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Quelles modifications ont été introduites dans le nouveau projet de programme de maths de seconde ? Que penser de cette évolution ? Que nous apprend-elle sur l’histoire des maths et la façon dont elle est perçue ?

J. Moisan l’avait annoncé dans son interview du 7 mai au Café Pédagogique : l’Inspection Générale a bien tenu compte des résultats de la consultation réalisée après la publication, en mars 2009, du premier projet. Le 19 mai 2009, a donc été publié, sur Eduscol, un projet remanié, qui sera soumis pour approbation aux instances réglementaires pour pouvoir être mis en œuvre en septembre 2009.

Les changements principaux voient, par rapport au projet initial, la disparition des thèmes d’étude, la réintroduction de la géométrie vectorielle plane, et une réapparition dans les contenus de la géométrie déductive plane et dans l’espace.

Examinons, point par point, cette évolution.

L’introduction

Didier MissenardPour ce qui est de l’introduction, le programme réitère sa préférence pour une entrée par compétences, même si cette réécriture a vu l’abandon des thèmes, où ce type d’écriture était particulièrement pertinent. Le projet dit que « les capacités attendues sont clairement identifiées », mais elles ne sont plus qualifiées d’ « en nombre volontairement limitées ». On voit bien là que le changement d’orientation opéré n’a été fait qu’à regret, car, effectivement, on peut s’interroger sur le poids des contenus, après cette réécriture. L’accroissement de leur nombre pourra peut-être engendrer des doutes relativement à la faisabilité de l’intégralité de ce projet dans toutes les classes.

Cette insistance sur les compétences est, pensons-nous, renforcée par un paragraphe dédié à l’évaluation (alors qu’il n’y en avait pas dans le projet initial) qui indique : « Les élèves sont évalués en fonction des capacités attendues (…) ».

Dans la partie dévolue au « Raisonnement et au langage mathématiques », on constate une évolution du vocabulaire, puisqu’elle est qualifiée de « rubrique », au lieu de « partie du programme » ; néanmoins, le projet indique encore que les éléments qui la composent « font pleinement partie du programme ».

Dans le paragraphe sur la « Diversité de l’activité de l’élève », les travaux écrits réalisés hors temps scolaire passent d’une qualification de « absolument essentiels à toute progression de l’élève » à celle de « permettent, à travers l’autonomie laissée à chacun, le développement des qualités d’initiative ». Cette formulation moins prescriptive a sans doute pour but d’adapter le programme à la variété des situations que l’on peut rencontrer d’une division, ou d’un établissement à l’autre.

L’organisation du programme renonce au découpage de chacune des trois parties en deux, qui avait fait penser à certains que la semestrialisation prévue pour la réforme avortée de cette classe était sous-jacente au projet initial. La phrase incitant à la continuation de l’étude de la géométrie dans l’espace disparaît, puisque cette géométrie réapparaît dans les contenus, bien qu’il n’y ait guère là de nouveautés par rapport au Collège.

Enfin, dans la partie « Utilisation d’outils logiciels », l’accent est mis sur des activités de type algorithmique signalées dans les commentaires des contenus par un symbole spécifique.

1 : Fonctions

Les contenus du projet perdurent globalement. Le paragraphe intitulé « Fonctions et formules algébriques », qui traitait de la mise sous forme adéquate d’une expression, disparaît. Apparaissent deux paragraphes nouveaux : l’un sur l’étude des fonctions polynômes de degré deux, et des fonctions homographiques, l’autre sur la trigonométrie.

Pour les polynômes, les variations et symétries sont attendues, mais les preuves en sont optionnelles ; la mise sous forme canonique « n’est pas un attendu du programme ». Quant aux fonctions homographiques, l’identification de l’ensemble de définition comme seul attendu laisse un peu perplexe.

En trigonométrie, on définit cosinus et sinus d’un réel (en enroulant, comme dans les programmes actuels, la droite réelle sur le cercle trigonométrique) ; mais « la notion de radian n’est pas exigible », ce qui semble laisser entendre qu’elle pourra être traitée (suivant le niveau de la classe, peut-être ?).

2 : Géométrie

Cette partie a été nettement accrue. Viennent s’adjoindre aux items du projet initial, un paragraphe sur les configurations du plan, un autre de géométrie dans l’espace, et un dernier sur la géométrie vectorielle.

L’Inspection a voulu ainsi probablement répondre aux critiques formulées sur l’absence de vectoriel et de géométrie non repérée dans le projet initial, qui, rappelons-le, ne contenait, en terme de contenus géométriques nouveaux, que de la géométrie repérée ; l’étude de configurations de géométrie dans l’espace était seulement requise dans l’introduction.

En géométrie plane, comme en géométrie dans l’espace, les configurations proposées sont celles qui sont déjà étudiées au Collège : seule une invite à l’usage d’algorithmes en géométrie repérée plane sera donc véritablement nouvelle pour les élèves venant de Collège.

Pour ce qui est du vectoriel, on y définira la translation (sans qu’elle devienne objet d’étude) de la façon suivante : « À tout point C du plan, on associe, par la translation qui transforme A en B, l’unique point D tel que [AD] et [BC] ont même milieu ». Les vecteurs seront associés aux transformations ainsi définies.

Cette définition rappellera des souvenirs à ceux qui ont pratiqué les pénultièmes (et les ante pénultièmes) programmes, où elle servait de définition aux parallélogrammes. Son intérêt résidait dans son “efficacité” en matière de situations : un riche « îlot déductif » d’activités peut s’articuler autour de cette définition, qui sera, espérons-le, autrement plus opératoire que le trio « sens, direction, norme » des précédents programmes.

3 : Statistiques et Probabilités

Du fait de la disparition de l’organisation binaire des parties, une séparation statistiques/probabilités a été mise en place, le préambule indiquant qu’il était souhaitable que ces enseignements « fassent l’objet d’allers et retours ».

En statistiques, la dénomination « intervalle de dispersion empirique », inédite, a été remplacée par « intervalle de fluctuation », plus classique. Sa définition a été assez largement réécrite.

On y précise aussi qu’un échantillon « par définition, s’obtient par tirage avec remise ».

Algorithmique

Cette partie quitte la liste des contenus numérotés (où elle portait le numéro 7 dans la version initiale), pour être mise, hors numérotation, sur le même pied que la partie finale (Notations et raisonnements mathématiques).

Ce changement de statut est sans doute destiné à rassurer ceux que la réaffirmation de la présence d’éléments de programmation a effrayés, bien que ces éléments figurent dans nombre de programmes depuis de nombreuses années. Les contenus en sont quasi inchangés par rapport à la première mouture.

Notations et raisonnement mathématiques

Cette partie, apparemment plébiscitée, est inchangée, à sa qualification près, qui passe de « partie du programme » à « rubrique »…

Quels penser de l’évolution du projet ?

Cette évolution nous semble, en partie, marquer un certain recul relativement aux modalités d’écriture du projet initial ; or, ces modalités sous-tendent des conceptions de la formation, et donc de la discipline d’enseignement même.

En effet, le projet initial s’articulait d’abord autour d’une lecture par compétences (« capacités »), où les connaissances passaient au second plan : c’était particulièrement patent pour les thèmes. Dans la mouture actuelle, l’organisation reflète plutôt un retour des savoirs, même si l’importance des compétences est explicitement rappelée. Néanmoins, l’importance du raisonnement, l’entraînement à la logique, l’introduction de l’algorithmique, relèvent bien d’un enseignement articulé plutôt autour de compétences que de savoirs explicités.

L’institution a sans doute voulu écouter la partie du corps enseignant qui a bien du mal à imaginer un enseignement des mathématiques en évolution, et à considérer la formation de l’élève dans sa globalité. Notre discipline a sans doute une histoire qui explique la difficulté qu’elle a à se transformer, quand toutes les études, et aussi les exemples des autres pays, y poussent : en simplifiant (outrancièrement…), passer d’une conception d’un enseignement à finalités ségrégatives à un enseignement à visées éducatives, c’est passer d’un paradigme à un autre…

Il serait d’ailleurs sans doute utile, pour faire avancer les choses, que soit écrite une épistémologie des évolutions modernes de notre discipline qui permettrait à chacun d’en mieux comprendre les racines : une (improbable ?) psychanalyse institutionnelle…

En résumé, ce projet réécrit ressemble davantage à un programme classique : il rassurera les inquiets et décevra un peu ceux qui ont envie d’avancer, et avaient trouvé dans les thèmes d’étude un renouvellement salutaire à plus d’un titre.

Rappelons néanmoins que ce programme ne sera sans doute que transitoire, puisqu’une réforme de la classe de Seconde devrait voir le jour à la rentrée 2010, et qu’elle pourrait s’accompagner d’une modification des horaires, ou (se permettra-t-on de rêver) de modifications de la structure même du Lycée, qui a, lui aussi, bien besoin d’évoluer…

On pourra enfin se demander si la taille du programme ne risque pas de poser problème, la focalisation sur la lettre des programmes étant un impératif pour beaucoup d’enseignants, au détriment parfois d’une prise de recul.

Il n’est effectivement pas possible, en matière d’évolutions sociologiques, « d’aller plus vite que la musique », et les groupes sociaux ont toujours besoin de temps pour évoluer : on peut espérer que les éléments qui étaient présents dans le projet initial, et les nouveautés qui subsistent, incitent les enseignants de mathématiques à s’interroger sur la finalité de ce qu’ils enseignent.

N’est-ce pas là, finalement, la seule question qui vaille ?

Didier Missenard

(IUFM de Versailles & Lycée Blaise Pascal à Orsay)

Les projets successifs de programme pour la classe de Seconde, sur Eduscol

http://eduscol.education.fr/D0015/consult_Maths.htm

L’interview de Jacques Moisan

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/05/Nxprogrammes[…]

Sur le Café, une analyse du projet initial

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/sciences/maths[…]