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Par François Jarraud

Qui souscrit à l’annonce de transformer la dernière année de bac professionnel en apprentissage ? La proposition de Nicolas Sarkozy est rejetée par les acteurs de l’Ecole, toutes catégories confondues. Elle inquiète fortement certains. Serait-elle bassement électoraliste ?

Il y a quelques mois N Sarkozy recevait les lauréats des Olympiades des métiers - Photo CP S’exprimant le 22 février sur France 2, Nicolas Sarkozy a proposé que la troisième année de bac professionnel se fasse « systématiquement en apprentissage dans l’entreprise« . Pour lui cela permettrait d’insérer 250 000 jeunes en entreprise. Même si certains déclarent cette mesure « inattendue », il faut rappeler que le président de la République avait déjà fait presque la même proposition le 29 janvier. Ce jour-là il avait dit : « Toute formation professionnelle, y compris celles délivrées par les lycées professionnels, doit aller vers l’alternance ». Les deux propos montrent à la fois une certaine confusion entre alternance et apprentissage et une volonté délibérée de remettre en question l’enseignement professionnel.

Cette mesure est-elle à même de réduire le chômage des jeunes ?

« On va encore enlever une année de formation pour montrer que l’insertion est plus facile sans diplôme », ironise Jean-Jacques Hazan, président de la Fcpe. Les statistiques montrent qu’il y a un lien entre le niveau de diplôme et la rapidité de l’insertion professionnelle. « Toutes les enquêtes récentes montrent que le sur-chômage des jeunes n’affecte pas ou peu les sortants diplômés de l’enseignement supérieur et les bacheliers technologiques et professionnels industriels, apprentis ou non », rappelle le Se-Unsa. Plus que le mode d’accès dans l’entreprise c’est le diplôme qui en France fait l’embauche. Une étude du Céreq a montré en 2007 cette inadaptation de l’apprentissage à aider les jeunes peu qualifiés à entrer en emploi. « Derrière une idée simple, l’apprentissage se compose en fait d’espaces divers… dont le plus dynamique actuellement n’est peut-être pas le mieux à même de répondre au principal enjeu des politiques de l’emploi : réduire le chômage des jeunes », affirmait-elle déjà. Depuis les entreprises ont encore réduit leur offre. Une autre étude, en 2011, a mis en évidence que le diplôme est un facteur d’insertion bien plus puissant que l’apprentissage.

Est-ce même faisable ?

« Je suis sceptique sur la généralisation systématique », nous confie Patrick Guès, responsable de la communication des Maisons familiales rurales, des structures qui ont des classes agricoles en pré-apprentissage. P Guès est favorable à l’alternance et au pré-apprentissage qu’il voudrait voir étendre aux secondes professionnelles. Pour lui, « croire que tous les apprentissages doivent obligatoirement se faire entre les murs d’une classe n’a pas de sens. Notre expérience prouve que le savoir ne s’acquiert pas qu’à travers le professeur ». Pour autant, il déplore cette confusion entre alternance et apprentissage et ne croit pas la mesure Sarkozy possible. « On n’a pas la même culture que l’Allemagne », précise-t-il. Même perplexité à la Peep. Valérie Marty, la présidente de l’association de parents d’élèves, ne voit pas pourquoi ce serait systématique « alors que les bacs professionnels sont si différents. Cela présuppose que les entreprises aient la capacité d’accueillir tous ces jeunes. Je ne comprends pas le sens de cette mesure », nous confie-t-elle. « L’expérience de l’entreprise est importante pour les jeunes. Les stages sont une bonne chose », souligne Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région Ile-de-France en charge des lycées. « Mais les patrons ne veulent pas d’apprentis trop jeunes. Ils cherchent des qualifications élevées. C’est aussi une question de loi du marché ». De fait si l’apprentissage se développe rapidement c’est au niveau post-bac. Le nombre de contrats d’apprentissage est très loin d’atteindre les objectifs gouvernementaux et spécialement pour les bas niveaux de qualification. « L’apprentissage est lié au marché de l’emploi et de l’économie », explique Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt. « Augmenter de 250 000 le nombre d’apprentis est irréaliste économiquement. Les contrats d’apprentissage en si grand nombre absorberaient une partie supplémentaire de l’activité, bloquant ainsi l’accès à l’emploi pour les jeunes diplômés ».

Une mesure préparée par la loi Charpion.

Pourtant, en juillet 2011, le gouvernement a changé les règles du jeu avec la loi Charpion. Elle pallie le refus des entreprises d’embaucher des apprentis en relevant le taux obligatoire d’apprentis de 3 à 4%. Elle invente aussi l’apprentissage sans entreprise en permettant d’entrer en formation d’apprentissage sans contrat avec une entreprise, le jeune étant considéré stagiaire pendant un an.

Une mesure discriminatoire ?

« Autant le choix entre lycée professionnel et alternance peut se poser pour certains jeunes, autant la systématisation est inquiétante », nous confie Henriette Zoughebi. « Aujourd’hui on a des difficultés à trouver des stages pour des jeunes qui veulent entrer en apprentissage pour bénéficier d’une rémunération mais qui ne sont pas pris par l’entreprise en raison de discrimination sur leur nom, leur adresse, leur faciès ou leur sexe ». Ainsi 600 jeunes auraient vu leur diplôme professionnel validé dans l’académie de Créteil alors qu’ils n’ont pas trouvé de stage. « La formation professionnelle scolaire par contre est une garantie pour tous les jeunes de pouvoir se former et c’est très important. On a besoin de jeunes titulaires d’un bac pro ou d’un BTS mais que leur diplôme ne dépende pas du bon vouloir d’un patron. On est là sur une question de fond. La proposition de Nicolas Sarkozy aggraverait la situation de ces jeunes. Elle est scandaleuse », souligne H Zoughebi.

La destruction de l’enseignement professionnel ?

« Le président veut tuer l’enseignement professionnel » nous a confié Christian Lage, secrétaire général du Snetaa, le premier syndicat de l’enseignement professionnel. « C’est une vraie agression contre l’école et on est vent debout contre cette mesure ». L’enseignement professionnel perd 3500 postes à la prochaine rentrée. La mesure pronée par le candidat Sarkozy effacerait encore des milliers d’emplois. « Je suis très remonté sur le fait que le gouvernement s’acharne sur l’enseignement professionnel », nous dit Jérome Dammerey, secrétaire général du Snuep, le syndicat FSU de l’enseignement professionnel. « Un peu partout le gouvernement ferme des filières en lycée professionnel pour les passer en CFA ». Il cite un exemple. Dans la propre ville de Luc Chatel, Chaumont, le recteur a décidé de fermer un CAP peintre carrossier. Les jeunes sont obligés de s’inscrire en CFA et de trouver un patron pour poursuivre cette formation. H Zoughebi nous a confirmé cette politique. « Jusque là on a refusé l’ouverture de BTS en apprentissage quand ils remplaçaient des formations sous statut scolaire comme cela nous a été proposé dans l’académie de Versailles. La région fait attention à ce que l’on ne mette pas en concurrence les deux voies de formation ». D’autant que la région investit dans les lycées professionnels et n’apprécie pas de voir ses efforts annulés d’un trait de plume.

Quelle finalité ?

« C’est une mesure invraisemblable. C’est énorme. C’est une vraie transformation de la formation professionnelle qui s’opérerait », estime H Zoughebi. « Et c’est une rupture d’égalité entre les jeunes qui se ferait aux dépens des plus faibles » Pour les acteurs de l’Ecole, la proposition Sarkozy est au mieux inutile au pire quasi criminelle. S’il est certain qu’elle trouvera très peu d’écho chez les acteurs de l’école, pourquoi la porter devant les caméras de télévision ? Pour les syndicats d’enseignants, le motif principal de N Sarkozy semble être de récupérer encore des postes. « C’est une mesure orchestrée par la RGPP pour tuer l’enseignement professionnel et récupérer des postes », nous a dit C Lage. Peut-être sous-estiment-ils la dimension idéologique de cette proposition. Passer l’enseignement professionnel aux entreprises, c’est ce que réclament certains cercles patronaux proches des Chambres de commerce. Pour eux, il s’agit d’en finir avec l’enseignement public. Le moment pourrait être venu en 2012.

François Jarraud

Sarkozy : Menace sur l’enseignement professionnel

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