Par Eric Castanet
Innover au lycée, c’est possible ! S’inspirer des grands pédagogues, tel que Freinet, c’est possible ! Repenser toutes les pratiques de la classe, c’est possible !
Priscille Cheney témoigne de son expérience au sein de l’équipe de physique Chimie du Lycée Doisneau de Vaulx-en-Velin.
J’exerce dans un lycée labellisé « ambition réussite » qui recrute uniquement sur des collèges ECLAIR, j’ai la chance de faire partie d’une équipe d’enseignants de Physique Chimie dynamiques et d’avoir des élèves relativement âgés. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés s’apparentent à ceux rencontrés par la grande majorité des enseignants. En fait, plus que « comment motiver les élèves pour qu’ils s’intéressent aux cours ? », nous, ce que nous nous sommes demandés, c’est « comment faire pour que nos cours soient réellement efficaces et ne soient plus une mascarade de garderie où nous occupons les élèves et où ils n’apprennent rien ? ».
Comme nous en avions « un peu marre » d’être des machines à noter sans que cela ne serve vraiment à quelque chose, il y a 3 ans, au sein de notre équipe disciplinaire, nous avons décidé d’abandonner le système de notation classique en classe de seconde.
Ensemble, avec mes collègues Ludovic ARNAUD, Frédéric KOCH, Julien PINEL et Lotfi SASSI, nous avons essayé de rénover notre manière d’enseigner en allant picorer des idées aussi bien chez les pédagogues du siècle dernier que chez nos collègues de langues ou de primaire. Les principes de la pédagogie Freinet (travail de groupe, esprit coopératif, enseignement à visée émancipatrice), nous ont servi de piliers dans notre réflexion. Et petit à petit, cela nous a conduits à faire évoluer toutes nos pratiques de classe. Nous avons travaillé à l’élaboration de scénarios pédagogiques qui mettent l’accent sur les nœuds conceptuels (nous utilisons donc beaucoup moins les activités prédigérées des manuels); à la mise au travail des élèves par groupes de 4 pour susciter la confrontation d’idées et donc à les pousser à réfléchir (y compris lorsque nous avons 32 élèves dans la salle) ; à la mise en place d’outils pour forcer les élèves à réfléchir à ce qu’ils ont appris (en termes savants, c’est la conscientisation des apprentissages) ; à l’évaluation par paliers (à la place des barèmes arbitraires et sans aucun fondement scientifique, droit à l’erreur, communication à l’avance des indicateurs de réussite…). Ce que nous faisons n’est pas à proprement parler de la pédagogie Freinet, mais une adaptation de celle-ci. En effet, celle-ci implique généralement la mise en place d’un conseil hebdomadaire, d’un « quoi-de-neuf », de plans de travail personnalisés, de fichiers auto-correcteurs… plein de choses qu’il est assez difficile d’instituer dans le secondaire.
Ce n’est pas la solution miracle à la gestion de classe et à l’échec scolaire. Mais, pour ma part, je ne reviendrai jamais au système traditionnel même si je devais enseigner dans un lycée de centre-ville. Parce que ces nouvelles pratiques induisent des rapports beaucoup plus pacifiés avec les élèves (je ne suis plus dans un rapport de confrontation « prof face aux élèves » mais dans une relation d’entraînement « prof avec les élèves »). Parce que je pense être beaucoup plus performante et dispenser une formation scientifique beaucoup plus solide. Et plus fondamentalement, parce que je n’ai plus le sentiment de reproduire des coutumes professionnelles qui me paraissent maintenant dépassées et que j’ai le sentiment de retrouver du sens à ce que je fais.
Si l’aventure vous tente, je me permets de vous donner quelques pistes à suivre.
Premièrement, il faut commencer par un peu de lecture pour s’imprégner de grands principes pédagogiques:
– la revue des « Cahiers pédagogiques » est constitué d’articles qui relatent des expériences menées en classe, c’est très varié, mais ça donne des idées pratiques.
– personnellement, j’ai adoré « Savoir enseigner dans le secondaire » de Carette et Rey (De Boeck, 2010) : un petit livre super clair sur les processus d’apprentissages, les compétences, les savoirs.
– « La saveur des savoirs » d’Astolfi (ESF, 2010) et « Aider les élèves à apprendre » de De Vecchi (Hachette, 2010) ne sont pas mal non plus.
– plus spécifiquement, « Pratiques Freinet au collège et au lycée » (Icem, 2008) est un recueil de pratiques et de points de vue qui présente comment mettre en place une classe coopérative.
Deuxièmement, il faut trouver des collègues avec lesquels se lancer, parce que tout seul, c’est trop dur ! Nécessairement, il va y avoir des moments où les innovations ne vont pas prendre, où ce sera le brouillard, et seul, la tentation d’abandonner et de revenir à nos habitudes risque d’être trop forte. Alors qu’en se lançant à plusieurs, l’échange et la communication permettent de trouver des solutions.
Troisièmement, il faut faire un stage avec le GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle) : souvent, dans leurs stages, nous sommes placé dans une situation pédagogique jouant nous-même le rôle d’un élève puis vient le temps du débriefing : génial pour toucher du doigt tout ce qui se joue en classe, et pour trouver des pistes pour faire changer les choses.
Quatrièmement, il faut se persuader que nous avons raison de vouloir changer les choses et si le doute survient, relire Albert Jacquard (« La science à l’usage des non-scientifiques », « L’équation du nénuphar »…). « La finalité de l’éducation est de provoquer une métamorphose chez un être pour qu’il sorte de lui-même, surmonte sa peur de l’étranger, et rencontre le monde où il vit à travers le savoir (…) Moi, ministre de l’Éducation nationale, je décrète : Article premier : Il faut supprimer tout esprit de compétition à l’école. Le moteur de notre société occidentale est la compétition, et c’est un moteur suicidaire. Il ne faut plus apprendre pour et à être le premier. Article deuxième : L’évaluation notée est abandonnée. Apprécier une copie, ou pire encore, une intelligence avec un nombre, c’est unidimensionnaliser les capacités des élèves. » (Albert Jacquard, 2006)
Et enfin, il faut oser, parce que ça vaut vraiment le coup, ça redonne envie d’enseigner… et que de toute façon, quoi que nous fassions, ça ne peut pas être pire que la garderie actuelle où seuls s’en sortent ceux qui n’ont pas besoin de l’école.
J’espère sincèrement que ces quelques pistes seront pour certains des lueurs d’espoir pour faire leur boulot au quotidien.
http://perso.ovh.net/~scienceso/wiki/doku.php?id=public:public
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