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Par Jeanne Claire Fumet

A qui profite la déreglementation ? Jeudi 6 mai 2010, le SNPDEN communiquait les résultats d’une enquête menée auprès d’un quart des établissements scolaires. La réponse est sans appel : « l’assouplissement » puis la disparition de la carte scolaire ont non seulement aggravé la situation des établissements des ZEP mais aussi déstabilisé les établissements des villes moyennes. Le Snpden constate le mécontentement des familles.

Devant l’absence d’analyses chiffrées des effets de l’assouplissement de la carte scolaire décrétée en 2007, le SNPDEN (Syndicat National des Personnels de Direction de l’Éducation Nationale), premier syndicat des personnels de direction, a diligenté une enquête auprès des établissements scolaires. Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, présentait ce jeudi 6 mai les principales indications qui résultent des 2785 réponses analysées. Les 3 critères retenus sont l’incidence de cette mesure sur les effectifs, sur les caractéristiques sociales et sur les caractéristiques scolaires des élèves, rapportée à la moyenne générale de l’évolution de l’ensemble des établissements.

Loin de toute polémique, il précise d’emblée que ces résultats sont indicatifs : environ un quart des établissements seulement s’estime touché de manière sensible par les effets de cette mesure. Mais les tendances qui se dessinent pourraient révéler des mouvements de fond bien éloignés des déclarations optimistes du gouvernement.

Premières victimes, sans surprise, une partie des ZEP, RAR qui souffrent d’une forte déperdition d’effectif et d’un effet d’homogénéisation social et scolaire très nets. L’effet ghetto jouant à plein, la baisse des effectifs ne permet pas les effets bénéfiques d’une scolarisation personnalisée : quand la désespérance scolaire et l’échec deviennent la norme, les meilleurs moyens sont impuissants à renverser la tendance.

L’analyse du Snpden confirme l’alarme donnée fin 2008 par le rapport des inspecteurs généraux Obin Peyroux. Ils écrivaient :  » Pour les inspecteurs généraux,  » dans la plupart des départements visités, la question de la survie de certains collèges est ouvertement posée… C’est aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements que la mixité sociale est mise le plus rudement à l’épreuve : dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu. »

Autre effet notable de la mesure, la déstabilisation des structures moyennes de villes moyennes : la mise en concurrence latente des établissements publics similaires induit un effet de suspicion des familles à l’égard de l’offre de proximité et tend à favoriser des migrations du public vers des établissements estimés plus favorables à la réussite. A défaut de critères objectifs, les modèles imaginaires liés au lieu (centre ville), à l’architecture (ancienne) et au nom (classique) servent de boussoles aux familles désorientées par une injonction de choix dont elles maîtrisent mal les enjeux.

Les établissements sont destabilisés par le changement de leur public traditionnel. La possibilité de choisir devait favoriser le mélange des publics scolaires et sociaux ; en réalité, on observe l’effet inverse : les élèves de même niveau et de même milieu ont tendance à se rassembler dans les mêmes établissements. Les établissements négligés en raison de préjugés défavorables se retrouvent ainsi réellement affaiblis.

Loin des discours optimistes sur la démocratisation et la mixité scolaire, l’assouplissement semble donc bien conduire à des inégalités territoriales et sociales accrues, ainsi qu’à un sentiment global de mécontentement des familles qui craignent ou estiment être moins bien servies qu’elles ne le voudraient. Les publics les plus fragiles, comme dans le cas de la suppression des allocations familiales pour absentéisme, en subissent de plein fouet les effets nocifs ; les catégories moyennes sont les plus menacées à moyen terme, tandis que les populations scolaires favorisées semblent logiquement préservées des risques de la mesure.

Philippe Tournier insiste sur l’inutilité d’un retour conservateur à l’ancienne carte scolaire : ce que demande le SNPDEN, c’est une réflexion précise sur les impératifs de régulation des flux d’effectifs au sein de l’enseignement public, rôle dont l’État ne peut se désengager sous prétexte de liberté, en laissant s’aggraver les différences les plus inégalitaires – tout en prônant par ailleurs l’ouverture des meilleures écoles aux élèves des milieux sociaux les plus défavorisés. L’impératif est celui d’une régulation réfléchie et tempérée, suivie de manière continue à long terme, plutôt que d’une absence de règles claires ou d’une administration rigide.

Liens :

Le rapport Obin Peyroux (2008)

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2[…]

A qui profite la déreglementation

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009/10[…]

Dossier la carte scolaire en débat

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/Do[…]

Verbatim : Le document du Snpden

« Tout se passe comme si l’assouplissement de la carte scolaire attisait le mouvement (latent ailleurs) de dégradation des établissements un peu défavorisés mais encore mixtes perdant une partie de leur population au profit d’autres, moyens ou un peu favorisés ». Le Snpden a mis en ligne l’étude sur l’impact de l’assouplissement de la carte scolaire dont L’Expresso du 7 mai avait rendu compte.

Chiffres à l’appui elle montre concrètement comment « l’assouplissement » a dégradé la situation non seulement des établissements ZEP mais aussi des établissements « moyens », un peu défavorisés ou un peu favorisés. « Peut-être est-ce là l’indice de mouvements de radicalisation des établissements moyens « sans histoire », continue P Tournier, secrétaire général du Snpden, « qui changent silencieusement de profils pour devenir franchement « bons » ou franchement « mauvais ».

L’impact est aussi négatifs sur les établissements défavorisés. « C’est prioritairement sur les établissements socialement les plus défavorisés, aux élèves le splus en difficulté, que la pression d’établit ».

Enfin l’étude montre que le privé est bénéficiaire de cet « assouplissement ». « En laissant entendre aux familles qu’elles obtiendront ce qu’elles veulent dans le public, sans pouvoir les satisfaire toutes, on organise le mécontentement envers le service public qui s emanifeste par le départ vers le privé ».

L’étude du Snpden

http://www.snpden.org/0_bienvenue/enqueteSNPDENcartescolaire.pdf

Carte scolaire : Une « simple ânerie »

Le rapport de la Cour des Comptes sur l’assouplissement de la carte scolaire confirme que cette politique est néfaste. Quelle autre solution peut-on proposer ?

Le rapport de la Cour des Comptes sur la politique de la ville, remis au Sénat le 3 novembre 2009, analyse l’évolution des collèges depuis « l’assouplissement de la carte scolaire » voulu par le président de la République. Il montre que la ghettoïsation des établissements difficiles s’est accentuée. Sur 254 collèges ambition réussite, écrit Le Monde, 186 ont perdu jusqu’à 10% de leurs élèves. Essentiellement les moins pauvres. A Paris, le rectorat a inventé l’expression « collège dépressionnaire » pour désigner ces établissements d’une façon tristement éloquente.

Des effets déjà connus. A vrai dire, l’analyse de la Cour des Comptes avait déjà été faite il y a un an. Les inspecteurs généraux Jean-Pierre Obin et Christian Peyroux avaient remis à X Darcos un rapport qui annonçait cette dégringolade. « Dans la plupart des départements visités », écrivaient-ils, « la question de la survie de certains collèges est ouvertement posée… C’est aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements que la mixité sociale est mise le plus rudement à l’épreuve : dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu. » Ils posaient le diagnostique de la survie de ces établissements.

Double ânerie. Pour toute réponse, X Darcos s »était contenté de qualifier de « double ânerie » les conclusions du rapport des deux inspecteurs. Luc Chatel est plus aimable et annonce la publication d’un rapport interne à la fin de cette année.

Que faire ? L’ancienne carte scolaire avait montré ses limites. Elle n’avait pas réussi à lutter contre la ghettoïsation. Mais, inversement, les pays qui pratiquaient la liberté de choix totale (la Belgique, l’Angleterre) sont en train d’instaurer des règles. C’est cette gestion régulée que préconisait aussi Nathalie Mons, dans un article écrit pour le Café. « Tout dépend de la façon dont est conduite la réforme de la carte scolaire » écrivait-elle. « La recherche que j’ai menée sur les politiques de libre choix de l’école montre que dans les pays de l’OCDE il existe deux grandes voies de réforme de la sectorisation classique. Dans un premier cas, que j’ai appelé « le libre choix total », les familles choisissent l’école de leurs enfants et les établissements sélectionnent les élèves qu’ils souhaitent recruter. Il n’y a pas de médiateur entre les parents et le chef d’établissement qui – lorsqu’il est à la tête d’un établissement prestigieux – s’avère être le décideur final… La carte scolaire peut également être réformée selon une seconde logique que j’ai qualifiée de « libre choix régulé ». Dans ces pays, si le choix des parents s’impose comme la règle de base de l’organisation, les inscriptions sont cependant régulées en aval par les autorités locales en charge de l’affectation des élèves ». Luc CHatel aura-t-il la volonté et la puissance politique nécessaire pour une politique de rééquilibrage social ?

Article du Monde

http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/11/05/carte-sc[…]

La carte scolaire sur le Café

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009/106[…]


Sur le site du Café