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Par Jean-Louis Auduc

Ancien directeur d’IUFM, fin connaisseur du système éducatif, Jean-Louis Auduc décrypte le projet de décret sur la gouvernance du système éducatif. Pour lui cette réforme politise l’administration du système éducatif et va décourager les initiatives et l’innovation.

La réforme de la gouvernance du système éducatif examinée au Conseil Supérieur de l’Education du 30 juin 2011 n’est pas une simple réforme technique. Elle révèle assez crûment la politique actuellement suivie dans le domaine de l’Education Nationale.

En faisant du recteur « la seule autorité compétente dans l’académie » et en faisant disparaître les Inspecteurs d’académie-Directeurs des services départementaux de l’Education Nationale qui deviendront des « directeurs académiques », cette réforme tourne le dos à plus de deux cents ans de gouvernance éducative et reflète la volonté de l’actuel gouvernement de conjuguer pour l’éducation, libéralisme et autoritarisme.

Il y a d’un côté les discours libéraux sur l’autonomie des établissements, la suppression de la carte scolaire, la mise en concurrence des établissements, l’insistance sur la gestion « locale », et de l’autre une volonté de recentration politique partisane très forte des pôles de décision qui doit faire réfléchir.

Politiser le service public ?

Un Recteur et un Inspecteur d’académie, tous deux héritiers du décret loi de mars 1808 de Napoléon Ier ne sont pas dans la même position réglementaire.

Nommé en conseil des ministres, le recteur est le représentant du ministre dans son académie. Jusqu’en 2010, il était choisi parmi des universitaires, généralement ancien président d’université. Depuis un décret du 29 juillet 2010 (J.O. du 30 juillet 2010), il peut être également choisi pour 20% des postes parmi les secrétaires généraux et les directeurs d’administration centrale des différents ministères existant. En 1967, Alain Peyrefitte ministre de l’éducation nationale déclarait alors : « la fonction rectorale n’est pas une carrière, mais une mission. » Nommé en conseil des ministres, le recteur peut voir sa mission terminée sans préavis du jour au lendemain par un autre conseil des ministres. C’est pourquoi à chaque changement de majorité politique, on assiste à ce qu’on appelle « la « valse » des recteurs ». Il se faut rappeler que depuis qu’il est ministre, Luc Chatel a changé plus de la moitié des recteurs en place lors de son arrivée.

De son côté, un inspecteur d’académie –directeur des services départementaux de l’Education Nationale (IA-DSDEN) c’est un Inspecteur pédagogique régional-Inspecteur d’académie (IPR-IA) recruté par concours. Il débute généralement comme I.A. – adjoint dans un département, puis est nommé IA-DSDEN dans un autre département pour trois ans en moyenne et se voit alors nommer dans un autre département…. Il effectue donc une carrière de fonctionnaire d’autorité dans un corps bien identifié.

Diminuer les prérogatives de l’Inspecteur d’académie au profit du Recteur peut entrainer compte tenu des conditions différentes de statut et de nomination, une politisation du service public de l’éducation nationale, qui doit pourtant en toutes circonstances faire preuve de neutralité et d’impartialité. Verra-t-on les directeurs académiques adjoints du Recteur, « valser » régulièrement de leur fonction dès le changement de Recteur ?

La fin du département ?

Ce changement dans la gouvernance pose également une question par rapport à la cohérence de la politique affichée.

Cette réorganisation, ne l’oublions pas s’inscrit également dans la refonte des collectivités locales prévue en 2014 où les conseillers généraux et régionaux seraient remplacés par des « conseillers territoriaux ». C’est donc aussi le principe même du département qui est en cause dans cette réorganisation, comme en témoigne le fait que le Recteur pourra « créer , par arrêté, un service interdépartemental pour la conduite d’actions durables communes à plusieurs services départementaux

L’Inspecteur d’académie gère aujourd’hui les décisions concernant l’organisation, le fonctionnement, les contrôles administratifs et financiers des écoles et des collèges, la répartition entre les établissements des emplois de direction, d’éducation, de documentation, d’enseignement et de surveillance, la structure pédagogique des écoles et des collèges. Il est donc un des vecteurs essentiels si l’on veut réussir à structurer au travers de la démarche du Livret de Compétences, une véritable liaison école-collège.

Devenu directeur académique, adjoints du Recteur, placé sous l’autorité de celui-ci et du secrétaire général de l’académie, n’y-a-t-il pas un risque qu’il voit ses prérogatives limitées aux écoles, le second degré étant totalement géré au rectorat ce qui éloignerait les possibilités de travail en commun ? Le texte de la note de présentation de l’arrêté n’est de ce point de vue guère rassurant puisqu’il indique « Il n’est pas envisagé de revenir dans l’immédiat ( je souligne à dessein) sur les compétences attribuées aux IA-DSDEN » Ce qui signifie qu’on risque de les changer plus tard…

Ce décret, applicable au 1er janvier 2012, pose donc toute une série de questions concernant le pilotage du système éducatif et le recrutement des fonctionnaires d’autorité.

Réduire le pouvoir des IA-DSDEN au profit de Recteurs et des Secrétaires généraux d’académie, c’est privilégier les nominations directement politiques aux dépends de fonctionnaires recrutés par concours et ayant exercé le métier enseignant. Il n’est pas certain que cela favorise l’initiative et l’innovation pédagogique pourtant prônées par le ministre.

Jean-Louis Auduc

Liens :

Chatel réorganise les services académiques

Les conséquences du décret déjà palpables

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/06/27062[…]

Agir en fonctionnaire de l’Etat : Une épreuve pour libérer ou pour soumettre les futurs profs ?
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/29_Agi[.]