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L’introduction de Tristan Lecoq, directeur du CIEP

Sur la thématique « Un seul monde, une seule école ? » Tristan Lecoq propose trois approches à la réflexion des participants.

Une approche par le contexte, pour s’interroger sur les concepts de globalisation et de mondialisation, évoquer les convergences (réelles ou forcées), les divergences et les résistances (des praticiens, des chercheurs, de l’opinion publique) ainsi que la notion historique de circulation des hommes idées.

L’approche par les individus devrait permettre de discuter sur les politiques publiques et le rôle de l’Etat, qui n’est sûrement pas le même partout.

L’approche par les institutions favorisera la réflexion sur la notion de territoires éducatifs (académie, département ?) en comparaison avec d’autres pays et posera la question de la capacité des institutions à réfléchir sur un modèle existant.

A l’heurede la concurrence mondiale, quelles en sont les conséquences pour l’éducation ? L’ouvrage collectif « Conditions de l’éducation » repense le lien démocratie-éducation, mais il n’est pas possible, déclare Tristan Lecoq, de rester dans un cadre purement français. La thématique choisie ici est sans doute large, mais elle a l’avantage de nous faire réfléchir à la notion de pluralité.

Conférence d’ouverture, Thierry Breton

Il revenait à Thierry Breton, ancien ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et actuel président du directoire d’Atos Origin, d’ouvrir les travaux en tentant un première réponse, personnelle, à la question « Un seul monde, une seule école ? ». « Certainement pas un seul monde », affirme Thierry Breton, qui estime que nous vivons dans « un monde fragmenté » tant par rapport à la vitesse de développement de la planète qu’aux communautés de toutes sortes qui le peuplent. La distribution des rôles (secteur de production, secteur financier par exemple) est loin d’être stable. Les Etats-Unis vont-ils cntinuer à être l’usine financière de la planète ? Cette question interroge nécessairement ceux qui ont en charge les communautés éducatives. La croissance démographique européenne est quasi-nulle, mais dans 25 ans, la planète devrait copter 9 milliards d’habitants, au lieu de 6 aujourd’hui. La crise a eu comme conséquence de diversifier les objectifs des étudiants qui ne voient plus uniquement leur avenir dans la finance.

Selon Thierry Breton, le monde va évoluer dans l’identification et le respect de communautés très différentes (nationales, géographiques, professionnelles, idéologiques). De nombreuses questions sont posées aux communautés des professionnels de l’éducation et de la formation, telles les schémas régionaux de formation, la place de l‘apprentissage, la naure de la liason éducation entreprise, etc Dans un souci d’internationalisation, faut-il conserver les identités nationales ?

L’accès au savoir le pus élevé pour tous, la garantie d’une même formation pour tous est une utopie pour Thierry Breton. Il faudra travailler avec des moyens de plus en plus contraints et une population vieillissante qui aura ses besoins spécifiques.

Il ne sera pas non plus facile de se sortir de la crise financière. On va probablement vers un hyperendettement et un retour au protectionnisme. Il est donc nécessaire d’avoir une vision de long terme, qui aligne les intérêts divergents. Le monde éducatif pourrait bien avoir entre ses mains la question de la gestion mondiale. De 1980 à 2000 on a connu un monde relativement ouvert, avec des ystèmes scolaires très cloisonnés. Dans le monde fragmenté qu’on connaît aujourd’hui, ces systèmes scolaires peuvent-ils être un trait d’union ? Dans l’explosion démographique qui se prépare, le domaine éducation formation sera de plus en plus sollicité. Il faudra apprendre à gérer des communautés très différentes avec des appartenances assez mouvantes et la complexité liée à la multitude des logiques dues à des contextes différents.

Internationalisation et mondialisation, Pavel Zgaga

Pour Pavel Zgaga, ancien ministre de l’éducation de Slovénie, le mot globalisation pose un problème de lngge, car il peut être compris dans des sens assez différents.

Revenant sur la manière dont Condorcet conçoit l’éducation, il note que l’universalité de l’éducation devrait faire progresser les sciences dans le monde. Pour Kant, l’éducation des enfants est parallèle à une éducation de l’humanité. Il plaide pour une éducation cosmopolite qui les fera se réjouir des progrès du monde. Si le terme cosmopolite peut sembler maintenant un peu démodé, la notion de citoyens du monde n’en est pas moins importante ni actuelle.

C’est Aristote, le premier, qui a estimé que l’éducation est l’affaire de l’Etat, mais la dichotomie éducation, affaire publique ou affaire privée a suscité de nombreux débats. L’Allemagne a été le premier pays à mettre en place un système éducatif public obligatoire, mais l’idée de fonction éducative comme principale fonction de l’Etat est assez répandue.

Il est par ailleurs intéressant de constater que l’dée de l’importance de l’éducation rejoint des intérêts nationaux, alors que le développement des sciences, du commerce, des arts, sont considérés par essence comme internationaux.

Il existe de grandes différences entre les systèmes éducatifs, mais il semble nécessaire de les internationaliser, non seulement pour des raisons d’égalité entre les individus, mais aussi pour des raisons diplomatiques (des communautés savantes ont parfois maintenu le contact entre pays qui n’avaient plus de relatins diplomatiques), économiques et politiques.

Avec le traité de Maastrichtle trvail d’internationalisation s’est mené dans le cadre européen, dans e respect du principe de subsidiarité. La protection des groupes ethniques et des diversités culturelles s’y est trouvé mieux traitée que dans le cadre national. Petit à petit, avec les accords de Bologne, se construit une Europe éducative dans une Europe économique. Mais l’enthousiasme des années 90 a décru ; le mot de globalisation apparaît moins comme une promesse qu’une menace, dans un contexte de retour à des protectionnismes nationalistes.

Restons donc prudents avec les termes, déclare Pavel Zgaga, et mettons en avant dans globalisation les notions de multidimension, de connexion et d’interdépendance grandissante. Posons-nous la question de savoir comment l’éducation peut contribuer à un monde meilleur. Travaillons à harmoniser les systèmes tout en respectant les diversités culturelles : il est temps de reconsidérer le concept d’éducation.

L’école et ses héritages dans un contexte de ruptures violentes

Comment l’histoire nationale influe-t-elle sur la situation de l’école ? L’école reflète-t-elle trace du contrat social, implicite ou explicite, qui la lie à la société dans laquelle elle s’inscrit ?

De la dictature à la démocratie directe

Le cas de l’école portugaise, présenté par Rui Canario, montre, vu de loin et dans les grandes lignes, une évolution ssez similaire à d’autres pays du Sud. L’offre scolaire s’est massivement développée dans les 30 dernières années et élargie à la formation des adultes. Avec l’aide de l’Unesco, de l’OCDE et de la commission européenne, l’école d’élite est devenue école de masse. Mais les mécanismes de financement extérieur l’ont obligée à prendre en compte le défi de la mondialisation et des notions telles que productivité et compétitivité. Dans un contexte où l’emploi est difficile et l’avenir des jeunes incertain, le pays porte désormais un regard pessimiste sur son école. Pourtant, la révolution de juillet et le renversement de la dictature avaient été l’occasion d’une véritable effervescence de l’école : comités de gestion directe, groupes de réflexion, initiatives pédagogiques en tous genres. Il reste aujourd’hui une image chaotique de cette période presque oubliée, que Rui Canario considère avoir laissé pourtant « un patrimoine très riche, qu’il faut récupérer et valoriser ». La réflexion sur la formation des adultes, très souvent source d’innovation, l’expérience de la démocratie directe, un choc émerveillé pour ceux qui ont vécu leur jeunesse dans les années de dictature, sont des éléments importants de l’héritage de l’école portugaise. L’atteinte à la démocratie est sans doute la principale cause du mécontentement des enseignants qui s’exprimait récemment dans des manifestations très massivement suivies.

En Hongrie, l’empilement des héritages

On retrouve dans l’évolution de l’école hongroise décrite par Ivan Bajomi, les difficultés liés à un contexte politique très marqué par des ruptures violentes. Après la prédominance du modèle allemand et la création d’un conseil de l’éducation reflétant sa tendance centralisatrice, l’influence soviétique se marque dans l’hégémonie de la pensée et l’interdiction d’associations professionnelles ou syndicales. Après 1980, le modèle éducatif change encore une fois brutalement pour se rapprocher du modèle anglo saxon, libéal et décentralisé. En 1985, la loi sur l’éducation confère la liberté pédagogique aux enseignants et le choix des écoles aux parents. Depuis 1990, les différents régimes ont apporté de nombreux changements, sans se donner le temps de la réflexion, ni les conditions de mise en œuvre. Le contexte économique très difficile a fait peser des menaces de licenciement et les écoles ont dû se transformer pour continuer à accueillir suffisamment d’élèves. Le balancier n’a cessé de passer de curricula contraignants à une plus grande autonomie des écoles et retour. Les résultats de Pisa 2000, le souci d’une assurance qualité dans les enseignements ont eu des impacts non négligeables. Les enseignants n’ont marqué que peu de résistances à ces changements. Peu aidés et peu écoutés, ils ne prennent part au débat que de manière consultative. De plus le discours sur la diversification des écoles publiques cache aussi le souhait de voir exister des filières pour les enfants des classes moyennes ou aisées, alors que le secteur privé n’existe pas.

Contributions des intervenants accessibles sur

http://www.ciep.fr/ries/colloque-2009/atelier-A.php

Des modèles éducatifs guidés par des contextes économiques

Du colonialisme à la globalisation

La scolarisation au Cameroun, comme dans une grande partie de l’Afrique, telle que décrite par Pierre-Marie Njiale, est d’abord liée à l’évangélisation et à la colonisation. Après lespremières écoles baptistes du 19ème, le mandat français de début du 20ème siècle institue un système d’écoles laiques centralisées pour 80% de la population, tandis que 20% se retrouvent sous mandat anglais avec n système éducatif plus souple et plus adapté aux réalités locales. L’explosion scolaire des années 60 à 80 se réalise sous intervention d’organismes supranationaux comme la Banque mondiale, dont il faut accepter es objectifs de croissance d’élèves et d’élévation du niveau de formation. Comme l’école ne fait as l’objet d’un débt public, comment mettre en place une dialectique de continuité dans les ruptures, de culture mondiale face à une culture sociologique de terroirs locaux ? La coexistence de 2 modèles d’éducation, plutôt à l’honneur du modèle anglais, ne manque pas d’éveiller l’intérêt des experts présents dans la salle, qui voient dans cet aspect du Cameroun la possibilité de disposer « d’un laboratoire en vraie grandeur ».

Au Japon, explique Jun Oba, au modèle centralisé de l’après 1945 construit pour assurer l’égalité des chances, a succédé en 1985 un modèle beaucoup plus décentralisé avec une carte scolaire assouplie et des modes diversifiés de certification des enseignants. En 2002, une réforme a réduit le temps disciplinaire au profit d’un temps d’apprentissage intégré. Le système éducatif se place aujourd’hui dans une logique de marché et de compétition. Environ 14% des communes proposent aux parents le choix de leur école, primaire ou secondaire.Un système de conseillers d’écoles a été mis en place et une grande marge de manœuvre est donnée aux départements pour la gestion des enseignants. Chaque école dispose d’un comité de pilotage local, qui donne des avis sur la gestion de l’école et les activités pédagogiques. En 2006, la révision de la loi sur l’éducation s’est accompagnée d’un plan d’implication de la société tout entière, car la logique libérale pose de ombreux problèmes par rapport à des objectifs d’égalité des chances ou de qualité d’activités pédagogiques. La question se pose maintenant d’un retour à un contrôle plus fort de l’Etat et d’une redéfinition, nécessaire, du rôle de tous les acteurs (Etat, collectivités, parents, partenaires sociaux …).

Contributions des intervenants accessibles sur

http://www.ciep.fr/ries/colloque-2009/atelier-A.php

Dewey 1, Durkheim 0

Quand les valeurs citoyennes sculptent le modèle scolaire

Pour Denis Meuret, comme il l’a décrit dans son ouvrage « Gouverner l’école » les objectifs de l’école sont fixés par les modèles politiques d’éducation. Il le démontre ici brillamment, avec à sa gauche Emile Durkheim (1858-1917), sociologue français et à sa droite John Dewey (1859-1952), philosophe politique et philosophe de la connaissance américain. Tandis que le but de ‘éducation est pour Durkheim de la République et de développer des individus capables de s’auto-discipliner et dont la morale doit conjuguer le désordre, pour Dewey, il s’agit d’améliorer la démocratie et de développer des individus libres, capables d’imagination et de création.

Pour le savoir, Durkheim considére qu’il doit élever l’esprit ou préparer à un métier, en se fondant sur la compéhension des lois et l’application des règles. L’enseignement a pour but de combattre les idées fausses et le mauvais élève est un rebelle. Il doit aussi aider à lutter contre les mauvaises valeurs sociales (hédonisme, liberté individuelle). Dewey, pour sa part, pense que le savoir permet de répondre à des questions et de se préparer à la vie. L’enseignement doit promouvoir les valeurs de la démocratie américaine. Il doit donner capacité à agir dans le monde et le mauvais élève est paresseux. Alors que pour Durkheim, l’autorité de l’enseignant est institutionnelle, elle est fonctionnelle pour Dewey. De même, l’un estime que l’école doit être coupée du monde et que son autonomie se fonde sur cette rupture, alors que l’autre affirme pour l’école une nécessité de s’adapter aux besoins de chaque enfant, de mimer le monde et de s’adapter pour s’améliorer.

Il n’est donc pas étonnant que le système éducatif français fonctionne sur un mode binaire (après la 3ème, la 2nde, le bac, on continue dans la voie linéaire ou on en est éjecté), alors que le système américain fonctionne sur un continuum de niveaux et d’établissements, du plus humble au plus prestigieux.

Il n’est pas non plus étonnant que le système français, pourtant capable de modernisation et d’innovation, comme il l’a montré à maintes reprises, soit réticent à l’idée de s’analyser et de rendre compte (n’est-il pas déjà parfait ?) tandis que le système américain est ouvert à l’idée d’améliorer les standards et d’évoluer avec la société. Denis Meuret constate aujourd’hui que la culture de l’évaluation n’a pas réussi à se mettre en place en France : les outils, souvent superbes, ne sont as utilisés, les projets de pilotage ne sont pas suivis. Le système éducatif français considère encore que l’erreur est honteuse, l’évaluation une menace et que les élèves sont responsables de leurs échecs. Outre-Atlantique, l’erreur est normale, l’évaluation fait partie des habitudes et l’école est responsable des échecs des élèves. L’école française est là pour sauver la société et n’a pas à lui rendre de comptes, l’école américaine fait partie de la société et doit lui rendre des comptes.

Une analyse de Gouverner l’école

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/elementaire/Pages/82_DenisMeuretgouvernerl’Ecole.aspx

La contribution de D. Meuret sur le site du CIEP

http://www.ciep.fr/ries/colloque-2009/atelier-A.php