formation La loi surle handicap à l’épreuve du terrain
Lethème de la journée de réflexion organisée par le SNUipp à Paris le 20mars 2007, est d’actualité. 250 auditeurs-acteurs sont venus partagerleurs expériences, leurs doutes ou leurs exaspération en matière descolarisation des élèves handicapés. En effet, le terrain cherche dessolutions : « Mêmeavant le CP, tient à préciser une enseignante dematernelle, on est confrontés à des élèves que nous n’arrivons plus àgérer. Nous avons besoin d’aide. ».
Ets’il est un bilan à tirer de cette journée, c’est bien celui del’extrême hétérogénéité des situations locales : selon l’histoire, lacompétence ou l’engagement des partenaires engagés, c’est le jour et lanuit. Une urgence : celle d’un pilotage national exigeant…
Ouvrant la séance, Gilles Moindrot,secrétaire général du SNUipp, affirme la nécessité d’être exigeantenvers les pouvoirs publics pour l’application de la loi sur lehandicap, mais souhaite que le syndicat n’en reste pas au « cataloguedes insuffisances ». Il dit l’importance du travail collectif, au delàde l’engagement individuel, lorsqu’il peut s’appuyer sur la formationinitiale et continue. «Maisla question de l’accompagnement par les AVS est aujourd’hui cruciale :en l’absence de nouveau recrutement, le transfert de responsabilité auxEVS pose problème, à la fois du fait du manque de formation et de laprécarité de leur contrat de travail. Il existe un vrai problème depilotage sur ce dossier. L’intégration doit être une chance pour lesenfants handicapés, mais aussi pour l’Ecole. »
Jean-MarieSchleret : « L’école est le premier pilier républicain de la loi sur leHandicap »
Chargé de faire le point surla mise en œuvre de la loi,Jean-Marie Schléret, président du Conseil National Consultatif desPersonnes Handicapées,juge que la prise en compte de l’avis des familles dans la loi et dansles textes d’application a été une révolution pour les administrations,par exemple celle de l’action sociale. Mais il ne suffit pas dedécréter…
Pour lui,l’école est le premier pilier républicain de la loi sur le handicap.« En 2000, lorsque ma fille trisomique était à la maternelle, c’estl’institutrice elle-même qui m’avait expliqué que c’était dans l’écoledu quartier qu’était sa place ». C’est ce principe denon-discrimination qui est inscrit dans la loi. Il implique que lesmoyens de compensations, institutionnels et individuels, soient prévus,sur la base d’un « projet de vie » qui va plus loin que l’ambitionqu’avaient les CDES ou les COTOREP …
Aujourd’hui,on semble avoir changé de logique : 165000 élèves handicapés sontscolarisés dans le public -plus des deux tiers pour un handicapmental-, dont plus de 100 000 dans le 1er degré. Au lieu de dire « leservice public n’a pas les moyens », on s’est mis à faire, malgré lesdifficultés. On sait que la mise en place des Maisons du Handicappatine un peu, mais progressivement se créent des cultures communesentre les différentes administrations et les représentants de parents. «L’essentiel est de construire l’expertise humaine de l’évaluation de lacompensation du handicap, indépendante de la tutelle des bailleurs defonds. Ce n’est pas de guichets avec hygiaphone dont nousavonsbesoin, mais de lieux d’écoutes pour les familles. Nous avons besoind’autonomie, pas de condescendance » réclame l’orateur.
Mais il convient qu’aprèsles belles déclarations des circulaires de rentrée, les moyens ne sontpas au rendez-vous. «Plus la loi entre dans les esprits, plus les autorités sont tentées deremettre en cause son esprit. C’est pourquoi nous devons être trèsvigilants.
Quand les moyens manquent, quandles AVS ne sont pas recrutées ou formées, ce sont de mauvaiseshabitudes qui se prennent ».
ClaudineLustig : « Le parents doivent pouvoir être entendus. »
Ilrevient à Claudine Lustig, mère d’enfant trisomique, de faire valoir lepoint de vue d’un parent. Elle témoigne que dès la maternelle, lesmoments difficiles ont été surmontés parce que chacun cherchaitl’intérêt de l’enfant. Mais en grande section, il a fallu pallier à lasuppression de l’AVS. Elle demande à la salle d’entendre lesdifficultés auxquelles sont confrontées les parents d’enfantshandicapés : « Il est vrai quecertains parents arrivent avec un ton un peu agressif. On nous accusesouvent de mettre nos enfants en souffrance en réclament leurscolarisation. Mais c’est en les aidant à trouver leur place qu’on lesaidera à être forts et à assumer leur vie. Dans le même ordre d’idée,je refuse l’idée que les parents soient toujours, par définition,inconscients ou incapables de juger de ce qui est bon ou pas pour leursenfants. Nombre d’enseignants pensent qu’ils sont en échec si l’élèvehandicapé n’apprend pas la même chose que les autres. Mais ce n’est pasla seule évaluation. Chloé continue à faire des progrès, respecte lesrègles de vie commune, prend la parole dans la classe, commence à lire.Elle grandit, tout simplement, en se forgeant son caractère et enapprenant à vivre avec ce qui déroute les autres… ». Maisson appréciation est loin d’être négative sur l’Ecole : «En tant que parent, je peux témoigner des capacités exceptionnellesdont savent faire preuve les écoles pour trouver des solutions trèsefficaces pour chaque enfant ».
Fabienne Meunier-Vayrette : »1500 dossiers, trois référents… »
Enseignanteréférent dans le Gers, ex secrétaire de CCPE, a accepté sa mise àdisposition pour la Maison du Handicap (MDPH) dans laquelle travaillentdes professionnels sous plusieurs statuts : fonctionnaires, employésdes collectivités locales ou recrutés sous contrats de droit privé.Pour elle, la MDPH n’est pas seulement un service du conseil général,c’est un organisme autonome, au sein duquel chaque enfant est suivi parun référent propre. Mais elle dénombre 1500 dossiers pour 3 référents…
Pourelle, ce qui a changé par rapport à l’ancienne CCPE, c’est la manièredont les dossiers sont présentés en Commission Départementale pourl’Autonomie : « Lesdébats peuvent être houleux, entre l’équipe pluridisciplinaired’évaluation (enseignants référents, psychologues scolaires, médecins)et les autres membres, qui n’ont pas forcément un regard professionnel…»
Mais audelà, elle juge que les changements sont encore très difficilementperceptibles pour les enseignants, et qu’il serait nécessaire deréellement les accompagner….
Thierry Samzun : « Lesmentalités ont changé, mais nous devons mieux accompagner »
IENASH en Gironde, M. Samzun est venu présenter son point devue d’inspecteur sanslangue de bois. « Je mesuis longtemps interrogé sur la véracité duchiffre des élèves handicapés scolarisés. Mais je constate que chez lesenseignants du premier degré, les mentalités et les pratiques ontradicalement évolué. Dans le second degré, c’est plus difficile,notamment pour l’implantation des UPI ». Il constate quedepuisquelques années, les établissements spécialisés jouent le jeu, et setournent vers les écoles pour la scolarisation de leurs élèves. Mais ilobserve des « tensions importantes » dans l’accompagnement par les AVS: la précarité de leur statut rend impossible la professionnalisation,et leur nombre est insuffisant : un accompagnant sur trois est un EVS.Et si on ajoute qu’il faut parfois un an pour que la MDPH attribue uneAVS, on voit l’ampleur des difficultés pour les écoles. Il n’écarte pasle risque de dysfonctionnements purement administratifs, comme entémoigne le dossier de plusieurs dizaines de pages qu’on demande auxfamilles de remplir pour une saisie de la MDPH.
Maisson autresouci est de pouvoir mobiliser les énergies. Sur 930 écoles de Gironde,plus de 600 accueillent des élèves handicapés: « Nous devons formerles enseignants aux handicaps, à la loi, et aux pistes pédagogiques àmettre en œuvre dans les classes. Et vous connaissez les moyensdisponibles pour la formation continue… »
Témoignagesdu terrain
Al’issue de cette première partie de la journée, les craintes sontperceptibles dans la salle : la loi de 2002 aura-t-elle le même avenirque la loi de 89, pour ne pas avoir été suffisamment accompagnée ? Lestémoignages concrets fusent : quelle place pour les CLIS ? Pourquoi nes’appuie-t-on pas sur l’expérience de leurs enseignants qui travaillentdepuis longtemps avec les enfants que l’école à «désintégré» ?Comment vaincre la peur des parents d’accoler le terme « handicap » àleur enfant lors d’une saisie de la MDPH ?
Undirecteurd’établissement spécialisé des Bouches du Rhône demande de ne pass’enfermer dans un discours lisse : « chez nous, 16000 dossiersd’enfants, 12000 réponses à rendre… Ca donne une idée de l’ordre degrandeur des problèmes à débattre. Les décisions politiques des éluslocaux vont définir les moyens dont vont disposer les professionnels.Nous devons nous interroger sur le fond, répondre clairement auxcollègues qui disent : « je ne m’en sors plus ». Pour ne pas noustransformer en « bonnes âmes », soyons des professionnels exigeants ».
Unedirectrice parisienne enchaîne : «Dans mon école, quand on est T3, onest un ancien ! L’enseignant référent est débordé, nous accueillons desélèves sans pouvoir réussir à remplir tous les renseignements pour laprise en charge du dossier par la MDPH. On essaie de survivre, on faitce qu’on peut… »
Cornélia Scheider : « Ailleurs aussi, onconstruite les outils de la diversité «
Dansce contexte, pas simple pour CorneliaSchneider, de l’université ParisV, de mettre en avant l’idée que « le chemin n’est jamais fini,et iln’existe pas d’outil magique. La difficulté pour l’enseignant est deraisonner en terme de potentiel, et non de manque ».
L’idéedescolariser tout enfant bouleverse la société française. Elles’interroge sur le rapport au mot « handicap », quand d’autres payseuropéens ont choisi le terme «besoins éducatifs particuliers », selonelle moins stigmatisant.
A Cologne, on a imaginé des classesavecplusieurs niveaux d’âge, la présence simultanée d’un enseignantspécialisé en même temps que celle de l’enseignant, une organisation enateliers, un travail différencié, des plans de travail. Mais lachercheuse adopte un postulat qui, pour nécessaire qu’il soit, neconvainc pas tout à fait la salle : « En fait, selon la manière dontonaccueille chacun, dont on le valorise, on va accepter ou non ladifférence. La problématique de l’accueil d’élèves handicapés n’estqu’un point de difficulté parmi d’autres ».
Un enseignant deSEGPA réagit, illustrant combien l’attention grandissante sur lesélèves reconnus « handicapés » met dans l’ombre ceux qui, relevant dela grande difficulté scolaire ou sociale, risquent d’être « lesvictimes indirectes de la loi de 2005 »
Michel Defrance : « Troubles ducomportement, troubles du caractère, troubles psychiques…. Comment s’yretrouver ? »
«Notre but est de soutenir la cause de ces adolescents qui souffrent,dans leur comportement et dans leur rapport aux apprentissages »expliquent MichelDefrance, président de l’AIRe, association nationaledes ITEP (instituts thérapeutiques éducatifs pédagogiques) et de leursréseaux, et son collègue Gilles Gonnard, directeur d’ITEP.Refusant de s’inscrire dans les anciennes problématiques du«redressement», ces dispositifs font travailler ensemble despsychologues, des éducateurs, des enseignants mis à disposition ourecrutés sous contrat simple.
Des symptômes avant d’être desmaladies…
Lesdifficultés des élèves accueillis en ITEP ne relèvent pas d’unemaladie, mais expriment des symptômes. C’est pourquoi l’AIRe afortement réagi aux positions de l’INSERM qui fixaient un cadremédical. « Il faut fairela part des choses, entre un enfant « agressif »et un enfant « aux conduites addictives » ou un enfant qui se met endanger ». Pour lui, nombre d’enfants ne parviennent plus àse construirepsychiquement, indépendamment du contexte social et familial. Ils n’ontpas bâti de sécurité interne suffisante pour s’ouvrir aux savoirsde l’autre, entrer dans l’univers du langage, penser avec des mots, audelà de ses émotions… Or, ce rapport à la sécurité se construit trèslentement, dans de multiples manifestations minuscules dans la petiteenfance. Les enfants d’aujourd’hui sont sur-désirés, sur-reconnus, dansune société de l’affectif pur, du désir. « L’enfant fait fonctionpsychique au sein de la famille : le couple le conçoit comme unprolongement de lui-même. Et quand l’enfant ne donne pas ce qu’ondemande qu’il donne, on a du souci ».
Devenirsoi, au milieu desautres, procède de phénomènes identificatoires, dans la famille, lequartier, l’école. Dès lors, les enjeux affectifs infiltrent l’école,premier lieu de socialisation, et posent problème. « Quand ils arriventà l’école, beaucoup n’ont pas encore expérimenté les limites à leursprétentions. Ils sont à l’école comme chez eux : capricieux,accaparants, parasitant la classe. A trop aimer comme à tropcontraindre, on ne permet plus de grandir ».
« L’arbre des problèmes scolairescache souvent la forêt des autres…».
Lespublics accueillis en ITEP ne doivent pas être confondus avec lesautres : l’agressivité est naturelle et constructive, la violence nel’est pas. Les enfants de fort tempérament ne doivent pas se confondrepas avec les enfants ayant des troubles de la personnalité. C’est àl’Ecole de donner le cadre, avec autorité et bienveillance. Maislorsque la cour d’école se transforme en champ de bataille sans adultesmédiateurs, on voit comment ces endroits peuvent devenir des foiresd’empoigne et des lieux de pouvoir, même avec de enfants qui nerelèvent pas de structures spécialisées…
Intervenirà temps
Laloi indique que c’est lorsque les « manifestations perturbant lascolarisation » deviennent durables, et que les difficultéspersonnelles amènent « un risque de désinsertion sociale et scolaire »et un « processus handicapant » qu’il faut mettre en œuvre uneintervention conjointe, pédagogique et médicale. « Pas au nom de ladénonciation sociale, mais au nom de l’enfant qui sabote ses proprespotentialités, dans une prise de risque contre lui-même pourinterpeller l’entourage qui ne répond pas ».
Selon leprésident de l’AIRe, la mise en œuvre d’un processus MDPH peut aussiêtre un choc salutaire pour les parents, un signal d’alarme pour lesaider à prendre en charge la situation. Aujourd’hui, la question del’autorité est centrale pour ces jeunes. Mais autorité n’est paspouvoir, mais pouvoir qu’on vous reconnaît. Dans une société qui vante« l’être soi », on n’éduque plus par la contrainte, mais parl’engagement. « Hédoniste, marchande, consumériste, notre société nepeut faire comme si tout le monde était d’accord sur le code social ».On attend trop, dans nos codes de vie éducative, que l’enfant aitintégré a priori l’idée qu’il faut en baver aujourd’hui pour êtreheureux demain. « J’appelle à l’écologie éducative. Ce sont les mêmesprocessus marchands qui détruisent l’éducation et la nature. Vous êtescomme ceux qui ramassent les galettes de fuel sur les plages. »
Lesrisques du « tout intégration »
Attention,donc, aux dérives : pour l’AIRe, il peut y avoir des perversions à laloi sur le handicap, si la scolarisation en milieu ordinaire aboutit àla maltraitance de certains enfants qui, eux aussi, maltraiteront leurspairs et leurs enseignants. C’est pourquoi l’association défend leprincipe du maintien de structures d’enseignement au sein des ITEP,dans un travail tissé entre les différents professionnels del’enseignement : « A unmoment, pour retisser ce sur quoi l’Ecole aéchoué, il vaut mieux poser un cadre spécifique, symbolique, quipermette un nouveau départ. »
Pourson président, ce qui faitobstacle à l’intégration, ce n’est pas le handicap, c’est lecomportement. Sur le plan scientifique, la réflexion sur la prise encharge des « troubles psychologiques » reste à construire. Il demandequ’on avance vers la professionnalisation des métiers d’accompagnement,en faisant appel à des éducateurs -et non seulement des surveillants-au sein des établissements. «Pour cela aussi, l’Ecole doit travailleren partenariat avec d’autres professionnels, faire des pas de côté parrapport aux situations pédagogiques sur lesquelles elle bute ».
Tout unprogramme. Si dans les années à venir, les MDPH pouvaient être leslieux qui permettent aux décideurs de l’Education nationale, de laDDASS et des collectivités locales d’organiser le maillage territorial,on ferait sans doute un pas décisif vers un système éducatif globalplus efficace.
Fernand Tournan : « On ne reviendra pasaux filières séparées »
Dernierintervenant de la journée, FernandTournan, président de l’APAJH, est un militant : « La réforme crée lesconditions d’un mouvement qui ne va pas s’arrêter de sitôt, même sinous sommes dans une période qui nous pose des problèmes. Il faut direfortement que pour réussir la réforme, le pilotage de l’EducationNationale doit être fort ». Pour lui, c’est dans la complémentaritéentre établissement spécialisés et écoles ordinaires que sont lespistes de réussite. Mais au contraire de l’intervenant précédant, ilest réservé sur le maintien d’unités d’enseignement dans lesétablissements spécialisés, et appelle à « ne pas maintenir deuxfilières de scolarisation ».
Guy Pourchet, au nom du syndicatorganisateur de la journée, invite à poursuivre la réflexion enrenforçant les exigences revendicatives : baisse des effectifs dans lesclasses, professionnalisation des AVS, formation et accompagnement desenseignants. «Ca vautla peine » conclut-il. « Dans tous les sens duterme ».
notesde séance et compte-rendu : Patrick Picard