Print Friendly, PDF & Email

Par François Jarraud

Le livre de Sylvain Grandserre et Emmanuelle Daviet interroge 14 candidats à l’élection présidentielle sur leur projet pour l’Ecole. Il éclaire d’une façon tout à fait unique les visions que les politiques ont de l’Ecole. En ce sens c’est une source d’information unique pour les électeurs qui se soucient des questions éducatives.

A 60 jours des présidentielles, voilà un livre qui donne l’Ecole pour sujet à 14 candidats à l’élection présidentielle. Qui veut remplacer le Ministère de l’éducation nationale par celui de l’Instruction publique ? Qui veut « en finir définitivement avec le pédagogisme » ? Qui veut « que l’on dise dans 5 ans que les inégalités scolaires ont reculé » ? Qui veut « mettre les enseignants au coeur de notre projet de société » ? Et quel candidat n’a rien dit ?

Sylvain Grandserre est un enseignant bien connu. Emmanuelle Daviet est journaliste, elle travaille à France Inter. Nos deux auteurs interrogent les politiques. Ils leur posent dix questions sur « leur mesure phare », les priorités, les postes, leurs attentes envers les enseignants, la réforme du métier ou encore celle des rythmes scolaires. Ainsi se dévoilent de curieux rapprochements, des remarques inattendues, des connaissances complémentaires. Par exemple qui aurait prévu que le candidat qui parle le plus de la classe, c’est Frédéric Nihous ? Le candidat de « Chasse, pêche, nature et tradition » est aussi un fin connaisseur des petites écoles rurales. D’une autre façon on comprend mieux le programme éducatif d’Eva Joly quand elle évoque son enfance dans un système éducatif « protecteur » où elle était évaluée « non par rapport aux autres mais par rapport à mes propres progrès ».

Mais les deux auteurs ne se sont pas contentés de recueillir les réponses des politiques, celles également des syndicats. Ils ont élaboré leur propre programme. Dégagés de toute obligation politique ou budgétaire, ils fabriquent leur programme pour les élèves, les parents, les enseignants et les institutions politiques. Ils le font en parlant de leur expérience de l’Ecole.

Si l’éducation est au coeur de la campagne des présidentielles, alors ce livre s’impose à tous les électeurs pour décrypter les programmes et comprendre les choix effectués. Pour les acteurs de l’Ecole, directement concernés, ils trouveront dans ce livre non seulement les choix des 14 candidats mais aussi et en détail ceux des deux finalistes…

Emmanuelle Daviet et Sylvain Grandserre, Qui va sauver l’école ? 10 questions pour 14 candidats, ESF éditeur, Paris 2012. 9,9 €.

Commandez l’ouvrage avec une réduction de 5% et les frais de port offerts (promotion spéciale Café pédagogique) :
http://www.esf-editeur.fr/detail/739/qui-va-[…]
– Code promo spécial : ECOLE12

S Grandserre :  » Ce n’est pas une réformette qu’il nous faut mais une autre vision de l’école »

Sylvain Grandserre fait un bilan caustique de ces entretiens avec les candidats. Les politiques connaissent-ils bien l’école ?

L’ouvrage commence par vos propositions à vous, les auteurs, pour l’école. Pourquoi prendre position dans cette élection ?

Parce qu’il y a peu de chances qu’elles émanent du corps politique tout simplement. Soit par obsession budgétaire, soit par obsession idéologique ou par méconnaissance de ce qu’on peut faire en éducation. Il y a une carence en ce domaine chez les politiques. Mais aussi pour jouer le rôle du poil à gratter. Nous n’avons pas la contrainte de séduire et donc on est allé vers ce qui nous semble les meilleures solutions.

Parmi elles certaines semblent difficiles : regrouper les disciplines au collège, avoir des locaux accueillants… C’est pas facile.

Aujourd’hui tout semble bouché, on est dans le constat et le statu quo que je vis aussi de l’intérieur comme enseignant. Or ce n’est pas une réformette qu’il nous faut mais une autre vision de l’école. Une autre façon de lui restituer une place prioritaire. L’avenir de l’école ne repose pas que sur les politiques ou les parents. La solution passera par le consensus sur les solutions.

On voit d’énormes différences entre les candidats. Certains vous ont-il surpris ? Avez-vous fait des découvertes ?

Il y a des archétypes. Les candidats s’adressent d’abord à leur camp. Donc à gauche la question des moyens, à droite celle de l’autonomie, de la loi du marché dominent. Mais j’ai l’impression qu’on a évolué à gauche : à Orléans, Hollande a expliqué qu’il fallait faire évoluer l’école et qu’il fallait la changer avec ceux qui la font. Il y a des choses à aller chercher chez chacun. Aucune des réponses ne m’a paru inintéressante. Certaines pourront paraitre caricaturales. On retrouve l’obsession sécuritaire de Marine Le Pen, l’obsession des moyens de l’extrême-gauche. Parfois des choses audacieuses comme ce que dit Eva Joly. Des surprises comme les propos de Nihous sur l’école rurale.

On a l’impression que tous ces politiques ont une nostalgie de l’école. C’est un regard sur leur enfance ou quelque chose d’un peu attardé. Comment voyez-vous cela ?

C’est sûr, il y a plus de regards dans le rétro dans les solutions proposées qu’autre chose. Beaucoup de candidats se réfèrent à un âge d’or. Mélenchon par exemple ne brille pas par le modernisme par exemple. Les politiques sont aussi souvent éloignés des écoles par leur métier, par leur âge et celui de leurs enfants. Ils ont des difficultés à imaginer des solutions à l’intérieur des murs de la classe. La pédagogie, le patrimoine pédagogique sont mal connus. Ils sous-estiment le potentiel des élèves. Le corps politique est encore dans l’idée du professeur qui professe et des élèves qui croisent les bras et écoutent.

Peut-on regrouper les candidats en familles qui s’affrontent ?

Il y a des surprises. On s’attendait à un clivage droite – gauche. Or sur les langues vivantes en maternelle Le Pen et Chevènement sont contre. Sur le redoublement, Hollande est contre et Le page ou Maurin aussi, Mélenchon et Sarkozy sont pour. Le clivage droite – gauche ne fonctionne pas non plus sur les notes à l’école. La seule question clivante, c’est l’orientation professionnelle précoce : la droite est pour, la gauche est contre. C’est révélateur. La gauche reste sur un postulat d’éducabilité. De l’autre côté la droite est enfermée dans le tri et la sélection, et l’entreprise comme substitut de l’école. Comment vont faire les professeurs contre le collège unique qui votent à gauche ?

Pourquoi n’y a-t-il pas plus de consensus sur l’école en France ?

On est toujours tiraillé entre la tentation du retour en arrière et la réalité quotidienne d’un système qui fait le tri. On se singularise par l’écart entre les pratiques de l’école et les discours portés sur l’école. On n’arrête pas de dire que l’école est allée trop loin dans le modernisme alors que les observateurs trouvent l’école inerte et conservatrice. Du coup on a du mal à se mettre d’accord même sur l’état de l’école. C’est cela notre singularité.

C’est un obstacle pour construire l’école ?

Oui. Les évolutions qui ont eu lieu en Allemagne ou en Pologne se sont faites car il y a eu des accords. En France par exemple on n’est pas d’accord sur la scolarisation à deux ans, ou sur le taux d’illettrés ou sur l’apprentissage des langues en maternelle ou sur les effectifs. Tout fait débat. Peut-être est-on trop pollué par les questions politiques.

L’école est-elle réformable ?

On est obligé de faire le nécessaire pour que ca se fasse. Mais a-t-on les troupes pour mener cette bataille ? Or on a des enseignants qui vont mal, des enfants stressés, des politiques qui brutalisent au lieu de convaincre, des acteurs locaux qui ne savent pas où va l’école. Il faut un consensus. Mais ça demande des renoncements. Il faut que tout le monde travaille sur soi.

Vous posez une question difficile aux candidats : « L’école peut-elle réduire les inégalités sociales ». Quelle est votre réponse là dessus ?

On a eu deux types de réponse. Deux candidats, Mélanchon et Poutou, disent que le rôle de l’école ce n’est pas cela. Personnellement j’ai 20 ans d’enseignement. Je crois qu’il y a des façons de mobiliser les élèves de milieu populaire, de les prendre en compte, de faire le lien avec les exigences scolaires. Mais l’école ne peut pas non plus tout faire. A ce sujet, le discours sur le mérite est insupportable. Il suffit de mettre les pieds dans une classe pour voir ses limites pour les deux millions d’enfants qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Il faut à la fois de la compréhension et des exigences. J’espère que les politiques seront capables de tenir sur les deux terrains.

Propos recueillis par F Jarraud

Sur le site du Café