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Quelle rôle social joue l’enseignement privé ? Va-t-il faire éclater le système éducatif ? Est-il scolairement performant ? Le 21 mai, le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Sciences Po) réunissait 4 chercheurs pour faire le point sur l’effet de l’enseignement privé sur le système éducatif. Pour eux le constat est accablant : peu performant scolairement, le privé se spécialise socialement et pousse à la ghettoisation des établissements. Enfin le gouvernement ne prendrait pas les bonnes mesures pour diminuer l’écart croissant entre le privé et le public.

Un secteur plus important et plus subventionné en France qu’ailleurs

L’école privée en France a deux particularités pour Olivier Monso (DEPP, ministère de l’éducation nationale). Dans la république laïque, il pèse plus lourd que chez nos voisins et est largement subventionné. Le privé sous contrat scolarise un élève sur cinq mais 36% des élèves y passent à un moment ou à un autre. C’est peut-être la troisième spécificité du privé : c’est souvent l’école du rattrapage scolaire. D’ailleurs là où il est fort (l’ouest, le sud du Massif central), il est socialement peu différent du public. Enfin le privé est essentiellement catholique et sous contrat.

Qui est scolarisé dans le privé ?

Olivier Monso et Pierre Merle proposent des approches géographiques différentes. Au niveau national, O. Monso montre que les élèves du privé viennent de milieux sociaux plus favorisés que le public. Les parents sont plus diplômés, plus en couple, avec la mère davantage femme au foyer et moins de parents étrangers que dans le public. Ce sont aussi des parents plus impliqués qui demandent davantage de rendez-vous avec les enseignants que ceux du public.

Quelle efficacité du privé ?

Le privé améliore-t-il les résultats des élèves ? En résultats bruts, oui. Mais si l’on tient compte des spécificités sociales des élèves, la plus-value apportée par le privé est moins évidente. On a vu qu’il tient un rôle important de rattrapage scolaire. Pour O. Monso, le privé semble avoir peu d’effet dans le secondaire. Au primaire, il avait une plus value positive en 2004. Une nouvelle étude en 2011 montre une plus value négative. Les élèves scolarisés dans le privé ont davantage de chances d’entrer en sixième en retard et de redoubler. Matthieu Valdenaire confirme que la scolarisation dans le privé n’a pas d’effet positif. Le moteur de la scolarisation dans le privé serait-il alors ailleurs, davantage dans le plaisir de l’entres soi que dans l’efficacité scolaire ?

Quel effet du privé sur le système éducatif ?

« On va vers deux systèmes éducatifs ». Pierre Merle a étudié l’effet social du privé à différentes échelles géographiques : celles des 10 premières villes françaises et ensuite à l’intérieur de l’offre scolaire de chaque ville. Il a calculé l’indice de dissimilarité des établissements privés c’est à dire le pourcentage d’élèves qu’il faudrait déplacer dans un établissement pour qu’il retrouve la composition sociale moyenne. Ses résultats sont terribles.

Au niveau national, le système éducatif français se distingue déjà des autres par une forte ségrégation sociale et académique. Si 3 enfants sur quatre ont un père ouvrier en collège RAR (prioritaire) ce n’est le ca que d’un sur trois dans les collèges hors zep. Si un élève sur trois a un niveau scolaire bon ou moyen en zep, c’est el cas de un sur deux dans les collèges hors zep et deux sur trois dans les collèges privés.

Au niveau des 10 premières agglomérations françaises, Pierre Merle met en évidence une ségrégation croissante des établissements. Ainsi la part de collégiens défavorisés est de 24% dans les collèges public parisiens mais de 4% dans le privé. A Nantes, on trouve 33 et 15%. A Lille, 52 et 21%. Autrement dit l’écart est du simple au double. A l’intérieur de chaque agglomération les établissements privés peuvent avoir des politiques de recrutement différentes. Mais globalement les établissements où l’indice de dissimilarité augmente sont les collèges privés à recrutement très favorisé et les collèges publics à recrutement très populaire. « On a bien une polarisation sociale des collèges », explique Pierre Merle. « On tend vers deux systèmes différents ».

Que faire ?

« La première mesure serait de mettre les mêmes contraintes d’affectation pour le privé », estime Pierre Merle. Pour lui les procédures d’affectation automatique, du type Affelnet, poussent aujourd’hui les parents qui ne peuvent avoir le lycée de leur choix à mettre leur enfant dans le privé. Or globalement cette procédure a diminué la ségrégation sociale dans les établissements en favorisant les boursiers. Pour P. Merle il est clair qu’il faudrait soumettre les établissements privés à Affelnet. Il faudrait aussi équilibrer l’offre scolaire. Plus un établissement est socialement favorisé plus il offre un large choix d’options. En répartissant équitablement les options on diminuerait les écarts sociaux.

Mais la vraie politique serait d’aider les établissements défavorisés à améliorer leurs résultats. Là il y a unanimité chez les chercheurs du Liepp. Pour améliorer les résultats des établissements populaires, il faut diminuer el nombre d’élèves par classe. « Il faut pour cela jouer sur la répartition des moyens entre els établissements », précise Matthieu Valdenaire, auteur avec T Piketty d’une étude célèbre sur ce sujet que G. de Robien avait carrément censuré. « C’est surprenant qu’au ministère on ne soit pas convaincu de l’effet taille de la classe », déclare Pierre Merle. « Il y a pourtant de bonnes études ». Travailler sur le privé en France c’est décidément interroger la politique éducative dans son ensemble…

François Jarraud

Le Liepp

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