet éducatif portant sur des actions et des missions, sur les propres compétences de la Région, et financées par le Conseil Régional. Les CA des établissements seraient saisis de ces possibilités et liberté aux équipes pédagogiques de s’en emparer ou pas.  »

J. Auxiette affirme que « les Régions sont les ensembliers de la formation « , tout en reconnaissant à l’Etat régalien son rôle toujours nécessaire de régulateur et de stratège. Mais  » l’indigence de l’Etat au niveau de ses moyens « , rend également nécessaire l’introduction d’une péréquation financière et de moyens.

Une vingtaine d’ateliers ont ensuite éclairé plus concrètement la problématique de l’éducation et des territoires, à partir d’expériences locales, avec des partenaires très divers : conseillers municipaux adjoints aux maires, formateurs d’IUFM, Conseils Généraux, associations de villes ou de quartiers, représentants d’écoles, de collèges, de lycées, de grandes écoles…

D’une très grande qualité de rendus d’expériences menées dans toute le France, toutes avaient un point commun incontournable : un Projet Educatif Local, lorsqu’il est porté par un projet politique, incluant toutes les composantes éducatives d’une ville ou d’un département, nécessite la transparence, la confiance et le respect de chacun dans son propre champ de compétences.

Si l’ingéniérie des politiques publiques éducatives restent nécessaires, c’est surtout l’enjeu porté par le débat public local et l’engagement des acteurs qui font la réussite de tous ces Projets Educatifs.

Gérard Moreau, Président de la Ligue d’Ille et Vilaine, livre au Café sa conclusion :

« Je suis très satisfait de la qualité des témoignages d’expériences rapportées pendant les ateliers. Il se passe des choses dans toute la France qui ont pour seul objectif la réussite de tous. L’élitisme républicain et la constante macabre seraient-ils en recul ?

Un seul regret : aucun représentant de l’Education Nationale, départemental et académique, n’a daigné répondre à notre invitation. Est-ce dû à la caporalisation actuelle ? ou la Ligue serait-elle devenue trop contestataire ?…

Une conviction : quand on parle d’éducation, c’est d’abord l’affaire de tous les citoyens et pas seulement une expertise de l’Education Nationale ni de l’Education populaire. Et il y a une urgente nécessité à s’attaquer au système administratif qui gère l’Education Nationale, pas pour plus d’autonomie mais pour davantage de responsabilisation de tous, à tous les étages.

Et un projet : pour les prochaines rencontres de l’Education, on va introduire une notion européenne par des thématiques transversales.  » Il donne rendez-vous dans 2 ans, espérant que d’ici-là  » les choses aient changé… Restons engagés et gardons espoir.  »

Reportage : Ginette Bret

Page publiée le 15-10-2006