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Découvrir et pratiquer la recherche scientifique, en toute rigueur, dans une classe de CM1-CM2 de ZEP Éclair de banlieue, le pari peut sembler audacieux. Ajoutons que la recherche porte sur le traçage du déplacements de fourmis dans leur déplacement nourricier ; que des scientifiques de haut niveau, généticien, informaticien, physicien, dont certains interviennent directement dans la classe, sont associés au projet, et on aura un aperçu de la manière dont Ange Ansour, PE à Bagneux, mène sa pédagogie d’apprentissage des sciences. « Les processus mentaux sont les mêmes, du primaire au laboratoire, explique-t-elle simplement. Il faut donner aux enfants l’occasion d’exercer ces compétences pour qu’ils en aient conscience. »

« Ne leur parlez pas d’élevage, ils font de l’observation scientifique », précise l’enseignante au sujet de ses élèves. Après avoir accueilli en classe toutes sortes d’animaux, du lapin aux bactéries, elle a choisi de s’intéresser de très près aux fourmis. Leur rusticité et leur capacité de production de phéromones lui semblaient intéressants à exploiter. Pas n’importe quelles fourmis, cependant : aphaenogaster senilis, une espèce assez rare et peu connue mais facile à élever. Installés dans un bac plastique d’observation, les insectes seront étudiés dans leurs trajets aléatoires, leurs comportements instinctifs, leur organisation collective. Une bonne manière d’aborder l’éthologie à l’abri de tout anthropomorphisme, en particulier dans les modèles de groupe sans dimension individuelle.

Pour donner un sens scientifique à la démarche, hors de question de livrer l’objet d’étude clé en main à la classe : « Nous avons réfléchi à toutes les données mesurables qui pourraient constituer des paramètres pertinents pour notre recherche. Lors de cette première phase, les élèves doivent faire un effort pour conceptualiser les données concrètes disponibles. C’est une démarche nécessaire dans tous les domaines d’apprentissage, on la retrouve en grammaire ou en mathématiques. Partir de situations bien définies dans le domaine concret facilite la démarche d’abstraction. » Après définition des paramètres, reste à trouver le logiciel pour les transcrire. Le concepteur d’un logiciel pour le traçage des bactéries, Song Xiaohu, accepte de l’adapter aux fourmis. Le marquage des phéromones invisibles qu’elles déposent sur leur passage par un sillage coloré permettra de modéliser mathématiquement leurs déplacements. Pour les élèves, l’occasion de découvrir en détail le fonctionnement et la nature d’un système logiciel, étudié par analogie avec un langage. Lors des travaux de manipulation, la chute accidentelle d’une plaque de verre écrase la reine, semant la perturbation dans la colonie. Inexplicablement, les fourmis recommencent à pondre, ce qui leur est impossible sans une reine. Les myrmécologues consultés, d’abord perplexe, constatent que ce sont des œufs non fécondés producteurs de mâles (improductifs pour la fourmilière). Une découverte scientifique nouvelle sur les «stratégies » adaptatives des aphaenogaster senilis…

Émettre des hypothèses, concevoir des dispositifs expérimentaux, mener des manipulations précises, en formuler les résultats, poser les questions pertinentes à des scientifiques de haut niveau, analyser leurs réponses ; toutes ces démarches mises en œuvre dans l’opération de traçage des fourmis sont fondamentales pour les activités mentales de l’apprentissage. La science n’est pas un domaine à part dans l’ordre des savoirs, estime Ange Mansour. Se familiariser avec les concepts les plus difficiles est plus simple dans un contexte où les objets sont déterminés avec exactitude. Souvenir d’un passé consacré à la recherche scientifique ? « J’ai fait des études de philosophie et de traduction, qui m’ont conduite à travailler au Monde Diplomatique et au Quai d’Orsay, explique l’enseignante. Mes relations personnelles m’ont donné l’occasion de côtoyer des chercheurs de haut niveau, qui étaient partants pour travailler avec des classes. » Le projet sur les fourmis n’est pour elle qu’une étape, elle entend développer sa pédagogie des sciences dans d’autres formes de mises en relation entre la science de haut niveau et l’école.

Jeanne-Claire Fumet

Au Forum des enseignants innovants 2011