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Professeur des écoles, Sylvain Grandserre est aussi un des « désobéisseurs » qui s’opposent à X. Darcos. Il a d’ailleurs baptisé le site ouvert avec ses amis : « Darcos démission » Il répond ici aux questions du Café sur la baisse de niveau constaté en CM2 et le rôle dévolu aux évaluations.

Quand on va sur votre site, au titre si explicite, on a l’impression d’un acharnement personnel contre Xavier Darcos. Ce n’est pas gênant pour un mouvement d’enseignants ?

Certes, on peut, comme le fait également, mais plus élégamment, Claude Lelièvre, estimer qu’à  » l’égard des enseignants du primaire, seul un nouveau ministre peut permettre une réconciliation ». Mais notre radicalité n’est en rien violente, surtout comparée à la brutalité des décisions qui sont prises, par exemple à l’égard des « désobéisseurs ». On peut même penser que Xavier Darcos n’est finalement qu’une sorte de Karl Lagerfeld de l’éducation, chargé d’habiller pédagogiquement le mieux possible des mesures comptables et idéologiques prises depuis l’Élysée. Mais il semble désormais que rien ne puisse se faire de constructif avec le ministre actuel, lui qui a assumé froidement toutes les suppressions, de postes, de programmes, de RASED, de formation ou de temps de classe. Si un autre ministre doit arriver, qu’il sache que la continuité de cette politique n’est absolument pas désirée.

D’après ce que vous savez , où en est l’évaluation de CM2 lancée par le ministère ?

C’est un cafouillage sans précédent, une confusion incroyable ! Mis subitement devant leurs responsabilités, nombreux sont les enseignants qui ont improvisé une réponse qui va du refus de transmettre les résultats jusqu’au boycott pur et simple d’une procédure qui visait moins à évaluer les élèves qu’à dévaluer l’école ! Mieux, on a même vu des conseillers pédagogiques et des inspecteurs manifester publiquement leur opposition à cette mascarade, au moment même où certaines circonscriptions ne recevront aucun résultat. Car enfin, qui pouvait défendre sérieusement des évaluations secrètes, inadaptées, mal placées, dont la correction aberrante allait fabriquer mécaniquement de l’échec scolaire ? Depuis quand propose-t-on des exercices aux élèves en leur disant qu’il est normal de ne pas savoir les faire ? On a tout de même le droit de préférer la pédagogie de la réussite à celle de l’échec. Le comble, c’est qu’au moment où il aurait fallu saisir les résultats, on apprenait que la CNIL n’avait toujours pas donné son feu vert ! Bref, nous nous serions mis hors-la-loi en obéissant !

Il y a eu récemment la publication de plusieurs évaluations dont celle de la Depp sur le niveau en CM2. Quelle lecture en faites vous ?

Ces évaluations, qui rappelons-le, ne portent que sur une partie des enseignements effectués au primaire et sortent subitement des tiroirs, ont confirmé le ressenti des enseignants, notamment dans la perte d’une certaine maîtrise de l’expression écrite et des règles orthographiques. Elle rappelle aussi douloureusement le poids considérable des déterminismes sociaux dans l’échec scolaire. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise véritable puisque dans « Orthographe : à qui la faute ? », D. Manesse et D. Cogis constataient la même dérive mais en apportant des éléments de compréhension autrement plus instructifs.

Ainsi, qu’en est-il de la répartition des rôles pour ces apprentissages, notamment entre le primaire et le secondaire ? Quelles priorités faut-il donner dans nos classes à l’heure où l’on demande tout à l’école, du B2i aux langues vivantes, en passant par la prévention routière, l’éducation au goût ou à l’image ? Surtout, quel rapport une société, jamais à satiété, de consommation entretient-elle avec des apprentissages complexes qui réclament autre chose que la satisfaction immédiate des désirs et des caprices ? Voilà des questions bien plus fécondes que les querelles stériles sur la baisse du niveau.

La pétition que vous avez lancée n’a qu’une seule proposition en positif c’est : « Nous demandons la mise en place d’un Conseil national de l’évaluation à l’école comprenant des praticiens, des formateurs et des chercheurs pour mettre au point une politique de l’évaluation et élaborer des outils pour les équipes d’écoles et de cycle, au service des apprentissages des élèves définis par le Socle commun de connaissances et de compétences. » Est ce a dire que vous acceptez l’idée d’une évaluation de l’Ecole ?

Tout d’abord, on demande rarement à celui qui est en légitime défense de se justifier en proposant mieux que l’agression qu’il subit ! D’ailleurs, il y a énormément de points positifs exprimés dans notre appel puisque nous nous opposons à toutes les formes de suppressions dont je parlais tout à l’heure (emplois, formation, programmes, temps scolaire, RASED). Mais s’agissant de l’évaluation, elle nous semble non seulement possible mais souhaitable. A condition d’être un outil interne, formatif, au bénéfice des élèves, des enseignants et des apprentissages. Et non pas comme cela a été demandé, pour être un outil externe, sommatif, servant éventuellement pour les parents à faire leur choix d’établissement au moment où l’on supprime la carte scolaire.

A titre personnel, je travaille avec des CM1/CM2 dans une école à une classe, ce qui offre d’énormes avantages en termes d’organisation et de liberté pédagogique mais peut provoquer un isolement dommageable. Des évaluations nationales permettent alors de se situer un peu mieux, de rectifier le tir, même si les faibles cohortes d’élèves faussent tout de même la lecture statistique. Et puis, ne l’oublions pas, les enseignants du primaire sont évalués régulièrement : implicitement par leurs élèves, les parents, les collègues ou les élus, et de manière officielle par les inspecteurs.

Si oui par qui devrait-elle être faite ?

En ce qui concerne des évaluations nationales, il semble essentiel que leurs préparations se fassent en jouant de la richesse des concepteurs : enseignants, formateurs, inspecteurs, chercheurs, etc. Tout plutôt qu’une décision qui semble sortir d’un bureau de l’ombre. Souvenez-vous des paroles de Nicolas Sarkozy qui expliquait que pour savoir comment s’y prendre en classe, l’enseignant était mieux placé qu’un « bureaucrate parisien enfermé dans son bureau qui ne voit pas un enfant de la journée ». Il faut de plus que ces outils servent non seulement à prendre la température, mais également de remède au travers des pistes qu’ils explorent.

Et dans quel but ? Piloter le système ?

On le sait bien, le pilotage par l’évaluation et les pourcentages est une catastrophe. Il entraîne une baisse de niveau en obligeant les enseignants à ne se focaliser que sur les éléments évalués et évaluables. Il n’offre qu’une vision étroite des apprentissages et même des missions de l’éducation. Que deviennent la citoyenneté, la coopération, la recherche, le tâtonnement, l’expression, l’autonomie ou la responsabilité ? Ce qui s’applique à la production industrielle ne fonctionne pas dans le domaine éducatif. Nous sommes nombreux à avoir choisi l’éducation justement parce que l’on n’y appliquait pas encore ce qui s’avère si désastreux en dehors : la concurrence sauvage, l’égoïsme régressif, la compétition déshumanisante. Finalement, au travers du combat que nous menons, nous assistons à l’expression de vrais choix de société. C’est sans doute la raison de notre détermination.

Sylvain Grandserre

Dernier ouvrage de S Grandserre :

Sylvain Grandserre, Ecole : Droit de réponses, Paris, Hachette, 2007, 224 pages

Sur ce livre :

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2007[…]


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Sur le rapport du HCE

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages[…]

Toilettes scolaires une question d’urgence

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