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Adoptée le 19 juillet par l’Assemblée nationale, la suppression de l’exonération de cotisation sociale et de la défiscalisation des heures supplémentaires est la principale mesure de la loi de finances rectificatives. Le gouvernement en attend un milliard de revenus supplémentaires pour 2012 et trois milliards en 2013. Problème : la mesure impacte fortement les enseignants. 232 000 professeurs du secondaire en bénéficiaient. L’éducation, “priorité numéro 1” du gouvernement, trouve là une première limite.

Où trouver 7 milliards ?

C’est la question posée par Bercy, soucieux de ne pas faire passer au déficit budgétaire le seuil des 4,5 % du revenu national. Une croissance plus faible que prévu, quelques “dissimulations” selon la majorité, l’annulation aussi de la “TVA sociale” imaginée par N. Sarkozy imposent au nouveau gouvernement de trouver 7 milliards pour rééquilibrer le budget. C’est le but de la loi de finances rectificative, adoptée par l’Assemblée en première lecture le 19 juillet. Pour cela le gouvernement a fait passer une vague de mesures qui génèrent des recettes. Pour 2012 il demande une contribution exceptionnelle sur la fortune aux assujettis à l’ISF (2 milliards). Pour 2013 il abaisse le seuil d’abattement sur les successions, augmente la taxe versée par les entreprises sur l’épargne salariale et prévoit un durcissement du contrôle fiscal sur les entreprises. Il ne financera plus les frais de scolarité des enfants français dans les établissements à l’étranger. En même temps il abroge l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires pour les particuliers et les entreprises et supprime aussi la défiscalisation de ces heures, des dispositions prises par la loi TEPA de 2007. Cette mesure devrait peser sur les ménages à hauteur de 1 milliard en 2012 et sur les ménages pour 2 milliards et les entreprises pour 1 milliard en 2013.

400 euros en moins pour un enseignant du secondaire sur deux

Les heures supplémentaires annuelles continuent à exister. Mais des cotisations sociales seront prélevées sur elles et elles devront être déclarées. Elles seront donc moins intéressantes. Si elles sont pratiquement inexistantes à l’école, plus de 511 000 heures (HSA) ont été effectuées en 2010-2011 dans le secondaire par plus de 232 000 enseignants soit 56% des professeurs du secondaire. Si en moyenne chacun a effectué 2,1 h par semaine, en réalité la répartition était inégalitaire. En 2008 les agrégés effectuaient deux fois plus d’heures supplémentaires que les certifiés. Les professeurs de CPGE en effectuaient deux fois plus que l’agrégé moyen. Comme l’heure HSA est rémunérée différemment selon le corps (environ 1100 euros annuels pour le certifié et 1500 pour l’agrégé), la suppression des exonérations va toucher fortement les enseignants de CPGE, sensiblement les agrégés et moins les certifiés. Pour un certifié effectuant 2 heures supplémentaires (HSA) par an la suppression de la défiscalisation et de l’exonération représente quand même une perte de rémunération de 326 euros par an (rapport sénatorial Cartron, Férat, Gonthier Maurin de 2012). A cela s’ajoutent les HSE , elles aussi concernées par les exonérations, soit près de 63 millions d’heures. Pour un certifié moyen, la suppression du dispositif représente une perte de 69 euros pour les seules HSE. Au total on s’approche des 400 euros perdus.

Une mesure bien accueillie

Devant l’Assemblée, durant 3 jours, l’opposition s’est présentée comme la protectrice des enseignants. Ainsi, l’ancien ministre Xavier Bertrand a dénoncé une mesure qui vise les classes moyennes. “Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de redressement dans la justice. Comment peut-il y avoir redressement du pays lorsque l’on met à mal la compétitivité des entreprises et que l’on s’en prend au pouvoir d’achat des classes moyennes ? Vous avez dit ici même que les classes moyennes seraient épargnées. Comment avez-vous pu dire cela alors que vous vous en prenez au pouvoir d’achat des ouvriers, des employés et des enseignants qui font des heures supplémentaires et prennent vos mesures de plein fouet ?” Pour la majorité, Christian Eckert, rapporteur général, a estimé que “ce qui compte c’est que, depuis l’adoption de la loi TEPA, cinq milliards d’argent public étaient mobilisés en faveur des heures supplémentaires. Or, à l’heure où les plans sociaux s’accumulent et alors que la situation de l’emploi est désastreuse, l’argent public a vocation à servir à autre chose qu’à encourager ceux qui travaillent à travailler plus tandis qu’on laisserait sur le côté ceux qui n’ont pas d’emploi… Les grands groupes ne pourront plus, comme l’a fait Arcelor-Mittal, financer aux frais de l’État du chômage partiel à Florange, et dans le même temps bénéficier de la défiscalisation et de l’exonération de charges sociales des heures supplémentaires à Dunkerque et à Fos-sur-Mer. Ceci est terminé !”

Présentée ainsi, l’abrogation des exonérations rejoint une vision très partagée à gauche du partage du travail. Les syndicats d’enseignants s’étaient mobilisés depuis 2007 contre la montée des heures supplémentaires alors que les suppressions de postes allaient bon train. Il est vrai que le coût des heures supplémentaires dans l’enseignement (1,3 milliard) représente l’équivalent du coût du remplacement des enseignants dans le second degré, d’après le rapport sur la loi de finances 2012 des sénatrices Cartron, Férat et Gonthier-Maurin. Le seul coût des exonérations sur ces heures coûtait à l’Etat 319 millions. Par comparaison, celui des emplois vie scolaire ne représente que 130 millions. C’est ce qui faisait dire aux sénatrices que le dispositif était “un artifice de gestion plutôt couteux et déconnecté de l’objectif pédagogique primordial d’amélioration des résultats des élèves” et qu’il symbolisait “un budget qui privilégie l’optimisation de la gestion et confond la performance financière avec la performance éducative”. Le Snes, l’Unsa, le Sgen ont dénoncé le recours aux heures supplémentaires. Ils ne vont pas s’opposer à un retour au régime de rémunération antérieur à Sarkozy qui les rend moins attractives.

La revalorisation n’est plus à l’ordre du jour ?

Priorité du gouvernement, on pouvait croire l’Education nationale à l’abri de la pression de Bercy. Le choix de cette mesure qui, dans la fonction publique, touche principalement les enseignants, peut donner à penser que si l’éducation est une priorité ce n’est pas forcément le cas des enseignants. Le gouvernement a débloqué des moyens pour créer des postes supplémentaires à cette rentrée et il en a promis 60 000 sur le quinquennat. Cet effort en faveur de l’éducation aura du mal à se concrétiser compte tenu des difficultés de recrutement. On sait que la faible niveau des salaires dans l’enseignement, leur blocage depuis plusieurs années expliquent en partie ces difficultés. La nouvelle amputation qui vient d’être décidée par Bercy ne va pas favoriser les projets du ministère de la rue de Grenelle.

François Jarraud

Loi de finances rectificative

Rapport sénatorial