Par François Jarraud
Mon dernier entretien avec Luc Chatel a commencĂ© avec les Roms. De nouveau cette question se pose Ă cette rentrĂ©e. Allez-vous faire respecter l’obligation de scolaritĂ© pour les enfants Roms ?
La scolaritĂ© est une obligation et un droit, pour tous les enfants, sans exception. L’Education nationale doit tout faire pour accueillir et intĂ©grer ces enfants, une circulaire paraĂ®tra d’ailleurs prochainement pour le rappeler. Mais vous le savez, ce sont des questions complexes : l’itinĂ©rance, la langue, la prĂ©caritĂ© posent de multiples difficultĂ©s qui ne peuvent ĂŞtre rĂ©solues sans un dialogue renforcĂ© avec les familles.
La rentrĂ©e est difficile pour les enseignants avec les suppressions de postes, l’impact de la dĂ©fiscalisation qui touche de nombreux enseignants du secondaire. Quelles perspectives de carrière pouvez-vous prĂ©senter aujourd’hui aux enseignants ?
Vous n’êtes pas sans savoir que le gouvernement prĂ©cĂ©dent avait supprimĂ© 14 000 postes pour cette rentrĂ©e. Nous en avons recrĂ©Ă© 1000 mais nous subissons Ă©videmment les rĂ©percussions de cette saignĂ©e. L’ensemble des mesures d’urgence prises, les premières rĂ©formes, l’annonce des suivantes, crĂ©ent cependant un climat positif autour de l’Ă©cole et entraĂ®nent une vraie mobilisation des personnels.
Les professeurs savent que la prioritĂ© accordĂ©e par le PrĂ©sident de la RĂ©publique Ă l’école s’est traduite par une mobilisation de moyens très importante – aucun autre ministère n’a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un tel effort. Ils savent aussi que la situation Ă©conomique est particulièrement difficile et qu’il faut faire des choix : nous avons donnĂ© la prioritĂ© Ă la scolarisation des plus jeunes, Ă la formation des professeurs, et Ă l’embauche de nouveaux professeurs – notamment pour pouvoir assurer les remplacements.
En rĂ©alitĂ©, je trouve les professeurs très soucieux de leurs responsabilitĂ©s sociales et civiques. La dĂ©fiscalisation des heures supplĂ©mentaires Ă©tait une mesure anti-emploi qui favorisait peu d’enseignants et ils l’ont très bien compris. Nous savons tous qu’ils sont insuffisamment payĂ©s, et que nous devrons amĂ©liorer les choses quand la situation le permettra. Mais les enseignants sont conscients que, dans les circonstances actuelles, la prioritĂ© ne peut ĂŞtre celle lĂ .
Je suis d’ailleurs frappĂ© de voir que, malgrĂ© les grandes difficultĂ©s que traverse l’école, on observe sur le terrain beaucoup d’Ă©volutions, d’expĂ©rimentations, de bonne volontĂ©. Dans tous les Ă©tablissements que j’ai visitĂ©s rĂ©cemment, j’ai vu des choses formidables. A Bondy, dans un quartier difficile, les enfants sont accueillis l’étĂ©, dans le cadre de l’école ouverte, pour mieux assurer la transition entre l’école Ă©lĂ©mentaire et le collège. Les enseignants reçoivent les enfants, ont des contacts avec les familles et utilisent des pratiques pĂ©dagogiques innovantes : par exemple, faire une enquĂŞte policière aux Ă©lèves pour leur faire dĂ©couvrir les sciences. Dans un collège de Trappes, oĂą j’Ă©tais avec le PrĂ©sident de la RĂ©publique, nous avons vu travailler ensemble professeurs du secondaire et professeurs des Ă©coles. Les professeurs des Ă©coles vont dans le collège et les professeurs du collège vont dans les Ă©coles. Ils construisent des projets communs. Nous devons apprendre Ă transmettre cette Ă©nergie du bas vers le haut dans le système Ă©ducatif.
La refondation vise Ă changer les pratiques en classe. Cela passe par un grand effort de formation des enseignants. Qu’avez vous prĂ©vu pour accompagner cette montĂ©e en puissance de la formation continue ?
La formation continue est essentielle dans la carrière d’un enseignant, pour se tenir Ă jour de la recherche comme pour enrichir ses pratiques pĂ©dagogiques. Elle a pourtant Ă©tĂ© maltraitĂ©e ces dernières annĂ©es. J’ai demandĂ© un rapport Ă l’Inspection gĂ©nĂ©rale sur le sujet. Mais il faut savoir que la refondation de la formation professionnelle des personnels est très consommatrice de postes. Or nous devons– et les 60 000 postes attribuĂ©s, en plus du renouvellement de tous les fonctionnaires, y pourvoiront – assurer l’accueil des enfants de moins de 3 ans, mettre en Ĺ“uvre le « plus de maĂ®tres que de classes » au primaire, cibler certains territoires en difficultĂ© et renforcer le personnel d’encadrement. Nous devons surtout – c’est une prioritĂ© absolue – reconstruire une formation initiale digne de ce nom.
Je souhaite que l’on fasse appel, dans cette formation, aux universitaires mais aussi aux praticiens. Nous allons discuter des maquettes des Ă©coles supĂ©rieures du professorat et de l’éducation et du vivier des enseignants de ces Ă©coles. Je crois beaucoup Ă l’entrĂ©e progressive dans le mĂ©tier et Ă l’alternance, car les professeurs expĂ©rimentĂ©s eux-mĂŞmes sont indispensables Ă la formation de leurs jeunes collègues.
La refondation montre un grand enchevĂŞtrement des compĂ©tences entre Etat et collectivitĂ©s locales. Va-t-on vers un nouveau partage dans l’Acte III de la dĂ©centralisation ?
Les collectivitĂ©s locales sont très impliquĂ©es – plus que ne le savent gĂ©nĂ©ralement les Français – dans l’éducation et c’est une excellente chose. Pour l’orientation, la carte des formations, les rythmes – mais aussi des sujets comme la maintenance informatique – l’Education nationale doit travailler en Ă©troite collaboration avec elles, c’est essentiel. Nous le faisons dans le cadre de la concertation et bien au-delĂ . Bien sĂ»r, l’Acte III et la loi de programmation permettront de clarifier un certain nombre de choses et d’avancer.
Les objectifs de la refondation sont-ils suffisamment médiatisés ? Les enseignants sont-ils suffisamment informés de ses objectifs ?
L’objectif de la refondation c’est de changer l’Ecole pour permettre la rĂ©ussite de tous les Ă©lèves. C’est un objectif très clair. Cela suppose de trancher de grandes questions courageusement et de traiter des problèmes que l’on a mis sous le tapis pendant trop longtemps, comme le temps scolaire, la formation des enseignants, la prioritĂ© au primaire, l’élaboration des programmes. Il faut reconstruire cette maison sur des fondements solides si l’on veut que tous les Ă©lèves rĂ©ussissent, repenser ce qu’est la rĂ©ussite elle-mĂŞme, revisiter le rapport des enseignants avec les Ă©lèves, le groupe classe, renouveler les pĂ©dagogies…
Notre ambition, ce n’est Ă©videmment pas d’augmenter les moyens pour les moyens mais de changer l’Ecole profondĂ©ment, et je crois que les Français, et parmi eux les enseignants, l’ont bien compris.
Savary parlait de 80% d’une gĂ©nĂ©ration au bac. Cela implique-t-il d’Ă©lever la scolaritĂ© obligatoire jusqu’Ă 18 ans ? D’assurer 100% d’une gĂ©nĂ©ration au niveau bac ?
L’allongement de la scolaritĂ© obligatoire, c’est une belle perspective. Mais rien ne sert de se fixer des objectifs, mĂŞme s’ils sont louables, si l’on sait qu’on ne les atteindra pas. Aujourd’hui, l’enjeu, c’est de rĂ©duire drastiquement le nombre de sorties sans qualification et de garantir qu’aucun jeune ne reste sans solution. Commençons par le commencement : rĂ©glons la question des Ă©lèves qui, dès le CP, sont en difficultĂ© puis en exclusion. Luttons contre le dĂ©crochage et refusons les orientations prĂ©coces vers l’emploi permis par la loi Cherpion. Au final on sera jugĂ© que sur ce qu’on aura rĂ©ussi Ă faire.
La question des rythmes scolaires semble une des plus difficiles. Allez vous aboutir ?
C’est un sujet que les ministres prĂ©cĂ©dents n’ont pas pu faire aboutir alors mĂŞme qu’il est essentiel. J’ai confiance : nous le ferons avancer. Je veux que nous repensions l’annĂ©e, la semaine, la journĂ©e. Il faut qu’il y ait de vraies Ă©volutions, et pas seulement des petits amĂ©nagements Ă la marge, si l’on veut rendre service aux Ă©lèves. Mon rĂ´le c’est donc de pousser et qu’on aille le plus loin possible. Il faut lutter contre un certain cynisme, qui voudrait que rien ne change jamais car tout est compliquĂ©, et toujours garder en tĂŞte l’intĂ©rĂŞt des Ă©lèves et de la France. Le temps de la concertation se terminera dĂ©but octobre. Puis viendra le temps de la dĂ©cision politique, celui de l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral et des engagements envers les Français.
Vous prévoyez une refonte des programmes du primaire ?
Je prĂ©vois, pour commencer, de revoir la manière dont sont Ă©laborĂ©s les programmes. Il y avait, auparavant, un Conseil national des programmes. Aujourd’hui on ne sait plus qui fait quoi. Nous devons sortir de l’arbitraire et du fait du prince, mettre en place une procĂ©dure transparente qui associe l’ensemble des acteurs et notamment les enseignants. Nous le ferons, par la loi, car la reprĂ©sentation nationale doit dĂ©libĂ©rer pour dĂ©terminer quelle est la bonne instance pour cela. C’est cette instance transparente et lĂ©gitime qui fera ce travail sur le contenu des programmes – notamment ceux du primaire, puisque c’est notre prioritĂ©.
Le livret personnel de compétences est très critiqué. Allez-vous prendre une initiative ?
Oui. Le livret actuel est d’une complexité absurde. Je ne veux pas abandonner le principe du socle, d’un ensemble de connaissances et de compétences qui doivent être maîtrisées par tous à la fin du collège. Mais nous devons le transformer et transformer son évaluation – la concertation se penche sur ce sujet. A titre transitoire, j’ai demandé pour cette année que l’on prépare un livret de connaissances et de compétences largement simplifié, qui ne soit pas un casse-tête stérile pour les professeurs.
Sur le numĂ©rique, il y a beaucoup Ă faire. Comment assurer la maintenance, la formation, faire entrer la culture numĂ©rique dans l’Ă©cole ?
Le numĂ©rique est l’une des plus grandes ambitions de la Refondation : L’Ecole doit ĂŞtre le fer de lance d’une reconquĂŞte rĂ©publicaine de l’espace virtuel. La RĂ©publique doit ĂŞtre celle du XXIe siècle. Nous ne partons pas de rien, car beaucoup d’enseignants, d’écoles, d’établissements sont très investis dans le dĂ©veloppement de la e-Ă©ducation et les usages pĂ©dagogiques du numĂ©rique. J’ai notamment pu le constater lorsque nous avons visitĂ© ensemble, François Jarraud, le Forum des enseignants innovants que vous organisez et dont je garde un excellent souvenir. Partout oĂą la greffe prend, c’est un formidable instrument de rĂ©ussite Ă©ducative, de reconnaissance de la diversitĂ© des excellences, de l’accroissement des savoirs. Pour l’encourager, le dĂ©velopper, il nous faudra crĂ©er une filière de production pĂ©dagogique structurĂ©e, crĂ©er un grand opĂ©rateur, nĂ©gocier pour obtenir – au mettre titre qu’il y a une exception culturelle – une exception Ă©ducative. Le patrimoine des musĂ©es nationaux, par exemple, doit pouvoir arriver jusque dans les classes. Je souhaite Ă©galement la crĂ©ation d’un service public en ligne de soutien scolaire. Il faut aussi des moyens pour la maintenance, l’Ă©quipement, le haut dĂ©bit. Et nous allons remettre en place un Conseil de l’Innovation, Ă l’instar de celui qu’avait crĂ©Ă© Jack Lang et qui Ă©tait un très bon outil.
Ces dernières annĂ©es les acteurs de terrain ont Ă©tĂ© peu soutenus. On leur a plutĂ´t imposĂ© des solutions toutes faites… La culture du ministère ce n’est pas l’horizontalitĂ©. Est-elle compatible avec le système ?
Ce ministère doit entrer fortement dans ce siècle. Et l’école du XXIe, c’est une école plus transversale, une école de pairs qui permet aux enseignants d’innover, de partager, d’apprendre les uns des autres, d’occuper, dans leur carrière, des fonctions différentes.
Je souhaite donc soutenir les initiatives de terrain, aider les professeurs à mutualiser leurs pratiques, à bousculer les cloisons entre disciplines, entre corps, entre école et collège. Il faut leur donner les moyens, au-delà des injonctions, de travailler ensemble, de renforcer les liens entre eux, de donner une consistance aux équipes éducative. Tout cela est à construire mais si nous arrivons à avancer dans cette direction, nous aurons fait quelque chose de très utile au pays.
Comment se situe le discours sur la morale laĂŻque par rapport Ă ces innovations ? Qui va porter dans les Ă©tablissements cet enseignement ?
Attendons les conclusions de la mission que je suis en train de mettre en place ! Il y a – et Ă ce stade nous devons prendre le temps de la rĂ©flexion – plusieurs options. Cet enseignement pourra ĂŞtre confiĂ© Ă un enseignant en particulier ou Ă plusieurs. Ce qui est important c’est de rĂ©flĂ©chir Ă la continuitĂ© des apprentissages, au contenu, au type d’enseignement, aux pratiques pĂ©dagogiques et Ă l’évaluation que l’on souhaite mettre en place.
Il faut bien comprendre que la morale laĂŻque, cela n’a rien de vieillot. Il ne s’agit pas de rĂ©citer des prĂ©ceptes ou d’ânonner des maximes, mais d’enseigner la libertĂ©, de rĂ©flĂ©chir au sens de la vie. Chacun a le droit Ă sa culture, ses croyances. La morale laĂŻque ne doit blesser aucune conscience. Mais Ă l’Ă©cole on bâtit le commun, et c’est une faiblesse que d’avoir abandonnĂ© cette mission d’enseigner ces valeurs. Si l’Ă©cole a peur d’enseigner des valeurs Ă©mancipatrices, alors les marchands, les intĂ©gristes ont tout le terrain pour eux. Si l’Ă©cole ne se dĂ©fend plus, elle s’Ă©croule. Je demande aux enseignants de comprendre que c’est une grande fiertĂ© pour eux de porter ces valeurs. On ne va pas laisser la laĂŻcitĂ© Ă ceux qui professent la haine de l’autre.
Entretien : François Jarraud
Lien :
Vers un nouveau conseil de l’innovation
Sur le site du Café
|