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Une direction nationale, fut-elle installée rue de Grenelle, doit-elle piloter le numérique éducatif ? Ce modèle étatique semble totalement dépassé par la réalité de l’offre éducative largement dispersée, mondialisée et libre. Imaginer que l’Etat puisse la contrôler est pathétique. Pour autant l’Etat a bien un rôle à jouer dans la construction de la société numérique.

Il est des raccourcis saisissants. Au moment où le rapport sur la structuration de la filière du numérique éducatif est publié à Paris, le Washington Post annonce la fermeture définitive de la plateforme de ressources « Doing What Works » développée par le ministère américain de l’éducation C’est cet acte de décès venu des Etats-Unis qui salue le rêve de la grande plateforme unique des ressources éducatives dument labellisées dont rêvent les technocrates auteurs du rapport.

Le numérique porte d’abord une révolution culturelle qui a des conséquences économiques et politiques. Il construit une société où les auteurs foisonnent, où l’information est libre et se rit des barrages étatiques et économiques. C’est un univers mondialisé, mouvant, portant des valeurs et une culture en pleine mutation, qui passe au dessus des frontières nationales. L’échafaudage bureaucratique et national imaginé par les inspecteurs généraux et les inspecteurs des finances apparait totalement inadapté et ringard à coté de ce tsunami culturel qui traverse la planète. On voit bien qu’il fantasme une société soumise à un contrôle étatique fort, qu’il rêve d’une économie mondiale organisée en groupes nationaux qui s’affrontent. Qu’a-t-il compris à la mondialisation culturelle et économique ? A l’Europe ? A quoi sert ce barrage contre le pacifique ?

Le numérique éducatif c’est simplement nous. C’est les milliers de professeurs qui produisent des ressources , qui les partagent, qui montent des associations déclarées ou non, qui travaillent ensemble et qui construisent ainsi l’essentiel de l’offre éducative. Imaginer une grande plateforme unique où quelques inspecteurs contrôleraient, puis labelliseraient, puis indexeraient les ressources éducatives n’est pas seulement irréaliste. Ce n’est pas souhaitable et ça ne peut que freiner l’intégration des TICE dans l’éducation. Il faut s’appuyer sur ces acteurs et non tenter de les faire passer par les entonnoirs des bureaucrates.

Imaginer que les « financeurs », c’est à dire les collectivités locales, vont gentiment payer une politique définie et menée par d’autres, en l’occurrence un bureau rue de Grenelle, n’est pas plus réaliste. Souhaiter que ce même bureau contrôle une édition privée mondialisée repose sur un modèle qui n’a plus court depuis trente ans. Quant à l’idée qu’un moteur de recherche piloté rue de Grenelle puisse faire de l’ombre à Google…

Pour autant l’Etat a bien son mot à dire dans la construction du numérique éducatif. Il le fait en fixant des règles par exemple sur l’exception pédagogique, à condition qu’elles soient réalistes. Il peut surtout le faire en investissant réellement avec ses propres moyens dans le numérique. Le rapport cite en exemple les efforts de certains pays. On sait que le Royaume-Uni a déversé des milliards dans ce secteur avant que des sociétés mondiales apparaissent et disposera de 600 000 tablettes dans les écoles en 2015. Le rapport cite encore la Corée du Sud. Là l’objectif 2015 c’est 8 millions de tablettes, l’Etat équipant chaque année 2 niveaux. Ou encore la Turquie avec l’équipement de 16 millions d’élèves en 2016. Ou encore la Thaïlande avec l’achat d’un million de tablettes en 2012-2013. On voit bien que l’effort de l’Etat français ne se situe pas à ce niveau.

On peut comprendre que l’Etat n’ait pas les moyens d’une vraie politique d’investissements dans le numérique éducatif. Dans cette situation difficile, il peut encourager et appuyer le développement de la société numérique dans l’éducation en aidant les innombrables acteurs. Il est inutile de tenter de les contrôler. Il est enrichissant de les soutenir.

François Jarraud