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Par François Jarraud

C’est un plan d’investissement pour dix ans qu’Henriette Zoughebi, vice-présidente du conseil régionale d’Ile-de-France en charge des lycées, a présenté le 8 novembre. La région donne un nouvel élan et un cap à sa politique de développement des lycées. La réussite pour tous passe par un effort de mixité sociale dans une région où les écarts sociaux et scolaires se sont fortement accrus. Un programme ambitieux pour les dix années à venir qui pose la question des relations avec les représentants de l’Etat. Une façon d’anticiper sur un changement de politique nationale ?

Il est rare pour une collectivité de se donner le temps de penser le changement. Tout au long de 2011, Henriette Zoughebi a rencontré les équipes éducatives, les élus, les jeunes et les parents dans pas moins de 12 lycées franciliens. Cette consultation a permis de faire un état des lieux des établissements et d’entendre les demandes des uns et des autres en réponse à la question « quel lycée voulez-vous pour demain ? »

Le bilan réalisé c’est celui de la ségrégation. « On est dans une région où les inégalités scolaires amplifient les inégalités sociales et territoriales » explique H Zoughebi.  » La décision d’assouplir la carte scolaire a amplifié le phénomène de ségrégation sociale et scolaire dans les lycées et particulièrement en Ile de France où la densité urbaine permet aux effets de mise en concurrence des établissements de jouer à plein. L’entre soi se développe dans les secteurs les plus favorisés socialement. Des lycées très demandés atteignent voire dépassent leurs capacités d’accueil, quand d’autres se vident et se ghettoïsent », explique un document régional. En témoignent les données recueillies par la région. La carte de la surreprésentation de l’enseignement professionnel recoupe celle des communes les moins riches d’Ile-de-France. Les élèves issus par exemple des communes populaires de la proche couronne (Seine-Saint-Denis ou Val-de-Marne) ou des communes rurales de l’est de la Seine-et-Marne vont plus fréquemment dans la voie professionnelle. La ségrégation montante s’observe même à micro-échelle. Ainsi à Melun tel lycée compte 49% de jeunes issus de familles défavorisées quand 3 autres établissements en comptent moins de 20. l’assouplissement de la carte scolaire a augmenté la pression sur certains établissements demandés par de nombreuses familles, un phénomène accentué en Ile-de-France compte tenu de la densité d’habitat et de transport. Contrairement aux régions plus rurales, de très nombreuses familles franciliennes ont plusieurs lycées à proximité de leur domicile ce qui place les lycées en situation de concurrence. « Les parents de milieu favorisé regardent plus l’entre soi que la capacité de l’équipe éducative à enseigner », note H Zoughebi. Cette situation « tire vers le bas » les résultats scolaires en Ile-de-France. Cela diminue les performances de l’école.

C’est ce qui fonde le choix du président du Conseil régional et de sa vice-présidente. Si la mixité de certains peut s’accommoder de la ségrégation, la réussite de tous passe par la mixité sociale. Les deux objectifs sont liés et la région doit intervenir pour réguler les inégalités. « On n’est pas dans l’idée que seuls les plus méritants doivent réussir », précise H Zoughebi. « On veut la réussite de tous les jeunes ».

Mais comment faire ? « On ne reviendra pas à la carte scolaire », explique H Zoughebi. « On va faire de beaux lycées dans les quartiers populaires avec des formations comparables à celles de lycées de centre ville ». Le plan d’investissement détermine les instruments d’une nouvelle politique. Pour réussir la mixité, la région va jouer sur l’offre de formation. Elle va encourager la polyvalence des établissements. Un nombre plus important de lycées comprendra à la fois des filières générales, technologique set professionnelles, de façon à regrouper des élèves différents. Ils offriront davantage de choix. La région encouragera le développement de filières post-bac et d’internats dans les établissements de banlieue. Elle développera une offre de formation en rapport avec le développement local. Un exemple a été donné celui de Saint-Denis où le nouveau lycée Suger prépare aux métiers de l’image dans une zone où les studios TV se développent. Ces nouveaux emplois doivent aller aux élèves du secteur.

La forteresse Etat. Cette nouvelle politique implique un réaménagement de la carte des formations et une vision concertée du devenir des établissements. Or la politique gouvernementale actuelle, où celle que préconise le programme UMP pour 2012 ne vont pas dans le même sens que la politique régionale. Le débat avec les 3 rectorats franciliens est ouvert. La région  » est très attachée au service public national d’Education et au respect des compétences de l’Etat en ce domaine. Pour autant, elle n’est pas un prestataire de services, livrant clé en main des bâtiments rénovés ou neufs à l’Education nationale. Ses choix de rénovation et de construction répondent d’abord à une ambition éducative », précise le projet de plan d’investissement.

Les étapes. Mardi 8 novembre, Jean-Paul Huchon et Henriette Zoughebi ont présenté au Conseil régional un projet de délibération qui fixe les grands principes qu’entend poursuivre la région. Après un bilan des réunions de concertation tenues dans les lycées, le Conseil régional mettra en place début décembre un Observatoire de la réussite, de l’égalité et de la mixité sociale. Il rassemblera experts, élus, représentants des équipes éducatives et des parents et des rectorats. Ils auront à réfléchir aux évolutions démographiques (il faudra prévoir 10 000 places supplémentaires), à la carte des formations, aux améliorations à apporter à l’architecture et aux équipements des lycées. En 2012, le Conseil régional adoptera un plan d’investissement de 10 ans qui fixera l’effort financier et les actions concrètes menées pour atteindre les objectifs d’égalité et de réussite jusqu’en 2022. De ces deux quinquennats nul doiute que le premier soit le plus déterminant pour faire passer les idées de la région. Henriette Zoughebi compte sur les équipes éducatives pour l’aider. « On est résolument aux cotés des équipes éducatives et des jeunes pour transformer les choses. Contrairement à ce qu’on lit ci ou là, les équipes ne sont pas désespérées ou moribondes. Si on leur dit que ça peut bouger, elles auront envie de le faire. On voit la souffrance des enseignants, des jeunes, des familles. On ne peut plus renvoyer cela à des questions personnelles. Il faut une véritable mobilisation pour changer les choses ».

François Jarraud