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Qui a décidé d’inscrire à l’agenda médiatique la suppression du baccalauréat au prétexte qu’il a deux cents ans? Je ne sais, mais je suis effaré, une fois de plus, de constater combien mes confrères reprennent docilement à leur compte les questions posées par d’autres, et du conformisme des réponses. Tout observateur qui a un peu de mémoire sait d’avance quelles seront les propos des experts. Le bac est un moment initiatique. Oui, mais il coûte cher. Joue-t-il encore son rôle? Au fait, quel rôle? De toute façon, c’est effroyablement compliqué à organiser, et un jour ou l’autre, ça va péter. A propos, le niveau baisse-t-il ? Et l’enseignement privé… et l’égalité républicaine, et patati, et patata…

Les enseignants, quand on les interroge, lui sont, majoritairement, très attachés, et le défendent avec des arguments souvent stéréotypés, ce qui ne signifie pas qu’ils soient dépourvus de valeur, mais qu’ils cachent un non-dit. Le bac est en effet le seul moyen dont dispose « l’institution » pour normer les comportements pédagogiques. Les élèves en sont le principal vecteur. Cette classe de terminale est ravie de retrouver Mme Durand, que beaucoup ont déjà eue en seconde. Elle est « géniale », mais très originale. L’année dernière, en première, ils se sont ennuyés à mourir avec M. Dupont, qui est on ne peut plus conventionnel. Or ils savent que le jour de l’examen, ils ont quelque chance de tomber sur un clone de Dupont. Et dès le début de l’année, ils le font savoir à Durand. « On vous adore, mais laissez tomber les projets et autres fantaisies. On a le bac à la fin de l’année, tenez-vous en au programme, le reste, ce sera si on le temps. » Les élèves ont une conscience très claire de la « doxa » de chaque discipline, et de l’air du temps qui souffle dans les lieux où s’élaborent les sujets.

Les réunions d’harmonisation avant correction des copies jouent un rôle semblable. Chaque enseignant entend la voix de ses collègues, et voit où ses pairs situent leurs exigences. Il corrigera le tir à la rentrée suivante, s’il découvre un écart entre ce qui lui paraît important, et ce qui sera effectivement sanctionné dans les copies de ses élèves.

L’administration le sait. Le bac assure la cohésion de l’institution, ce qu’elle n’a pas les moyens de garantir sinon: la formation continue ne peut y suffire et les inspecteurs sont en nombre très insuffisant, à supposer qu’ils aient une autorité incontestée chez leurs ouailles, ce qui reste à démontrer. Faute de bac, donc d’une régulation par l’aval, la forme de l’examen conditionnant l’enseignement en terminale, qui conditionne l’enseignement en première, qui conditionne la seconde, etc., il y a fort à parier que le ministère inventerait une autre forme de régulation, autrement autoritaire, et que des consignes infiniment plus explicites que les programmes seraient adressées en début d’année à chaque enseignant.

Faut-il maintenir à tout prix un examen qui est plus utile aux profs qu’aux élèves, ou faut-il d’urgence réinventer la formation continue et donner à l’inspection les moyens de jouer pleinement son rôle? La réponse ne m’appartient pas. Une chose est sûre, on ne supprimera pas le bac sans dire par quelle autre clé de voûte on fera tenir une architecture qui donne bien d’autres signes de faiblesse.

Pascal Bouchard

journaliste