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Café septembre

Refonder
l’enseignement de l’orthographe ? Chiche !


Plusieurs
enquêtes montrent que le nombre d’erreurs d’orthographe grammaticale a
augmenté en moins de vingt ans. Il est donc nécessaire de se poser des
questions. Si les missions de l’Ecole primaire se multiplient, si
nombre de nouveaux publics sont accueillis, il n’empêche que le volume
horaire du français est largement en recul, au moment même où les
exigences montent. « La masse critique est-elle suffisante pour le
déclenchement en chaine d’automatisme, comme le dirait un enseignant de
sciences ? » se demande Danièle Cogis.

Pour elle, les
réponses posées aujourd’hui par les circulaires parlent davantae de
« renforcement » que de « refondation ». On appelle à l’enseignement
explicite et progressif, mais en quoi cela permet-il aux enseignants de
savoir sur quoi ils doivent porter leur attention et leur enseignement,
si on leur demande de faire « davantage de ce qui ne fonctionne pas »…?

Au
contraire, pour l’universitaire, refonder l’enseignement de
l’orthographe, c’est sortir des idées reçues assénées sans preuve :
« c’est la faute à la méthode
globale », « l’apprentissage c’est simple :
le maître enseigne et l’élève sait », « le bon temps où tout le monde
savait son orthographe »
(alors même qu’on sait que jamais plus
de la
moitié d’une classe d’âge n’a été au certificat d’études…), « les
élèves sont nuls »

« La
première posture me parait de trouver les moyens de faire engager par
les élèves eux-mêmes les conditions de détecter leurs erreurs plutôt
que de corriger leurs fautes »
résume-t-elle : si on adopte en
orthographe les mêmes préconisations qu’en sciences, on comprend qu’il
s’agit davantage de développer les postures d’investigation, de
catégorisation, de réflexion, plutôt que d’espérer que des
apprentissages mécanistes soient efficaces. L’orthographe aide au
contraire à « détacher de soi » le langage de situation, d’action, en
matérialisant des relations qui donnent sens aux textes écrits.
« Contrairement aux idées reçues, ce
ne sont pas les élèves qui sont
défaillants, ce sont les apprentissages qui sont longs à mettre en
oeuvre ».
Il faut donc programmer les notions fondamentales au
bon moment
: il est totalement contreproductif d’imaginer que tous les élèves de
CE1 puissent maitriser les accords entre le sujet et le verbe…


Comprendre ce que les
élèves comprennent

Renvoyant
aux « erreurs naïves » dont parlait la conférence d’Emmanuel
Sander
,
Danièle Cogis présente une vidéo de classe qui permet de comprendre la
richesse des verbalisations que doivent faire des élèves confrontés à
des difficultés dans les accords de formes verbales. « Ce sont des
moments précieux pour permettre à l’enseignant de comprendre l’état de
développement des compétences des élèves en la matière »
. Un
élève qui
écrit « le chien aboies » peut très bien écrire un S parce que « le chien
aboie
plusieurs fois »… Cet élève sait des chose, mais il les mobilise hors
contexte : dans
« ces parent divorce », il pense que ce n’est pas au pluriel, parce qu’il
n’y a qu’un
divorce… « Le problème principal
des élèves, c’est qu’ils interviennent
sans syntaxe, sans système, en agissant au coup par coup, avec une
focalisation excessive sur le sens. Le B-A-BA du travail de
l’enseignant, c’est de commencer à travailler les grandes régularités,
avant de
s’attaquer aux exceptions. »

Que faire ? Comment enseigner pour
que les élèves apprennent ?

D’abord, propose-t-elle,
travailler l’orthographe comme un système, en s’appuyant sur les
conceptions des élèves, mais en intégrant fortement le travail de
l’orthographe en composition écrite plutôt qu’en restitution mécaniste,
c’est à dire « prendre les élèves
où ils en sont ». Sinon, on va progressivement amener l’élève à « ne plus
chercher à comprendre », ce qui peut être très fréquent au collège…

Elle explique dans le détail :
« Mesurons
que ce n’est pas la marque S qui pose problème, c’est de construire les
catégories linguistiques qui vont faire qu’on va accorder les arbres (facile à réussir), mais
aussi leurs
branches (plus difficile à
réussir). Dans le même genre, ils les défendent est compliqué à
construire, parce que le pronom fait attendre un nom (d’où l’erreur : ils les défendes)

Pour faire « aussi bien que les autres langues »
alors que notre orthographe est si difficile, il faut prendre des
mesures : comprendre que ce qu’on
connait n’est pas ce qu’on peut mettre
en oeuvre
, donner une position centrale à la réflexion
métalinguistique, résoudre des problèmes, répéter suffisamment les
tâches, en variant l’intensité. Il faut à la fois faire comprendre et faire faire. Avec le
VIP de Mireille Brigaudiot (valoriser, interpréter et poser un écart),
il est possible d’éclairer l’élève sur ce qu’il a compris et ce qu’il
lui reste à comprendre. Mais pour conceptualiser, catégoriser, toutes
les
situations ne sont pas équivalentes : « quand
un élève dit pluriel,
on peut penser qu’il pense la même chose que nous… Mais ne le croyons
pas, cherchons-en la preuve… »
demande-t-elle à son
auditoire…
« Cherchons un
modèle d’enseignement interactif progressif explicite »
,
comme le tente l’ouvrage co-écrit avec Catherine Brissaud, en partant
tantôt de l’observation de la langue, tantôt de l’observation de
leur propre graphie, pour « déclencher
des étincelles
 » par le débat de
preuves et la catégorisation explicite. « Entre la « phrase donnée » et la
« phrase dictée », on peut susciter des progrès réels. »


Une bataille à mener ?

Laisser
la place à l’initiative, utiliser le métalangage, manipuler, guider…
Ces différentes composantes
peuvent apparaitre comme contradictoires,
mais elles illustrent tous les dilemmes que doit affronter l’enseignant
au quotidien, dans les différentes dimensions de leur activité
professionnelle. Mais elle veut conclure son intervention sur la « bataille de l’orthographe »
: l’orthographe rectifiée par l’académie française en 1990 restent une
référence mais « ne sauraient être imposée ». Les enseignants ne savent
toujours pas s’ils peuvent apprendre à écrire « maitre » sans accent… « A quand une proclamation du syndicat pour
promouvoir l’orthographe rectifiée ? »
conclut-elle en rappelant
son engagement pour une orthographe au service de la réussite de tous
les élèves…