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Des ateliers collaboratifs entre 6èmes et 2ndes autour des stéréotypes de genre, un « speed dating de l’orientation » amenant des 2ndes à échanger avec des 1ères et terminales de diverses séries, une rencontre autour d’un festival de cinéma organisée par les lycéens à destination de toute la communauté éducative : autant d’activités singulières, formatrices et stimulantes, menées à Brest dans la cité scolaire de l’Iroise par Claire Berest, professeure de français au lycée, en collaboration avec la professeure documentaliste Chantal Philippe et une enseignante du collège, Marie Thomas. Ce que Claire Berest ainsi nous présente, c’est, tout autant qu’un projet pédagogique, une action et une vision. L’Ecole peut avoir une fonction émancipatrice en combattant les assignations à résidence, en cessant d’enfermer chacun dans des cases : les garçons / les filles, les collégiens / les lycéens, les petits / les grands, les littéraires / les scientifiques, l’Education nationale / le monde associatif, les enseignants / les parents … A travers les déplacements pédagogiques qu’elle met en œuvre, l’enseignante donne aux élèves un désir, celui d’aller à la rencontre des autres, et un pouvoir, celui de mieux se construire et s’orienter dans le monde.

Le projet que vous présentez au Forum des enseignants innovants s’intitule « Quand les élèves créent des ponts dans une cité scolaire » : pourquoi ?

Le projet s’articule autour de plusieurs actions menées tout au long de l’année. Leur objectif a été de créer des collaborations, des synergies à l’intérieur de l’établissement (entre lycéens, entre lycéens et collégiens, entre collégiens) et vers l’extérieur de l’établissement (les parents d’élèves, le monde associatif, la cité…).

Un volet du projet a consisté à proposer aux élèves d’organiser et d’animer un événement culturel à l’intention de l’ensemble de la communauté lycéenne : comment s’est déroulée cette action ?

Mes élèves de seconde ont effectivement organisé et animé un événement culturel à l’intention de l’ensemble de la communauté lycéenne (élèves du lycée, équipe éducative, parents) à partir de leur participation au festival européen du film court de Brest en tant que « jury jeune ». A l’issue du festival, ils ont rédigé pour le site de l’établissement de nombreux articles, puis créé et installé au C.D.I une exposition en prolongeant le festival par des recherches sur plusieurs thèmes évoqués dans certains courts métrages. Par exemple la question de l’I.V.G, abordée dans un film irlandais et un film néerlandais, les a amenés à se documenter sur les différentes législations européennes ; un film grec, sur la montée des extrémismes ; un film espagnol, sur le destin des enfants soldats et le rôle d’Amnesty international …

Est venue ensuite l’organisation d’une soirée-festival au lycée : elle a été bâtie par les élèves à partir de tous ces matériaux. Devant un public de 80 personnes environ, composé de représentants élus, lycéens, parents, équipe de direction, enseignants …, les 35 élèves ont, deux heures durant, présenté le festival et leurs films préférés : ils ont projeté et présenté le film auquel ils avaient décerné leurs prix, expliqué leur travail et leurs choix, partagé leur découverte d’un format cinématographique méconnu … Ils sont donc d’abord sortis du lycée pour aller à la découverte d’un festival, puis ils ont fait entrer le festival au lycée pour devenir passeurs de culture auprès des lycéens, parents, équipe éducative … Ils ont créé des ponts.

Une partie du projet articule éducation à l’orientation et acquisition d’une culture de l’égalité pour aboutir à une collaboration entre une classe de 2nde et une classe de 6ème : de quelle manière s’est-elle déroulée ?

Cette partie du projet s’est déroulée en trois temps. La 1ère étape a consisté à travailler sur des représentations liées à l’orientation pour les interroger. Les élèves ont commencé par un travail de recherche documentaire assez classique sur les voies d’orientation après la 2nde et les séries générales et technologiques ; ce travail devait aboutir à la réalisation, par groupe, d’un diaporama sur une série tirée au sort, à présenter ensuite au reste de la classe. Mais j’avais ajouté à cette présentation une contrainte en imposant aux élèves de se mettre dans la peau d’anciens lycéens de l’établissement venus présenter et défendre cette filière. Cette consigne les a obligés à s’intéresser à des séries qu’ils ne connaissaient pas ou connaissaient mal, à s’attaquer à certaines idées toutes faites (auxquelles ils adhéraient parfois eux-mêmes) : « On vous dit que telle série n’a pas de débouchés ; c’est faux …» ou « On vous dit que telle série est réservée aux filles ; c’est faux … », et donc à discuter entre eux ces représentations, liées notamment à la hiérarchisation ou à la sexualisation des filières. Pour compléter ce travail je leur ai proposé de rencontrer « réellement » d’autres élèves. Ils ont alors, par groupes, refait des recherches et préparé des questions à l’intention d’élèves de 1ère puis d’élèves de Terminale de l’établissement. Les questions étant à adapter aux deux niveaux, ils ont pris conscience de l’existence d’enseignements de spécialité, d’épreuves anticipées, de jeux de coefficients… Nous avons alors organisé un « speed dating » en salle polyvalente qui a permis à chaque groupe de rencontrer durant 7 minutes une série et un niveau. Cette expérience n’a pas bouleversé les choix d’orientation des élèves de 2nde (ce n’était d’ailleurs pas son but), mais elle a permis de remettre en cause de nombreux préjugés et a complètement changé le regard que certains portaient sur les différentes séries. Cette démarche d’échanges avec les pairs a été plébiscitée par les élèves ; elle a aussi relativisé notre parole d’adultes, parents comme enseignants…

La seconde étape a consisté en un travail sur des représentations liées au genre : le but était de dégager la notion de stéréotype de sexe et d’interroger ses conséquences en termes d’orientation. Le travail commence par l’observation d’une campagne de prévention sur le sida du ministère de la santé qui, voulant adapter son message à différentes cibles, véhicule des stéréotypes très nets. Ainsi, le document adressé aux filles s’appuie clairement sur les compétences littéraires et l’appétence pour la lecture qu’on leur prête automatiquement ; le langage est d’ailleurs soutenu, les phrases complexes, la figure de style dominante est la métaphore… A contrario, la publicité utilisée pour les garçons met en valeur leur sens « inné » de la compétition, le langage en est pauvre, la syntaxe y est simplifiée, la métaphore a disparu au profit de la comparaison… Ce travail est complété par une animation assurée par la Fédération des Œuvres Laïques : un mur d’images publicitaires interroge la représentation du corps, les relations filles / garçons, la socialisation différenciée …

La troisième et dernière étape a mis alors les élèves en action en leur proposant un projet de collaboration avec une classe de 6ème : « Ensemble Construisons l’égalité entre les filles et les garçons », en prolongement à la quinzaine « La mixité sex’prime » à laquelle ils avaient participé. L’objectif était de sensibiliser une classe de 6ème aux stéréotypes de genre. Une partie de la classe de 2nde a conçu et animé des ateliers de lecture d’image à destination des collégiens pendant que l’autre partie de la classe travaillait sur une mise en voix et en espace d’une réécriture d’un album pour enfants abordant la même problématique. Chaque élève choisissait la mission qu’il préférait.

Comment les élèves ont-ils préparé les ateliers à destination des 6èmes et comment la rencontre entre les deux classes s’est-elle déroulée ?

Les élèves ont préparé trois ateliers basés sur la lecture d’images. Le premier, appelé « le mur d’images », s’inspirait du travail mené en amont avec la Ligue de l’enseignement. Par groupes, les élèves ont cherché des images publicitaires illustrant des caractéristiques genrées, puis ont mis en commun leurs recherches, débattu et sélectionné les images les plus adaptées à des élèves de 6ème pour faire émerger la notion de stéréotype de sexe. Le second atelier, « atelier diptyques », avait pour finalité d’approfondir cette idée en présentant aux collégiens des diptyques d’images publicitaires vendant un même « produit » mais de manière différente selon le sexe de la cible. J’ai proposé 7 diptyques d’images aux lycéens qui devaient repérer et analyser les stéréotypes véhiculés pour retenir deux exemples, ici encore les plus adaptés aux collégiens, après débat. Le dernier atelier prenait appui sur les catalogues de jouets. Il avait pour objectif d’aider les collégiens à prendre conscience que la socialisation différenciée se met en place très tôt, mais qu’on peut tout de même peut-être la combattre : chacun y gagnerait et la société serait plus égalitaire. Les lycéens ont analysé des catalogues, puis approfondi leur réflexion par la lecture d’une étude sociologique. Ici encore ils ont abouti à une mise en commun et un repérage des principaux stéréotypes à identifier avec les collégiens ; ils ont aussi cherché des contre stéréotypes de manière à montrer que les lignes peuvent bouger.

La rencontre s’est déroulée en deux temps, sur une séance de deux heures. Pour la partie ateliers, les élèves de 6ème ont été divisés en 3 groupes et tous les ateliers ont été menés en parallèle par 3 groupes d’élèves de 2nde. Chaque atelier a été l’occasion d’un échange oral, animé par les lycéens qui ont aussi aidé les collégiens à rédiger une trace écrite dans un livret individuel. A l’issue de ces ateliers, les élèves de 6ème ont assisté à la mise en voix et en espace du livre « Dînette dans le tractopelle » de Christos (éditions Talents hauts).

Pourquoi avez-vous ainsi placé au cœur de la séquence la médiation par des élèves de 2nde auprès d’élèves de 6e ?

Tout simplement parce que c’est cette médiation qui fait l’efficacité du projet ! Une médiation par des pairs plutôt que par des adultes a davantage d’impact, tout particulièrement sur des sujets où l’identité sexuelle est en jeu. Entendre des lycéens, donc, pour des collégiens, des « grands » auxquels ils s’identifient, leur dire que certains stéréotypes sont peut-être à combattre, a plus de poids que si ce message leur était transmis par des adultes. J’ai fait le même constat lors du speed dating à l’issue duquel tous les élèves de 2nde se sont dits prêts à intervenir à leur tour l’an prochain. C’est dire combien ils ont eu envie de se projeter dans le cycle terminal : ils ont trouvé les « grands » intéressants, enthousiastes ; ils se sont identifiés à eux : autant de temps gagné pour construire une posture de lycéen plus rapidement et plus efficacement. Ici aussi la médiation par des pairs a fonctionné.

Pour les 2ndes aussi cette médiation présente plusieurs intérêts : en termes d’estime de soi tout d’abord, devenir passeurs pour d’autres élèves plus jeunes est un moyen de construire cette posture d’ainé et de lycéen qui responsabilise. Les élèves du cycle terminal l’avaient été pour eux lors du speed dating, il était important qu’ils le deviennent à leur tour. Par ailleurs cette mise en situation a amené les lycéens à approfondir et affiner leur analyse. Ainsi pour préparer l’atelier « diptyques » les élèves devaient sélectionner seulement 2 des 7 binômes sur lesquels ils avaient travaillé : la réflexion et les échanges ont été d’autant plus riches, qu’ils avaient en tête ce destinateur. En voulant travailler pour les 6èmes ils ont développé des connaissances et des compétences, parce qu’ils ont donné du sens à ce qu’ils étaient en train de faire.

Comment les élèves de 6ème ont-ils ensuite pris le relai pour créer, à leur tour, des ponts ?

Dans le cadre du cours de français, la classe de 6ème a créé des panneaux racontant cette rencontre et expliquant ce qu’elle en a retenu ; elle les a présentés à la classe de 2nde une semaine après la rencontre, en présence de la directrice de la maison d’édition Talents hauts ainsi que de Christos, l’auteur de l’ouvrage « Dînette dans le tractopelle ». Puis les 6èmes ont relevé le défi de partir à leur tour à la chasse aux stéréotypes au collège. Après avoir organisé un sondage sur la cour, ils ont organisé une campagne d’affichage contre les idées reçues et en faveur de la mixité, se mettant en scène eux-mêmes, des temps de sensibilisation sur des récréations et monté la Brigade d’Intervention du Collège (la B.I.C !) chargée d’intervenir dans d’autres classes de 6ème. La mission se terminera par l’installation de l’exposition et de la campagne d’affichage au C.D.I, lieu central de l’établissement où se rencontrent les deux cycles, de manière non seulement à valoriser le travail mené par les deux classes mais à sensibiliser l’ensemble des élèves à la question de la mixité et à promouvoir une culture de l’égalité dans la cité scolaire.

En quoi ce projet va-t-il aider les élèves de 2nde à mieux construire leur projet d’orientation ?

Tout d’abord, un tel projet développe bien sûr des connaissances, des capacités d’animation, de l’autonomie, de l’estime de soi : donc il construit des compétences d’orientation. Mais je suis surtout convaincue que le travail sur orientation, notamment en Accompagnement Personnalisé, ne doit pas avoir comme seule vocation d’initier les élèves à la recherche documentaire sur le système éducatif, les séries, les débouchés … : il doit aussi s’emparer de la question des déterminants, afin de lutter contre une certaine fatalité de l’orientation. Parmi ces déterminants il y a le genre. Mais les élèves en sont très peu conscients. Il faut donc les sensibiliser aux mécanismes de l’orientation pour devenir, en étant passeurs d’expérience auprès de leurs pairs, davantage acteurs de leurs choix, car ces représentations freinent certains projets, certaines aspirations, certaines vocations, chez les garçons comme chez les filles. C’est notre travail d’enseignant de remettre en cause tous ces plafonds de verre en articulant éducation à l’orientation et acquisition d’une culture de l’égalité, deux missions de l’école intrinsèquement liées.

Dans le cadre de votre travail, vous conduisez les élèves à mener une réflexion sur les stéréotypes de genre pour combattre sexisme et homophobie : cela n’est-il pas difficile dans le contexte actuel ?

L’ampleur prise par cette polémique nous a tous surpris ; nous travaillons depuis plusieurs années dans l’établissement sur ces questions, tranquillement, posément, avec la conviction de faire tout simplement notre travail. « Favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes notamment en matière d’orientation » est un objectif de l’école inscrit dans les textes depuis 1989. La convention interministérielle de février 2013, en définissant comme chantiers prioritaires l’acquisition et la transmission d’une « culture de l’égalité entre les sexes », le renforcement de « l’éducation au respect mutuel et à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes » et l’engagement pour « une plus grande mixité des filières de formation et à tous les niveaux d’étude » ne fait que le rappeler. Dans le respect de cette directive de la loi d’orientation, l’équipe de direction de l’établissement a toujours soutenu ces initiatives considérant que la promotion d’une culture de l’égalité entre les sexes, ou que la lutte contre les discriminations liées au sexe et à l’orientation sexuelle étaient des missions incontournables de l’école. Vu le climat des mois passés, cela aurait pu ne pas aller de soi ; mais l’intérêt des élèves l’a paisiblement et évidemment emporté.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Les ateliers 6èmes / 2ndes autour de la mixité

Le speed dating 2ndes / 1ères-terminales autour de l’orientation

La rencontre 2ndes / communauté éducative autour du cinéma