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Rencontre avec Lydie Villemard du Réseau « Ethique et Pédagogie «
Il était fatal que notre magazine croise le chemin du » Réseau « . D’abord parce que, dans ma pratique d’enseignant, j’ai découvert que les établissements liés au réseau proposent des solutions humainement et pédagogiquement valables à des situations scolaires où seule l’exclusion se profilait à l’horizon. Ensuite parce que le réseau est quelque chose d’original et qui correspond bien à l’esprit de ce magazine : rendre compte des réalisation de terrain, soutenir les initiatives et la créativité des enseignants. – Lydie Villemard, comment avez-vous connu le réseau ? – Je suis entrée à l’éducation nationale par la petite porte, une erreur d’orientation m’avait amenée à intégrer une école de commerce où j’ai obtenu un diplôme d’hôtesse. Mais au bout de cinq ans en entreprise je me suis ennuyée et j’ai repris mes études grâce au CNTE (l’actuel CNED) ; j’ai été maîtresse auxiliaire plusieurs années, le temps de décrocher mon CAPES de lettres modernes. En tout j’ai enseigné avec bonheur 17 ans. Mais je ne voulais pas devenir un » vieux prof « . J’ai donc changé de voie et je suis devenue une administrative voici dix ans. Je suis actuellement principal adjoint d’un collège de banlieue des Hauts de Seine où j’ai rencontré Aline Peignault la fondatrice du Réseau Ethique et Pédagogie. C’est elle qui m’a invité au Réseau, qui n’était en 1996 qu’un petit groupe de gens décidés à se parler, à s’écouter et à » parler » l’école, décidés aussi à mettre en commun leur expérience pour tâcher de faire mieux pour les élèves, là où ils étaient. C’est cette idée d’expérience partagée et de meilleure prise en compte des élèves qui m’a séduite, peut-être aussi à cause de ma désagréable (et longue) expérience de » mauvaise élève « . – Quand on lit les textes du réseau, ce qui frappe c’est l’absence de référence aux » chapelles » professionnelles ou pédagogiques, pourtant très actives dans ce métier, le refus des dogmes et l’ancrage dans le vécu des profs. Alors avez vous un projet de société ? Si oui comment cela s’articule-t-il avec votre projet pédagogique ? – Il me semble effectivement que les dogmes sont dangereux, pas nécessairement par ce qu’ils professent d’ailleurs, mais à cause de leur rigidité : celle de leur structure pyramidale et souvent de leur fonctionnement. Ce que je crois original dans le Réseau c’est, justement, sa souplesse, sa » fluidité « , la possibilité que nous nous donnons de glaner, d’emprunter des idées que nous croyons justes (au sens de Paul Ricoeur) et de les faire vivre dans nos pratiques… quand c’est possible. Ce n’est pas une association loi 1901, il n’y a pas de cotisation d’entrée ni obligation d’aucune sorte. Si l’on vient à nos réunions (4 à 5 fois par an) c’est en toute liberté. Ca ne veut absolument pas dire qu’on peut se passer de rigueur ni d’exigence mais certainement cela signifie que nous privilégions certaines valeurs qui nous semblent essentielles : la liberté, le respect et l’écoute de l’autre, la tolérance. Les mots partage et expérience reviennent souvent aussi parce que nous pensons qu’en échangeant autour de nos pratiques de terrain, à partir du concret, nous faisons naître un savoir original. C’est peut-être une forme d’humanisme. Il n’est pas question de » projet de société » mais plus modestement, de faire de l’école un lieu où chacun puisse vivre mieux et réussir davantage. – Pourtant il y a une » charte « . Elle fait référence à une éthique professionnelle. Il y a bien une idéologie derrière votre démarche. – La richesse personnelle des membres du groupe de travail qui a rédigé cette charte, la diversité de leurs horizons professionnels ont été des facteurs déterminants dans la rédaction proprement dite. Il faut savoir aussi que le travail préliminaire a consisté à étudier un nombre non négligeable de situations non éthiques réelles, en particulier sous l’éclairage philosophique apporté par un membre du groupe. Personnellement je ne crois que nous soyons plus proches de telle ou telle référence, il me semble plutôt que nous essayons, comme disait Montaigne, de » faire notre miel » des nombreuses ressources existantes. – Vous souhaitez « favoriser la création d’établissements scolaires mieux adaptés à la diversité des élèves ». Ne pensez vous pas que vous risquez de développer de nouveaux ghettos? Notre démarche est plutôt pragmatique car nous voyons bien que certains établissements particuliers réussissent. Prenez, par exemple, » l’auto école » créée par Marie-Danielle Pierrelée en Seine Saint-Denis, le lycée intégral (Jean Lurçat à Paris) ou le CLE (collège lycée expérimental) d’Hérouville Saint-Clair, il est indéniable que la majorité des élèves qu’ils accueillent reprennent confiance en eux ET dans l’école, alors que ces mêmes élèves sont arrivés dans ces établissements (considérés comme le dernier recours) parce qu’ils étaient en échec scolaire, que leur comportement était jugé insupportable ailleurs ou, tout simplement parce qu’ils avaient complètement » décroché » de leur scolarité. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Eh bien qu’en modifiant nos pratiques avec les élèves, en réfléchissant sur l’évaluation, les relations sont moins conflictuelles. D’où l’idée qu’a exprimée Marie-Danielle Pierrelée dans son » Manifeste pour une école créatrice d’humanité » (et qui nous paraît très juste, nombre de membres du réseau ont d’ailleurs signé ce Manifeste), de créer des établissements pionniers pour qu’une équipe intéressée – tous personnels confondus, en particulier l’équipe de direction qui a un rôle moteur – travaille en cohérence avec des objectifs clairement établis et surtout avec une évaluation régulière. Le danger du ghetto existe, j’en conviens, mais au moins cela permet à des établissements non conventionnels d’exister… et donc d’empêcher que des élèves quittent complètement le système scolaire public ! – Est-ce à dire que le réseau propose des solutions à la crise de l’éducation ? – Il n’y a pas de solutions toutes faites sinon, ça se saurait déjà ! Justement ce qu’il faudrait initier c’est de la souplesse, une sorte de » sur mesure » fondé sur le respect entre les personnes pour qu’il y ait de la confiance qui s’installe entre les élèves et les adultes. Une fois la confiance installée tout est possible : y compris qu’élèves et adultes aient plaisir à travailler ensemble à l’école… là, c’est gagné ! Et cela ne veut pas dire que le travail ou le goût de l’effort soient proscrits, au contraire, si l’on comprend le sens de ce que l’on vous demande, c’est plus facile à effectuer. – Avez vous désespéré d’une solution globale pour l’éducation nationale ? – L’éducation nationale a le mérite d’avoir fait beaucoup, tout particulièrement ces cinquante dernières années avec la prise en compte dans le secondaire de tous les enfants, donc pas question de crier » haro sur le baudet » ! Mais il faudrait maintenant revoir la formation des enseignants, le sacro-saint découpage horaire des enseignements en séquences de 55 mn, prévoir aussi une organisation différente pour le service des profs, bref supprimer (diminuer ?) ce qui rigidifie le système et a parfois démontré une certaine » nocivité « . (voir par exemple le numéro 2 de notre revue L’Ecole en Regard consacré au temps à l’école) et promouvoir ce qui peut le dynamiser. – Faut il abandonner l’idée d’un même système éducatif uniforme pour tous ? – Pas question d’abandonner le navire » éducnat » si on peut l’améliorer… En revanche le collège » unique » de ces dernières années n’est peut-être pas la meilleure solution si on en juge par le nombre croissant d’élèves décrocheurs ou en grande difficulté… Sans compter les élèves malheureux à l’école qui sont plus nombreux qu’on ne l’imagine ! Et je ne parle pas de ceux qui franchissent le matin la porte du collège, l’air accablé d’ennui. D’ailleurs compte tenu de la diversité des élèves, de la décentralisation, on pourrait imaginer plus de variété qu’il n’en existe actuellement, on pourrait même accorder une plus grande autonomie aux établissements, car même si elle existe sur le papier, elle reste ténue. – Un mot fort du réseau c’est « déontologie ». Comme si cette revendication posait problème. Qu’est ce qui fait obstacle à la déontologie ? – En dehors de ce vieux » code soleil » guère lu – Où le trouve-t-on ? A-t-il été réactualisé ?Quand ? – il semble qu’aucun texte référent n’existe qui dise de façon claire que l’enseignant a des devoirs, tout comme les élèves. Certes il y a des circulaires ministérielles, le B.O.E.N, la réglementation de la fonction publique mais ce sont des documents ressentis comme des » injonctions » parachutées d’en haut et partant, éloignées de la réalité du terrain d’autant plus qu’elles n’émanent pas du terrain, donc mal reçues ! Les enseignants sont individualistes et se veulent « maîtres à bord » dans leur classe, ils n’aiment pas recevoir de leçons… quoi que dise le B.O, et ce n’est pas une inspection tous les 7 ans en moyenne qui y change quelque chose. On peut se demander pourquoi d’ailleurs il n’y a pas de code déontologique dans la fonction publique, et il est vrai que nous aimerions contribuer à une évolution de ce type, qui amène à une prise de conscience et à une réflexion sur le métier d’enseignant – c’est ce que nous avons commencé à faire dans la « charte pour une école éthique » que vous avez pu lire sur notre site internet. – « Respect des différences », « respect de l’autonomie », « violence institutionnelle » : on pourrait vous faire le reproche justement de n’avoir aucune déontologie. Que répondez vous ? – Votre question est difficile parce qu’elle soulève plusieurs aspects. D’abord personne au Réseau ne prétend détenir La Vérité… ce que nous voulons c’est réfléchir en confrontant des expériences de terrain, ensuite notre but est de chercher comment faire » mieux » : instaurer une parole vraie entre élèves et adultes, permettre enfin réellement à tous les élèves de réussir c’est à dire permettre à ceux qui sont le plus en difficulté de trouver leur voie (autrement dit aussi s’interroger sur ce que nous voulons dire quand nous utilisons le verbe « réussir »), et pour cela, fabriquer des outils qui facilitent le travail des enseignants sans laxisme et sans rigidité… – Dans votre projet pédagogique, quelle est la place des TICE ? Pensez vous qu’elles puissent faire évoluer le système, voire le remettre en question ? – Les nouvelles technologies sont sans aucun doute un apport essentiel dans la manière d’enseigner, d’abord parce qu’elles apportent une nouveauté dans le vecteur de transmission, ensuite parce que leurs possibilités sont immenses et… ce qui est loin d’être le moins important : les élèves aiment ça ; j’estime qu’il faut exploiter cet intérêt au bénéfice du savoir et de la culture en général. On a déjà dit qu’un ordinateur restait « patient » face aux erreurs d’un élève, c’est sûrement l’un de ses charmes, mais il permet bien d’autres choses : voyager, correspondre avec d’autres, créer (du texte, de la mise en page), visiter des musées… quelle richesse potentielle si l’on apprend à l’exploiter. Ce qui est un apport formidable pour les élèves c’est aussi qu’ils peuvent travailler à leur rythme, tâtonner, recommencer, sans être jamais sanctionné en terme d’échec, c’est en quelque sorte du tâtonnement expérimental comme le pratiquent les scientifiques ; en outre l’ordinateur n’émet jamais de jugement de valeur qui puisse démoraliser, « casser » l’élève, bien au contraire, si au bout de plusieurs tentatives l’enfant réussit, le logiciel peut encourager en mots ou par une musiquette ludique, ainsi peu à peu l’enfant reprend confiance en lui, personnellement cela me paraît extraordinaire. Il est si facile de dévaloriser un élève et si difficile ensuite de lui faire reprendre confiance ! – Quels conseils, quels exemples, proposeriez-vous aux yeux d’un nouvel enseignant ? – Le respect de la personne est depuis la création du Réseau centre de nos travaux et cela a rejailli aussi au collège (dont Aline Peignault est le Principal) dans la réactualisation de notre projet d’établissement, en effet il y a deux ans nous avons formé un groupe de pilotage autour de l’idée de contrat entre élève et adulte. Pendant un an plusieurs groupes de travail ont réfléchi au cours de réunions qui rassemblaient élèves, professeurs, parents, conseillère principale d’éducation, ATOS (ou personnels de service) et l’équipe de direction. Lydie Villemard – Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter le site du Réseau : |
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