|
||
La méritocratie disséquée par F. Dubet et M. Duru-Bellat ” S’il est évident que chacun a intérêt à élever son niveau de diplôme, ne serait-ce que pour résister au déclassement, ce choix rationnel au niveau individuel entretient lui-même le déclassement général des diplômés au niveau collectif. Et, dans ce mécanisme, ce sont les plus faibles qui perdent le plus. Notre société a du mal à se défaire de l’illusion selon laquelle les diplômes pourraient se multiplier sans que leur relation à l’emploi n’évolue profondément”. Pour F. Dubet et M. Duru-Bellat, la qualification scolaire croissante des jeunes s’accompagne de leur déclassement. Cette situation marque d’abord l’Ecole où elle génère le décrochage. ” L’affirmation un peu rituelle et vaguement hypocrite selon laquelle les études paient toujours ne doit pas masquer le fait que le doute s’installe quant à l’utilité de ces études”. Socialement il durçit les oppositions et déplace les représentations. ” Dans les classes moyennes, la peur de la chute se manifeste par des phénomènes de fermeture et d’évitement tout aussi marquants. Fermeture sur les avantages acquis et les statuts”. Politiquement, ” l’emprise du déclassement et de la peur de tomber entraîne insensiblement une transformation des cadres de la représentation politique” coupant le pays entre ceux qui pensent tirer profit de la globalisation et les autres. C’est le mythe républicain lui-même qui est atteint. ” Quelle croyance partagée peut remplacer la confiance dans le progrès quand les schémas hérités des Trente Glorieuses relèvent de l’illusion nostalgique ? Quelles sont les politiques sociales les plus justes possibles quand le déclin de la croissance conduit à partager des sacrifices et des pertes bien plus que des bénéfices ? Enfin, et la question irrigue désormais la totalité de nos débats, que sont la nation et la citoyenneté quand l’Etat et les classes dirigeantes nationales ne paraissent plus maîtriser l’avenir ?” Cette perspective du déclin français doit-elle nous amener à chercher pour l’Ecole une autre justification que son utilité professionnelle ? Sans doute. L’Ecole a toujours transmis autre chose que des perspectives de réussite sociale. Mais on ne saurait se contenter d’une Ecole totalement détachée des besoins de la société. L’analyse du devenir de nos élèves, par exemple les travaux du Céreq, montre que, si les diplômes se sont effectivement globalement dévalués, le fossé reste grand en terme d’accès à l’emploi, de précarité et de rémunération entre les niveaux de qualification scolaire. Les entreprises exigent des qualifications croissantes et ce n’est pas toujours du à une concurrence sur le marché de l’emploi : c’est aussi que tous les emplois sont affectés par l’évolution technique et sociale et nécessitent de nouvelles qualifications. D’ailleurs, ce serait faire un contresens que croire que nos auteurs prêchent pour les sorties précoces du système scolaire et l’apprentissage à 14 ans. Reste la question du mythe fondateur collectif et de l’attitude face à l’avenir. L’inflation scolaire Elle remet en question l’enseignement supérieur et son mode de financement. ” On constate que les études des plus aisés coûtent le plus cher. Par exemple, la différence entre le coût d’une 1ère année en droit et celui d’une année en ENS est de 1 à 13. Or il y a 80% d’enfants de cadres en ENS ! Dans ces conditions, ce serait beaucoup plus juste de faire payer. Mais cela supposerait que les études aient des débouchés. Or le rendement de certaines filières n’est pas extraordinaire. Là aussi on est coincé, alors que des frais de scolarité significatifs, compensés par des bourses, seraient plus justes”. Banlieues, Ecole et exclusion pour F. Dubet Pour le sociologue, “l’exclusion s’est également accrue car la volonté d’intégration s’est renforcée. Il y a 20 ans, on arrêtait les études après le collège, maintenant, 70% d’une génération atteint le bac, donc l’école et les stages deviennent très importants, mais on avale les enfants des quartiers et on les relègue dans les filières mauvaises. Ils partagent ce sentiment : “L’école m’oblige à y aller, pour m’exclure. L’école est la seule manière que j’ai de m’en sortir, mais elle ne me propose rien d’efficace.” Donc, on est piégés par les institutions, même si celles-ci font un effort pour qu’on s’en sorte. Il faut aussi dire que les systèmes sont entièrement contrôlés par les blancs”. François Dubet souligne un changement radical qui s’opère dans la lecture de la crise. “Ce qui me frappe finalement, ce n’est pas que les quartiers ont changé, c’est que la vision qu’en a la société a changé. On est complètement dans une déseuphémisation du langage. On ne dit plus “enfants d’ouvriers” mais “cas sociaux, handicapés sociaux”. Maintenant, il s’est créé l’idée que les vraies victimes sont les classes moyennes qui vont au front de ces quartiers. Résultat, des réformes comme l’apprentissage à 14 ans, la fin du collège unique, sont passées très facilement. On manipule le sentiment d’insécurité : une frontière se forme entre les “gens normaux” et ceux qui, parce qu’ils sont victimes, deviennent dangereux. Maintenant, on critique violemment les inégalités sociales, mais on critique aussi violemment le pauvre. Et les classes moyennes ont des sentiments de sympathie pour les pauvres tant qu’ils peuvent assurer leur fuite, qu’ils ne sont pas obligés de fréquenter le même établissement scolaire”. L’impact éducatif des TICE confirmé par une seconde étude Ainsi, si les élèves qui n’ont pas accès à un ordinateur à la maison ont des résultats nettement inférieurs, “c’est partiellement parce qu’ils proviennent plus fréquemment de milieux défavorisés, mais l’écart constaté ne peut s’expliquer par le statut social”. Pour autant, l’étude de l’OCDE n’établit pas un lien évident entre l’usage des TIC et la réussite scolaire : “on peut difficilement distinguer les élèves qui effectuent fréquemment des recherches sur Internet de ceux qui le font occasionnellement, même si ceux qui le font rarement ou jamais ont de moins bons résultats scolaires… Ceux qui utilisent le plus l’ordinateur ne l’utilisent pas forcément au mieux”. Ce qui est particulièrement intéressant c’est que cette étude confirme le résultat d’une autre recherche. Signalée dans L’Expresso du 25 janvier, celle-ci se basait sur d’autres données : celles des tests américains mais arrivait à la même conclusion : ” Les adolescents qui ont un ordinateur à la maison ont 6 à 8% de chances en plus de réussir leur lycée que les adolescents qui n’ont pas d’ordinateur à la maison compte tenu des variables familiales et sociales”. L’étude OCDE apporte des explications à ce rapport entre TICE et résultats scolaires. Contrairement à ce que beaucoup d’enseignants pensent, les jeunes n’utilisent pas l’ordinateur que pour jouer. Le jeu vient en troisième position dans les usages derrière le courrier électronique (de tous types) et la recherche sur Internet. Suivent, à un faible écart, l’utilisation du traitement de texte et de supports éducatifs. Ainsi l’ordinateur est bien un outil d’accès à la culture contemporaine. Ces deux études soulèvent d’importantes questions pour l’Ecole. D’abord elles soulignent l’importance de l’utilisation à la maison des TIC. Si l’ordinateur à l’école peut compenser en partie le manque d’équipement à la maison, le fait de posséder un ordinateur chez soi est le facteur le plus clair de réussite. On devine alors l’importance d’une politique effective de lutte contre la fracture numérique. On ne saurait se contenter de ficelles marketing du type de “l’ordinateur à un euro” qui ont plus d’effet médiatique que réel pour les couches populaires. Elle pose aussi plusieurs questions sur les usages scolaires des TICE. Certains types d’apprentissage sont meilleurs que d’autres et l’enquête reste muette pour les définir. Mais, dans tous les cas, une bonne maîtrise des TIC est liée à de bons résultats. Or les jeunes en France ont souvent fait un apprentissage autodidacte des TIC et leur maîtrise est souvent insuffisante. Cela apparaît par exemple dans la recherche de l’information sur Internet. Les jeunes n’utilisent souvent plus qu’Internet dans leur quête culturelle. Or il faut souvent faire désapprendre aux élèves des modes de recherche inadaptés. La responsabilité de l’Ecole est donc particulièrement importante en ce domaine, pas uniquement pour préparer un avenir social ou professionnel mais pour le développement culturel des jeunes. Cela conforte, si besoin est, l’importance du B2i. Quels projets pour l’Europe des écoles ? Jean-Richard Cytermann, Ehess, estime que les pays d’Europe partagent davantage des problèmes éducatifs communs que des programmes communs. “Dans le processus européen, on peut trouver à la fois des raisons de craindre des dérives libérales et des raisons d’espérer. Tous les futurs me paraissent encore possibles. L’Europe éducative sera ce que les gouvernements, mais aussi les Européens eux-mêmes, voudront”. Les actes témoignent de ces craintes et de ces attentes. Luce Pépin, Daniel Bloch mettent en valeur les stratégies européennes pour faire entrer le système éducatif français dans l’économie de la connaissance. Mais ce numéro hors-série des Cahiers d’Education & Devenir donne aussi la parole aux syndicalistes et à des enseignants de terrain venus de différents pays européens. Ils nous permettent ainsi de réfléchir à la mise en place de cette Europe des écoles. Education en état d’urgence L’INEE a tenue du 26 au 28 janvier une réunion à Nairobi pour fixer des standards minimums pour l’éducation en situation d’urgence. L’enjeu est de taille : de bons standards peuvent permettre de sauver des vies et faciliter la reconstruction du système éducatif. Pour le moment, la participation française à l’Inee se limite à celle de Mme Storti qui a traduit en français le manuel des standards. “L’enjeu de l’éducation est décisif pour des millions d’enfants en situation précaire et parce que l’influence éducative, pédagogique, intellectuelle, culturelle s’exerce aussi dans des réseaux de ce genre. D’autant plus que dans le domaine de l’éducation, entre urgence, réhabilitation, reconstruction, développement, les frontières sont floues, les besoins superposés” plaide M. Storti. Violences scolaires : les pistes de P. Meirieu ” Nous payons aujourd’hui au prix fort l’abandon de notre patrimoine pédagogique” affirme-t-il. Et il avance quelques pistes pour faire face au problème : ” une formation initiale et continue des enseignants renforcée sur les questions pédagogiques,… une reconstruction complète de la fonction d’encadrement dans l’Education nationale, … une redynamisation des projets d’établissement dans une logique pédagogique” et un travail sur la carte scolaire et la parentalité. De nouveaux modes de régulation de l’Ecole se mettent en place en Europe affirme Christian Maroy Christian Maroy constate que “la variété des pays et le nombre des pays touchés par ces réformes suggèrent que ces changements ne sont pas seulement conjoncturels mais qu’ils apparaissent comme les signes d’un changement de régime de régulation”. Il constate des évolutions convergentes entre pays européens : autonomie accrue des établissements, recherche d’un point d’équilibre entre centralisation et décentralisation, montée de l’évaluation externe des établissements, promotion du choix de l’école par les parents, diversification de l’offre scolaire et érosion de l’autonomie de l’enseignant. Par conséquent, pour lui, le modèle “bureaucratico-professionnel”, marqué par une standardisation élaborée par l’Etat accompagnée d’une large autonomie individuelle des enseignants mis en place dans les années soixante, est en train de s’effacer devant un nouveau modèle. Ou plutôt devant deux modèles de gouvernance “post-bureaucratiques” : la régulation par le quasi-marché et la gouvernance par les résultats. “Tout se passe comme si les politiques éducatives tendaient, à des degrés et avec des temporalités variables à converger partiellement du point de vue des modèles de gouvernance et régulation qu’elles cherchent à installer. D’une part, certains traits partiels d’un Etat évaluateur tendent à se mettre en place et on assiste à un renforcement de la volonté d’évaluation, de contrôle, de suivi des Etats sur les « producteurs » (notamment les établissements et leurs agents) et les « produits » de leurs systèmes éducatifs (les acquisitions des élèves) notamment par le biais d’outils d’évaluation. D’autre part de façon beaucoup plus variable, des ingrédients d’un modèle de marché sont introduits par la promotion de dispositifs favorisant davantage le libre choix des usagers, plus rarement par la valorisation des vertus de la concurrence entre établissements scolaires. Enfin, par le renforcement de leur autonomie de gestion, les établissements sont appelés à se mobiliser pour améliorer leur fonctionnement ou leurs résultats, en réponse aux besoins divers de leurs usagers ou aux objectifs assignés par des autorités locales ou centrales de tutelle”. Cette évolution vient de loin. “Plusieurs facteurs économiques, sociaux et culturels sous-tendent ces processus de convergence : montée de demandes croissantes de l’économie à l’égard de l’éducation, contexte politique néo-libéral, crise de légitimité de l’Etat-providence, inquiétudes et demandes sociales des classes moyennes à l’égard de l’éducation, et enfin, l’effet de contamination de modèles favorisés par divers acteurs et instances internationales”. D’où pour C.Maroy deux interrogations : ces nouveaux modèles assurent-ils plus d’équité et d’efficacité ? Quelles conséquences ont-ils sur les acteurs du système éducatif ? Sur le premier point, il estime que “les résultats des recherches sur les incidences du quasi-marché restent cependant controversés : d’un côté nombre d’auteurs comme Lauder et Hughes (1999) et Gewirtz et alii (1995) concluent que le quasi-marché renforce les inégalités et les ségrégations scolaires, alors que Gorard et collègues (2003) affirment que la ségrégation scolaire ne s’est pas renforcé en Angleterre tout au long des années 90… Par contre, l’analyse de l’effet des dispositifs de l’Etat-évaluateur reste encore largement en friche pour ce qui concerne l’impact sur l’efficacité ou l’équité des systèmes”. Sur le second point, on ne s’étonnera pas de retrouver une thèse déjà développée par C. Maroy : le nouveau mode de gouvernance complexifie le travail enseignant. “Plus largement, on peut se demander si cela ne diminue pas leur autonomie professionnelle et si un nouveau régime de « performativité » n’envahit pas le monde scolaire comme plus largement l’ensemble des politiques sociales de l’Etat. Dans un tel régime, comme l’avance Stephen Ball (2003), ces personnels sont soumis à plusieurs pressions nouvelles : tensions entre leurs éthiques humanistes et les attentes de résultats visibles attendus par les nouveaux dispositifs d’évaluation étatiques, orientation de leurs pratiques vers la production de « fabrications », d’artefacts qui justifient leurs actions, mais leur laissent un douloureux sentiment d’inauthenticité. Par ailleurs, ce sont aussi les fonctions de direction des établissements qui sont redéfinies dans une optique plus managériale, supposée améliorer l’efficacité et la pertinence des actions des établissements (Gewirtz, 2002)”. Cette étude, qui paraît au moment où les choses s’accélèrent en France, permet d’appréhender plus globalement l’évolution du système éducatif. Il faut noter qu’en France on assiste en plus à une tentative d’inversion réactionnaire des pratiques pédagogiques. C’est très clair par exemple en ce qui concerne la lecture ou les zep. L’objectif ne semble pas être celui d’assurer plus d’équité et d’efficacité… L’Unesco recommande une décentralisation maîtrisée Pour l’organisation internationale, la décentralisation peut améliorer la qualité de l’éducation et régénérer son administration. Mais ça ne peut être le cas que si elle est un outil de participation sociale et si elle s’accompagne de la formation des acteurs de l’Ecole. Elle nécessite des structures de pilotage. Alsic : Langues et systèmes d’information Catherine Caws montre comment des exercices collaboratifs sur Internet peuvent amener un renouveau de l’engagement des étudiants en FLE et une véritable réflexion sur leurs stratégies d’apprentissage. Martine Eisenbeis et Nicolas Marti montrent l’intérêt d’une autre démarche : la création d’un site Internet pour l’apprentissage du FLE. Leur article analyse les spécificités du site Internet, la place de la médiation humaine et ses effets sur la répartition des rôles. Psychologues et pédopsychiatres refusent la médicalisation du mal-être social “Les professionnels sont invités à repérer des facteurs de risque prénataux et périnataux, génétiques, environnementaux et liés au tempérament et à la personnalité. Pour exemple sont évoqués à propos de jeunes enfants « des traits de caractère tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme » et la notion « d’héritabilité (génétique] du trouble des conduites ». Le rapport insiste sur le dépistage à 36 mois des signes suivants : « indocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas », etc. Faudra-t-il aller dénicher à la crèche les voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ? Devant ces symptômes, les enfants dépistés seraient soumis à une batterie de tests élaborés sur la base des théories de neuropsychologie comportementaliste qui permettent de repérer toute déviance à une norme établie selon les critères de la littérature scientifique anglo-saxonne. Avec une telle approche déterministe et suivant un implacable principe de linéarité, le moindre geste, les premières bêtises d’enfant risquent d’être interprétés comme l’expression d’une personnalité pathologique qu’il conviendrait de neutraliser au plus vite par une série de mesures associant rééducation et psychothérapie. A partir de six ans, l’administration de médicaments, psychostimulants et thymorégulateurs devrait permettre de venir à bout des plus récalcitrants”. Pour les signataires, “l’expertise de l’INSERM, en médicalisant à l’extrême des phénomènes d’ordre éducatif, psychologique et social, entretient la confusion entre malaise social et souffrance psychique, voire maladie héréditaire. En stigmatisant comme pathologique toute manifestation vive d’opposition inhérente au développement psychique de l’enfant, en isolant les symptômes de leur signification dans le parcours de chacun, en les considérant comme facteurs prédictifs de délinquance, l’abord du développement singulier de l’être humain est nié et la pensée soignante robotisée”. Les signataires refusent ” la médicalisation ou la psychiatrisation de toute manifestation de mal-être social” et s’engagent à “préserver dans nos pratiques professionnelles et sociales la pluralité des approches dans les domaines médical, psychologique, social, éducatif… vis-à-vis des difficultés des enfants en prenant en compte la singularité de chacun au sein de son environnement”. Critique de la rhétorique anti-pédagogique Sur le site d’Education & Devenir, Michel Fabre, philosophe, directeur du CREN, analyse le discours des “républicains”. “Le refus du temps et de l’histoire conduit au primat d’une argumentation formelle, à la fois impeccable et vide : un “géométrisme abstrait ” qui s’épuise dans une symétrie manichéenne, sans dialectique ni compromis”. 7000 signataires pour l’appel contre le renoncement Dans Fenêtres sur cours, Jean-Yves Rochex, Paris 8, explique les motivations de l’appel lancé avec d’autres chercheurs pour dire “non au renoncement” à l’Ecole. Le site a déjà recueilli près de 7 000 signatures.
|
||