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A la veille d’un important colloque sur l’homophobie organisé par le Snuipp le 16 mai, l’impact de la loi Taubira sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe reste encore à mesurer. Pour une Ecole qui a fermé les yeux sur l’homosexualité et l’homoparentalité, la loi représente un défi. Elle devrait obliger l’Education nationale à reconnaître l’existence des couples de même sexe. Elle pourrait aussi avoir un impact sur les programmes scolaires.

Adoptée le 23 avril en seconde lecture par l’Assemblée nationale, la loi permet aux couples de même sexe de se marier. Elle ouvre également aux personnes de même sexe mariées la voie de l’adoption, que ce soit l’adoption conjointe d’un enfant par les deux époux ou l’adoption de l’enfant du conjoint. D’après l’Insee, on compterait en France 100 000 couples de même sexe. Un couple sur dix élèverait un ou des enfants. Aucun chiffre officiel ne recense le nombre d’enfants vivant dans ces couples mais on peut les estimer à environ 20 000, un nombre faible par rapport au total des élèves. Mais, particularité de ces couples, l’Ecole compte beaucoup pour eux. Ce sont des couples plus jeunes que la moyenne des couples français et surtout beaucoup plus diplômés : la moitié a un diplôme du supérieur (contre moins d’un tiers pour les couples français).

Jusque là, la loi Taubira semble avoir peu concerné l’Ecole. Si certains établissements religieux ont mobilisé les parents et même des élèves pour manifester contre le projet de loi, il n’y a pas eu de vague homophobe dans les établissements. Comme elle sait si bien le faire, l’Ecole semble ignorer le débat soulevé par le projet de loi. Au ministère on attend le rapport de Michel Teychenné sur l’homophobie dans les établissements scolaires pour s’exprimer sur le sujet. Pourtant les associations de lutte contre l’homophobie parlent d’urgence. Dans son rapport 2012, SOS Homophobie montre des élèves persécutés pour leur orientation sexuelle ou pour celle de leurs parents. Elle met aussi en évidence une large ignorance des élèves sur les questions de genre. « Comment vérifier qu’un ami est homosexuel », demande un élève à l’occasion d’une réunion organisée par l’association dans un établissement. « Les lesbiennes ça n’existe pas », affirme un autre élève. « Le nez est-il un objet sexuel pour les lesbiennes », interroge un autre. Si son action est appréciée des élèves, SOS homophobie a du mal à pousser la porte des établissements. En 2012 seulement 7 000 élèves ont bénéficié d’une rencontre avec ses militants.

Car à l’Ecole les homosexuels sont surtout invisibles. Or la souffrance des jeunes homosexuels est bien avérée. Parfois persécutés, ils souffrent d’une absence de reconnaissance et du silence du corps enseignant sur cette question. Dans un rapport préparé pour le thinktank République et diversité, Odile Fillod (cogniticienne EHESS) a étudié une vingtaine de manuels de SVT du secondaire et particulièrement de première, une année où l’orientation sexuelle est au programme. « Dans les manuels , par défaut les couples sont hétérosexuels. Les couples homosexuels sont largement ignorés », relève-t-elle. L’homosexualité féminine est la plus invisible. Quant à la bi sexualité elle n’est pas du tout évoquée. Un manuel évoque même l’hypothèse d’un gène de l’homosexualité… Dans les classes, selon Sos Homophobie, les enseignants sont souvent indifférents. Dès lors, comment rester dans une Ecole qui ne veut pas vous voir ? SOS homophobie signale des cas de dépression, d’échec scolaire et de décrochage.  » Si le discours sur l’homosexualité a fait irruption sur la scène publique, l’école primaire est restée à l’écart de cette évolution », reconnaît Sébastein Sihr, secrétaire général du Snuipp, le premier syndicat du primaire. « Souvenons-nous de la petite polémique provoquée sous Luc Chatel par le film « le baiser de la lune » qui évoquait les orientations amoureuses à travers la métaphore animalière. L’école, la classe, la cour de récréation sont des lieux où se construit la personnalité des enfants et où s’ancrent aussi les stéréotypes.  » Pédé « , c’est l’insulte homophobe par excellence, trop souvent en tête des hit parade dans les cours d’école. Or, si on considère aujourd’hui normal de lutter contre le sexisme et le racisme dès le plus jeunes âge, il doit en être de même concernant l’homophobie ».

La loi va-t-elle briser le tabou ?  » L’école accueille déjà toutes les familles dans leur diversité, l’homoparentalité est une réalité à l’école comme dans la société », poursuit S. Sihr.  » Jusque là, les directrices et directeurs ont globalement fait au mieux avec les règlements dans l’intérêt des enfants. Comme souvent, les pratiques auront précédé la loi. Par contre, ce que la loi va changer, c’est de lever des discriminations pour les familles homoparentales, en particulier pour l’inscription des enfants. Cela ouvrira aussi la possibilité à chacun des deux parents de s’investir lors des élections des représentants de parents ». « L aloi Taubira va être un des éléments qui va rendre ordinaire l’homosexualité », estime Laurent Escure, secrétaire général d’Unsa Education. « Cette loi va faire évoluer les mentalités autour de l’Ecole. Elle va redonner de la visibilité à ces couples sans en faire la promotion. Ce sera plus facile pour les couples homosexuels ». La loi obligera les établissements scolaires à reconnaître l’existence de ces couples c’est à dire souvent concrètement à reconnaitre « l’autre parent ». Une vraie révolution pour une institution qui a souvent du mal à s’adapter aux familles recomposées. Et un soulagement pour les enfants de ces couples. « C’est une bonne chose de voir ses parents reconnus par l’Ecole », estime-t-on généralement.

Une évolution des programmes ? La loi Taubira est-elle susceptible de faire évoluer les programmes ? Evidemment pas dans leur rédaction officielle. Mais dans leur application concrète. Car jusque là l’Ecole a largement contourné ses obligations en matière d’éducation sexuelle. La loi de 2001, la circulaire d’application de 2003 sont restées largement lettres mortes. « Il faut les réactiver », demande L. Escure. Pour S Sihr, plus que la loi, le rapport Teychenné pourrait faire bouger les choses. « Les préconisations qui devraient en découler pourraient, elles, avoir un impact », dit-il. « Pour nous, il faut généraliser des pratiques existantes qui sont pertinentes. N’oublions jamais qu’il se fait au quotidien dans les classes, des projets de grande qualité qui mériteraient d’être mieux connus et diffusés. Et puis, au moment où le ministre veut lancer une réflexion sur les formes du futur enseignement moral et civique, il y a là matière à traiter de ces questions notamment en réhabilitant les débats réglés. Ensuite, la formation des enseignants pour s’approprier les réflexions, la mise à distance de ses propres pratiques, reste un levier déterminant.  » En dehors des cours de SVT de lycée, la loi devrait agir sur d’autres enseignements. Par exemple, en éducation civique, elle donne l’opportunité de faire entrer les couples homosexuels dans la classe. Aucun parent ne pourra plus protester contre cette mention puisqu’en parler relève de la seule étude de la loi. Elle devrait ainsi libérer la parole et casser l’invisibilité de l’homosexualité dans les classes. Or c’est une première étape pour affronter l’homophobie.

Les syndicats au premier rang. L’Unsa Education a fait de la lutte contre l’homophobie un thème d’action important dans sa communication. « On est très actif sur ce sujet », reconnaît Laurent Escure. « Des élèves vivant dans un couple homosexuel ou découvarnt leur homosexualité sont en situation de souffrance », dit-il. « Aujourd’hui il est nécessaire de franchir un nouveau pas en s’attaquant aux racines de toutes formes de discriminations sociales, d’origine, de genre et aussi d’orientations sexuelles », estime Sébastien Sihr, pour le Snuipp. Son syndicat organise le 16 mai à Paris un colloque contre l’homophobie à l’école primaire. « L’actualité nous montre que rien n’est gagné en la matière. Ce colloque arrive donc à point nommé pour réaffirmer un certain nombre de valeurs que l’école se doit de véhiculer mais aussi pour s’interroger sur les pratiques de classes pour aborder ces questions. Sans formation, ce n’est pas toujours facile. Lors de ce colloque, nous apporterons notre pierre à l’édifice en proposant des matériaux élaborés avec des chercheurs pour les enseignants et leur classe ».

François Jarraud

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