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« La rééducation a pour principaux objectifs de libérer un enfant d’empêchements liés à une problématique, à accéder à la loi, à la symbolisation, aux apprentissages, comme sujet doué d’une pensée autonome et d’un esprit critique constructif ». Jean Calvo est enseignant spécialisé chargé des aides à dominante rééducative, « maître G » comme on les appelle. Il exerce à Blois. Il est aussi membre de la Fédération Nationale des Associations des Rééducateurs de l’Éducation Nationale (Fnaren) (1).

Vous intervenez auprès d’enfants confrontés à de grandes difficultés d’apprentissage schématiquement qu’elle est la nature de cette intervention ?

La notion de « grandes difficultés d’apprentissages » pose problème. Je préfère dire, car c’est plus conforme à la réalité, que j’interviens auprès d’enfants qui rencontrent des difficultés pour lesquelles une solution au sein de la classe, du cycle et/ou de l’école n’a pas pu être satisfaisante. Ces enfants sont alors indisponibles pour les apprentissages et plus généralement pour « affronter » leur vie d’élève. Je pourrais qualifier l’intervention de globale. En ce sens il ne faut négliger aucun aspect des difficultés rencontrées, aucun acteur autour de la situation scolaire de l’enfant. L’enfant doit être accueilli dans le respect inconditionnel de ce qu’il est, de ce qu’il donne à voir, y compris dans le registre des symptômes.

Qui sont les partenaires principaux d’un maître rééducateur (maître G) ?

Les principaux partenaires du rééducateur sont le maître spécialisé et le psychologue du réseau, ses collègues des classes, l’enfant lui-même et sa famille. Ensuite, toutes les personnes qui gravitent autour de la situation-problème que le rééducateur doit faire évoluer à en accord avec divers les professionnels du secteur public (2) ou du secteur libéral (3) la liste ne saurait être exhaustive tant chaque situation est particulière et susceptible d’appeler à l’innovation.

Qu’est-ce qu’une l’Équipe de Suivi de la Scolarisation (ESS) et quel sont ses rôles ?

Une équipe de suivi de scolarisation s’intéresse à la situation scolaire « élargie » d’un enfant pour lequel il a été nécessaire de faire appel à la Maison Départementale des Personnes Handicapée. Plus généralement, un enfant pour qui ont été nécessaires des aménagements de la scolarité et d’une inclusion scolaire spécifique, le plus souvent au regard d’une situation de handicap (ainsi que maladie contraignante, invalidante). Cette équipe se réunit autant que nécessaire pour que tous les acteurs fassent le point de leurs interventions, de l’évolution de l’enfant, dans le but d’ajuster au mieux et au plus près de ses besoins les différentes aides.

Dans la pratique, je n’ai encore jamais participé à un tel travail, car, le plus souvent, les enfants concernés relèvent du soin, prodigués à l’extérieur de l’école. Ce sont généralement les psychologues de l’éducation nationale qui s’acquittent de cette tâche. En revanche, je participe à de nombreuses équipes éducatives, convoquées par les directrices et les directeurs d’écoles, avec tous les partenaires, pour évaluer la situation de l’enfant et son évolution.

Dans votre pratique professionnelle qu’appelle-t-on une synthèse ?

Dans un RASED, une ou deux réunions de synthèse ont lieu chaque semaine. Elle réunit tous les membres de l’antenne. Il s’agit d’évoquer les demandes des enseignants, le plus souvent écrites, celles des familles (rares) ou d’autres personnes (rarissimes), les situations des enfants avec lesquels nous travaillons déjà ou avons antérieurement travaillé.

Le but d’une synthèse est de réfléchir ensemble, d’analyser avec les trois regards conjoints (maître spécialisé E, rééducateur et psychologue) pour tracer des « possibles » quand une situation parait bloquée ou inopérante, afin de changer de stratégie, de revoir les enseignants, de revoir la famille, d’arrêter ou reprendre l’intervention du réseau, d’orienter vers une aide extérieure à l’école, de proposer une équipe éducative… la liste n’est pas exhaustive car tellement particulière ; à tout moment il peut être proposé une nouvelle adaptation, non encore répertoriée. Pour ma part à chaque fois que j’évoque la situation d’un enfant avec d’autres adultes, que ce soit en synthèse, en groupe d’analyse de la pratique professionnelle ou ailleurs, je lui en parle avant, puis après, en précisant bien que, dans l’état actuel de notre rencontre, j’ai l’impression de ne pas pouvoir l’aider assez et que je vais en parler à des collègues pour leur demander s’ils ont des « idées ». Et je lui soumets les « idées » recueillies. Et je remarque toujours que l’enfant est sensible à cette forme de loyauté et qu’en soi, cette loyauté, aussi, aide à faire évoluer la situation.

Comment évalue-t-on l’efficience de votre travail auprès d’un élève ?

L’évaluation du travail d’un rééducateur (maître G, ne peut s’apprécier qu’en classe, ou en tout cas dans l’école, puisque c’est le lieu identifié dans lequel s’exprime la difficulté de l’élève. Ce sont bien sûr les enseignants, qui ont mission et projet d’instruire l’enfant, les mieux placés pour ce faire. S’agissant de l’enfant, dans une dimension non restreinte à sa seule vie scolaire, la question est d’évaluer sous tous les angles la résolution du problème posé à l’origine de la demande d’intervention du RASED. À l’issue de chaque séance, le rééducateur effectue « un retour ». Il essaie de capter, de « capturer » des moments, des actions, des paroles, des silences… des clés. Il s’interroge sur ce qui s’est passé, autant de son propre fait que de celui de l’enfant, sur ce qui s’est joué, sans chercher à interpréter, sur ce qui change, sur ce qui ne change pas…Régulièrement, un bilan est effectué par le rééducateur. Il est mis en regard avec l’évolution de l’enfant dans sa classe et dans l’école. Il est aussi comparé à la perception qu’a la famille de cette même situation, avec en plus, éventuellement, l’évolution de l’enfant en milieu extrascolaire.

Ces différents points de vue représentent autant de baromètres, de boussoles qui nous permettent d’ajuster au mieux le projet d’aide et l’intervention, toujours dans le but que l’enfant et l’école se retrouvent dans une adaptation mutuelle, épanouissante et prolifique, c’est-à-dire pour une inscription forte de l’enfant dans l’école et dans sa classe, avec un investissement dans sa vie d’écolier et ses apprentissages, avec le plaisir d’être acteur de sa scolarité et de sa vie.

Quelle place ont les parents des élèves dans votre action ?

Les parents des élèves ont une place essentielle, une place sans laquelle la rééducation est quasi-impossible. Car pour pouvoir pleinement s’ouvrir au travail que nous allons lui proposer, il faut que l’enfant le veuille vraiment, qu’il soit envoyé par son ou ses enseignants, et autorisé, de manière forte et explicite, par ses parents ou ses référents parentaux ou familiaux. Je déplore personnellement que nombre de collègues, surtout des maîtres E, négligent cet aspect du travail. Et j’espère que notre congrès (4), entre autre, permettra que soient dépassés certains empêchements à travailler avec les familles. Car je suis de plus en plus persuadé qu’il s’agit d’une clé essentielle de la pleine réussite de notre action.

Qu’est-ce qui différencie vote action de celle d’un psychothérapeute ? (5)

Ce qui différencie mon action de celle d’un psychothérapeute est fondamental et pourtant pas forcément visible pour un visiteur qui ne connaîtrait pas nos métiers. Cela concerne, pour faire simple, essentiellement deux champs. Le premier est le lieu ; l’école n’est pas le lieu du soin. Le second est l’interprétation. Le rééducateur accompagne le jeu, le jeu symbolique de l’enfant, qui joue sa problématique à son insu, pour s’en distancier et se rendre disponible psychiquement pour sa vie d’écolier et les apprentissages. Le rééducateur ne cherche pas à interpréter ce que joue l’enfant. Son objectif n’est pas la résolution d’un problème intime ou familial, mais celle d’un problème concernant son adaptation à l’école ou aux apprentissages.

La rééducation a pour principaux objectifs de libérer un enfant d’empêchements liés à une problématique, à accéder à la loi, à la symbolisation, aux apprentissages, comme sujet doué d’une pensée autonome et d’un esprit critique constructif. Je citerai, en clin d’œil, ce que disait Jean-Pierre Klein, psychiatre, art-thérapeute et membre du comité scientifique de la FNAREN, à l’issue de la projection du film Un parmi les autres (6) : les rééducateurs ne sont pas psychothérapeutes mais leur action est éminemment psychothérapeutique !

Propos recueillis par Gilbert Longhi

La Fédération nationale des associations des rééducateurs de l’Éducation Nationale tiendra sont vingt-neuvième congrès du 2 au 5 juillet 2014, à Échirolles (38130) sur le thème Relations école-famille. Construire une confiance réciproque pour mieux (s’) apprendre

Avec Serge Tisseron, Marie-Rose Moro, Dominique Glasman, Jean-Paul Payet, Philippe Meirieu, Jacqueline Costa-Lascoux etc.

http://fnaren.fr

http://www.congresfnaren2014echirolles.fr/

Notes

1 La FNAREN, émanation des associations départementales des Rééducateurs de l’Éducation Nationale (AREN), œuvre pour la promotion des aides spécialisées à dominante rééducative à l’Ecole. http://fnaren.fr/ La FNAREN défend l’idée que « maître G » ne veut pas dire grand chose et que les enseignants concernés sont des rééducateurs de l’éducation nationale.

2 Les personnels de multiples entités : Centre Médico-Psychologique ; Centre Médico-Psycho-Pédagogique, Centre d’action médico-sociale précoce, Centre Médico-Social Pédagogique, Projet de Réussite Educative, Service d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile.

3 Orthophonistes, psychologues et autres psychothérapeutes, psychiatres, éducateurs, assistantes sociales, psychomotriciens, ergothérapeutes…

4 La FNAREN organise chaque année un congrès qui remporte un franc succès, auprès des rééducateurs bien sûr mais aussi d’autres personnels des milieux de l’enseignement, du soin, de l’éducatif… Cette année, il aura lieu du 2 au 5 juillet à Échirolles. Cette année, le thème est : « Relations école-famille : construire une confiance réciproque pour mieux (s’) apprendre. » http://www.congresfnaren2014echirolles.fr/

5 On lit par exemple sur le site de l’académie de Créteil ceci : Par un travail relationnel fondamental, la rééducation permet à l’enfant de s’affirmer comme sujet… aide l’enfant à investir ses potentialités d’apprentissage … et … lui offre la possibilité d’adapter son propre système relationnel à l’école Académie de Créteil http://www.ac-creteil.fr/id/93/dugny-ais/rased.htm

6 Cinéma « les Lobis », en novembre 2011, Blois Film documentaire produit par la FNAREN et réalisé par Pierre DE NICOLA, qui met merveilleusement en lumière le travail des rééducateurs de l’éducation nationale. http://fnaren.fr/mdias