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Par François Jarraud

« L’Ecole appartient d’abord à toutes les familles de France ». Dans son discours sur l’éducation à Montpellier le 28 février, Nicolas Sarkozy a d’emblée opposé enseignants et familles. Un discours très politique où l’on remarquera un grand absent et finalement cinq propositions.

Tout au long de son discours, Nicolas Sarkozy a multiplié les attaques politiques contre son principal adversaire, contre les syndicats, dénonçant à plusieurs reprises le corporatisme. Il a mis en avant les valeurs « républicaines », leur donnant des définitions très personnelles (« l’école de la République c’est l’école de l’autorité » par exemple). Il a dénoncé « l’erreur du pédagogisme » et décrit une école qui a sombré dans la facilité. « On a eu tort d’abaisser l’autorité du professeur, de faire croire à l’enfant qu’il était l’égal du professeur » a-t-il affirmé. Il a jugé qu’Internet aggrave cette crise de l’autorité et n’a émis que des jugements négatifs à son endroit.

« Pendant les 5 années qui viennent c’est à l’école que je veux donner la priorité » a-t-il promis. Il la définit avec 4 objectifs. Le premier concerne l’augmentation du temps de travail des enseignants. « Nos enseignants sont mal payés parce qu’ils sont trop nombreux » a-t-il déclaré. Il propose aux enseignants volontaires de travailler 26 heures de cours (au lieu de 18) pour une augmentation de 25%. Le candidat UMP souhaite également augmenter l’autonomie des établissements scolaires en leur donnant la possibilité de recruter directement les enseignants et en variant les rémunérations. N Sarkozy s’est fait aussi l’apôtre de la sélection précoce. Jugeant que le collège unique a échoué, il souhaite des classes de niveau et une sélection à la fin de la 5ème, « le socle étant acquis » à ce moment là… Enfin il veut également s’attaquer au bac pour en relever le niveau.

Les impasses. Au bout d’une heure de discours, le président de la République avait fait l’impasse sur des points importants. La question des rythmes scolaires n’a pas été évoquée dans son discours. Plus surprenant encore, à aucun moment l’enseignement primaire n’est apparu dans le discours alors même qu’il se propose de lutter contre l’échec scolaire.

Le bilan. N Sarkozy a consacré la moitié du discours a dresser un bilan positif de son action ce qui l’a amené à des contradictions. Il a dressé un tableau très sombre de l’Ecole tout en affirmant que les évaluations nationales montraient des progrès et en vantant le soutien scolaire mis en place. Ces incohérences et ces insuffisances seront-elles détectées par les électeurs ? Il semble que N Sarkozy ait fait le deuil de l’électorat enseignant, qu’un récent sondage du Monde donnait comme très hostile à ses idées et utilise le vieil argument « enseignant fainéant ». Peut-on gagner une élection en mettant le débat à ce niveau ?

Les réactions au discours de Montpellier

Surprenant pour les uns, agressif pour les autres, le discours de Nicolas Sarkozy sur l’éducation froisse les acteurs de l’Ecole. A commencer par les parents.

« Sarkozy n’écoute pas les parents », a déclaré au Café Jean-Jacques Hazan, président de la Fcpe, première association de parents d’élèves. « Les familles ne sont pas demandeuses de davantage de compétition, de notes, de pression sur les enfants, comme N Sarkozy le souhaite. Elles voient bien ce que ça donne comme résultats ». Pour lui, les propositions du candidat d el’UMP « nous ramènent 30 ans en arrière ».

« Le bilan de N Sarkozy en matière scolaire est désastreux », nous a confié Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt. « En particulier au primaire avec la semaine de 4 jours, des programmes rétrogrades, un discours dévalorisant les enseignants. Or il n’y a aucune analyse de cet échec ». T Cadart dénonce « l’agressivité frappante » du discours du président, « la vision pas cohérente » de quelqu’un qui parle d’accompagner les élèves mais aussi de sélection. Il juge le discours « dangereux ». « On est dans l’idée que les enseignants ne travaillent pas et qu’il va falloir les mettre au travail. Est-ce ainsi qu’on transforme quelque chose d’aussi complexe que l’éducation nationale ? N Sarkozy est dans une logique de fuite en avant devant les résultats qui se dégradent ».

« Il refait le coup de 2007 sur la reconnaissance du métier. Mais les enseignants savent à quoi s’en tenir : 5 ans plus tard les 3 quarts n’ont aucune revalorisation », nous a expliqué Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp. Mais ce qui le frappe en premier c’est l’impasse sur le primaire. « L’école primaire, qui est considérée comme une priorité dans plusieurs projets, a été totalement oubliée par N Sarkozy. Veut-il faire oublier unbilan désastreux ? ». « J’ai le sentiment qu’il tente de jouer les familles contre les professeurs », ajoute-il. « Or depuis plusieurs semaines les familles sont aux cotés des enseignants pour défendre les postes » remarque-t-il. « N Sarkozy mélange valeurs républicaines et libérales en parlant d’autonomie des établissements, d’émulation par la compétition, de l’entre soi avec l’orientation précoce ».

« Je suis désagréablement surpris », nous confie Vincent Peillon, chargé de l’éducation auprès de F Hollande. « C’est un discours désolant et très agressif. N Sarkozy parle des internats d’excellence (0,02% des élèves), des ERS (100 élèves !) mais il ne dit rien sur les lycées professionnels, rien sur la maternelle, rien sur l’élémentaire, là où tout se joue, rien sur la formation des enseignants. Quelle méconnaissance profonde des priorités du système ! ». A propos des enseignants, il regrette « une stigmatisation des professeurs » et l’incohérence entre « augmenter les adultes dans les établissements avec les 26 heures de cours et supprimer 80 000 emplois ». « Alors qu’il faudrait regrouper toute la société autour de l’Ecole, il joue les familles contre les enseignants », relève encore V Peillon. N Sarkozy n’a-t-il pas raison de vouloirs faire évoluer le statut des enseignants ? « Il faut réfléchir au métier d’enseignant », nous a répondu V Peillon. « Mais si la conséquence c’est une attaque directe sur le statut c’est bloquer toute évolution ».

Pour François Cocq, responsable des questions d’éducation au Front de Gauche , interrogé par le Café, le discours de N. Sarkozy exprime clairement le choix de l’individualisme contre la responsabilité collectivement assumée de la réussite de tous les élèves. Élèves et familles devraient être seuls responsables des parcours individualisés, au mépris des principes d’égalité et de solidarité « pourtant toujours inscrits aux frontispices des écoles publiques ! » s’insurge F. Cocq. Cette école de la République qui ne doit pas être égalitariste mais fondée sur la promotion de l’excellence, d’après le candidat Sarkozy, marque « une rupture profonde avec les marqueurs républicains auxquels nous croyons au Front de Gauche, et qui sont ceux de notre programme ». « Visiblement », ajoute F Cocq, « Nicolas Sarkozy ne connait pas les chiffres et ne connait pas ses dossiers. Il affirme que « si le problème était le nombre d’enseignants, nous devrions avoir la meilleure école du monde », alors qu’une note récente du Centre d’analyse stratégique, rattaché à Matignon, fait état du faible nombre de professeurs par élèves en France, qui la classe dernière de l’OCDE. Il est surréaliste d’entendre justifier ainsi la saignée qu’il a exercé et qu’il compte poursuivre. Dire ainsi que les « enseignants sont mal payés parce qu’ils sont trop nombreux », c’est ériger en vérité absolue ce qui n’est qu’un dogme – le sien. Nous proposons au contraire de restaurer tous les postes supprimés depuis 2007. »

Editorial : Cohérences

Par Marcel Brun

Pour acquérir la culture et le savoir de l’Ecole, il faut des efforts, du temps, de la volonté. Les élèves ont besoin qu’on les aide à apprendre, surtout ceux qui ne trouvent pas à la maison les appuis nécessaires pour y contribuer. L’Ecole a besoin de calme, de temps, de confiance. Il ne peut y avoir de projet éducatif républicain que s’il est à la fois porté par la Nation, les parents, les enseignants. Et le système éducatif actuel ne réussit pas à réduire les inégalités.

Qui peut franchement nier que chacun de ces constats soient pertinents ? Fort de ce constat, en 2007, l’équipe de Nicolas Sarkozy avait réinvesti le terrain de l’Education avec quelques idées simples : fondamentaux, mérite, revalorisation morale et financière des enseignants. Bref, retour à l’ordre contre la chienlit post-soixante-huitarde.

Si le discours a pu en faire frissonner quelques uns à l’époque, le bilan des cinq dernières années ne résiste pas à l’examen des chiffres : le « diviser par trois l’échec scolaire » est parti aux oubliettes de l’histoire, et les clignotants rouges s’amoncèlent. Il n’y a aucune raison de s’en réjouir, d’ailleurs : les inégalités ont progressé aussi vite que les réductions de postes ou la suppression de la carte scolaire.

Mais le candidat Sarkozy rejoue la même chanson, habillant l’histoire de quelques nouveaux oripeaux sur le travail des enseignants, cherchant le secours du bon peuple abusé par les syndicats et les idéologues, organisant les parcours séparés au collège quand tout le monde sait que la sélection précoce est préjudiciable aux plus fragiles, pratiquant une fuite en avant idéologique inquiétante.

Parce qu’il ne dit rien de crédible sur les racines des difficultés inhérentes aux apprentissages, et les moyens d’y faire face dès le primaire, il choisit de continuer à faire de l’Ecole un terrain du clivage idéologique, de nourrir les peurs et les idées fausses, sans doute dans l’espoir d’y aspirer les inquiétudes. Il semble que cette fois, le tour de passe-passe s’annonce compliqué.
Marcel Brun

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