Daniel Fabre a d’abord été enseignant chercheur dans le domaine des neurosciences puis en sciences de l’éducation. En s’intéressant à la question de la violence à l’école, il a interrogé les deux domaines : comprendre la violence, la guerrir, la prévenir. Son cheminement l’a mené vers l’echec scolaire et la relation pédagogique. Car s’interroger sur la violence à l’école c’est se questionner aussi sur ce qu’est l’école aujourd’hui.
« De quoi parle t’-on quand on parle de violence à l’école » ?
Pour sa recherche, Daniel Fabre a souhaité comparer des élèves de même âge et de même milieu, violents et non violents désignés comme tels par leurs enseignants. Chez les élèves violents, le taux d’agressivité élevé est au dessus du seuil pathologique, le taux d’anxiété aussi. La dépression est souvent masquée par les comportements agités L’agressivité apparait comme une pulsion pour la survie, un moyen de maintenir l’intégrité physique, psychologique et territoriale. La violence peut correspondre à un besoin acquis de rendre les autres impuissants pour se sentir puissants. On retrouve un fonctionnement dogmatique, figé où ce que les élèves aux comportements violents retiennent correspond uniquement à ce qu’ils pensent. En cas de divergence, ils se sentent attaqués, pour eux, ils ne font que se défendre Daniel Fabre avance deux hypothèses. La première est que la violence est utilisée avant tout comme un moyen de se sentir fort « puisque je peux mettre les autres en position d’objet, alors je suis fort ». La seconde, qui s’appuie sur des travaux scientifiques est que le développement des comportements violents répond à un mécanisme de toxicomanie. La production d’endomorphine lors d’actes agressifs amène à une véritable dépendance.
Guérir ou prévenir ?
Daniel Fabre s’est interrogé sur la réversibilité du comportement violent. Avec son équipe, il a travaillé sur l’explicitation, le développement de la pensée critique chez des jeunes repérés comme violents, pour les amener à prendre contact avec leurs propres perceptions et à développer une certaine autorégulation sur leur fonctionnement. Des ateliers d’expression étaient par exemple organisés. Le travail s’est avéré difficile, nécessitant l’implication d’une équipe pluridisciplinaire. L’habitude de recourir à des comportements violents est longue à changer et implique des changements profonds chez l’individu.
Plus que les comportements violents encore, l’apprentissage est un problème important chez ces élèves. Pour éviter que ces problèmes n’apparaissent et ne s’accroissent, la prévention de la violence s’impose. L’apprentissage est un problème car l’acte d’apprendre implique une remise en question des savoirs antérieurs et une déstabilisation cognitive. Daniel Fabre a orienté ses recherches vers la prévention à la fois de la violence et de l’échec scolaire. Il a défini des indicateurs autour de la notion d’empathie, c’est-à-dire la capacité à se représenter ce que l’autre pense et sent sans inclure dans cette représentation ce que soi-même on ressent ou on pense. Des établissements témoins ont permis de mettre en œuvre et de vérifier des hypothèses. Ses recherches se sont centrées sur la relation éducative pour définir des points clés à aborder dans la formation des enseignants.
Des situations éducatives pour motiver
Les élèves violents et en échec scolaire ont des difficultés à s’autoréguler, ont peu ou pas de prise sur leur façon de penser. Les neurosciences sont convoquées pour fournir une explication du côté des lobes frontaux: Ces lobes ont, entre autres, pour fonction de se représenter l’absent, de lâcher le passé, de se représenter l’avenir, de diriger son attention et de la maintenir. Quelque soit la cause, les enseignants, face aux élèves en difficulté, doivent développer des situations éducatives dans lesquelles l’élève peut renforcer sa capacité à s’auto-reguler.
Le questionnement porte essentiellement sur la motivation. La conception de la motivation est empreinte de trois courants que Daniel Fabre suggère d’inclure. La théorie béhavioriste conforte les tenants de la récompense. Dans cette acception, la bonne note motivera l’élève. La motivation est alors externe, ce qui fait de l’élève quasiment un objet. La théorie de la psychologie humaniste met en avant la pulsion de développement. Au fond de nous quelque chose nous pousse à nous confronter à des épreuves, à explorer. Depuis 2004 les neurobiologistes ont montré que chaque fois qu’un mammifère réussit quelque chose, il produit de la dopamine. L’apprentissage est auto récompensé. Pour le courant psychanalytique, l’inconscient est plus fort que tout. Ces trois courants proposent trois systèmes de motivation. La première motivation à satisfaire est celle de sécurisation autour du besoin de nourriture, de contact mais aussi d’être reconnu. Pour le jeune enfant, cette satisfaction est vitale.
Le postulat de cohérence
Pour Daniel Fabre, dans la relation éducative, le postulat de cohérence permet de faire ressentir à l’enfant qu’il est accepté. Dans le postulat de cohérence, on admet que chacun a des bonnes raisons, des raisons logiques de dire ce qu’il dit, de penser ce qu’il pense, de faire ce qu’il fait et surtout de ressentir ce qu’il ressent. Dans la relation éducative, l’enseignant peut lui-même être porteur de violence lorsque, par exemple, il dit à un élève qui dit ne rien avoir compris « il n’y a pourtant aucune difficulté ». Dans le postulat de cohérence, on accorde de la légitimité à ce qui est ressenti par l’élève. Ainsi, l’élève n’est plus assimilé à l’erreur qu’il a produite. Le courant humaniste propose une valorisation des questions plus que des réponses afin de satisfaire le besoin de découvrir, de comprendre pour relancer le désir d’apprendre. Enfin, le travail sur la relation pédagogique est essentiel. Si le regard sur le travail produit est négatif, alors l’élève aura toutes les peines du monde à revenir dans une situation d’apprentissage déstabilisante par essence.
Daniel Fabre préconise une formation sur ces points mais aussi un projet d’équipe au sein des établissements qui permet aux élèves de se remobiliser pour les apprentissages, de reprendre du plaisir à apprendre. Les faits de violence ne commencent pas en septembre mais plutôt vers la Toussaint avec la remise des premiers contrôles. La note pourrait être un moyen de mesurer la progression mais on n’a pas appris à l’élève à l’utiliser ainsi. La note c’est lui. Les notes devraient être absentes au moins une partie de l’année pour éviter cette assimilation. Il s’agit dans un premier temps de viser la motivation de sécurisation puis lorsqu’elle est satisfaite de mettre en place des situations d’apprentissage favorisant l’exploration. Pour plus de réussite, le travail d’équipe s’élargira aux parents pour partager les enjeux dans une perspective de co-éducation. Les premiers résultats ne seront visibles qu’au bout de quatre à cinq mois, il faut donc accorder du temps.
Des comportements violents, Bernard Fabre a transféré son attention sur l’échec scolaire. Les deux sont liés, corrélés. Pour lui, l’enjeu est de « se remotiver pour les apprentissages pour se démotiver de la violence ». La formation des enseignants, le projet d’équipe sont dans cette perspective deux clés essentielles pour limiter l’echec scolaire, et du même coup la violence qui peut y être associée.
Monique Royer