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C’est ce que vient d’indiquer le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon au colloque sur la laïcité qui s’est tenu ce mardi 11 décembre : « la laïcité n’est pas neutre : elle porte des valeurs, il faut les défendre ». Certains s’en étonnent ( voire s’en offusquent ! ) alors que c’est précisément constitutif de la fondation de l’Ecole républicaine, comme l’a en son temps souligné Jules Ferry lui-même. Vincent Peillon – qui envisage de « refonder l’Ecole de la République », pour « refonder la République » ( l’un de ses thèmes de prédilection ) – ne pouvait que le souligner à son tour…

Il y allait ( et il y va sans doute toujours ) de l’affermissement de l’institution républicaine. Et pour Jules Ferry et les siens, les instituteurs et institutrices, qui encadraient l’Ecole du peuple, avaient un rôle politique éminent à jouer, dans l’enceinte scolaire elle-même. Certes, il n’était pas question qu’ils s’engagent sur le terrain de la politique électorale partisane, qu’ils se comportent en « agents politiques », en « agents électoraux ». Et Ferry met explicitement en garde les instituteurs : « Ne souffrez pas qu’on fasse jamais de vous des agents politiques ! […]. La politique contre laquelle je tiens à vous mettre en garde, est la politique militante et quotidienne, la politique de parti, de personnes, de coterie ! Avec cette politique-là, n’ayez rien de commun ! Elle se fait, elle est nécessaire, c’est un rouage naturel, indispensable dans un pays de liberté ; mais ne vous laissez pas prendre par le bout du doigt dans cet engrenage : il vous aurait bien vite emportés et déconsidérés tout entiers ! ».

En revanche, Jules Ferry plaide explicitement lors de son discours célèbre au Congrès pédagogique des instituteurs et institutrices de France du 19 avril 1881 pour l’engagement politique des instituteurs et des institutrices en faveur de la République et de la Révolution française dans l’enceinte scolaire elle-même. Et il s’agit bien d’une prise de parti politique, reconnue et revendiquée comme telle : « Nous nous entendons bien, nous ne rééditons pas ici la formule qui fut célèbre dans les dernières années de l’établissement si difficile, si contesté de la République, cette formule du fonctionnaire qui disait : ‘’ Je ne fais pas de politique !’’. Nous ne l’entendons pas ainsi : je ne dirai pas, et vous ne me laisseriez pas dire qu’il ne doit pas y avoir dans l’enseignement primaire, dans votre enseignement, aucun esprit, aucune tendance politique. A Dieu ne plaise ! Pour deux raisons : d’abord, n’êtes-vous pas chargés, d’après les nouveaux programmes, de l’enseignement civique ? C’est une première raison. Il y en a une seconde, et plus haute, c’est que vous êtes tous les fils de 1789 ! Vous avez été affranchis comme citoyens par la Révolution française, vous allez être émancipés comme instituteurs par la République de 1880 : comment n’aimeriez-vous pas et ne feriez-vous pas aimer dans votre enseignement et la Révolution et la République ? ».

On ne peut pas dire que cette prise de position privilégie le consensus. C’est alors une prise de parti encore plus résolue que ne le seraient actuellement des engagements forts contre le sexisme, le racisme, la xénophobie, ou pour l’écologie et le développement durable. Les fondateurs de l’Ecole de la troisième République, et Jules Ferry au premier chef, sans chercher bien sûr à provoquer inutilement, n’ont d’aucune façon une conception neutralisante ou lénifiante de l’Ecole laïque et républicaine. Les enseignants du primaire doivent en effet non seulement expliquer la Révolution française et la République, mais les faire « aimer ». Et cela à un moment où la République est condamnée par l’Eglise ; à un moment où seule une courte majorité de Français vient d’être favorable au régime républicain, où les républicains eux-mêmes ne sont pas tous d’accord – loin s’en faut – pour assumer « en bloc » l’héritage de la Révolution »…In fine, et sans l’ombre d’une hésitation, les instituteurs et institutrices sont instamment sommés d’intervenir, de prendre parti, à l’Ecole même, sur les enjeux politiques majeurs de l’époque, pourtant objets de furieuses controverses…

Claude Lelièvre