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De quelle façon l’Education Physique et Sportive intègre-t-elle dans ses pratiques les vertus des valeurs républicaines ? Bastien Redding, professeur agrégé d’EPS et responsable du Master MEEF à l’ILEPS (Cergy, 95) a organisé le 12 janvier dernier une conférence-débat autour de cette thématique : « l’EPS, en tant que discipline d’action, peut faire vivre concrètement des valeurs et des vertus républicaines aux élèves ».

Pourquoi une conférence autour de cette thématique ?

Quelques mots d’abord sur la philosophie de nos conférences-débats à ILEPS. Un objectif : organiser des temps de rencontres professionnelles autour de thématiques éducatives (prochaine conférence-débat le mardi 22 mars 2016 sur le thème « Education à la Santé, Pratiques Physiques, Enfance et Adolescence »). Une démarche associée : proposer des interventions avec des entrées « originales » afin de susciter le débat auprès du public et d’interroger les pratiques de terrain des professeurs d’Education Physique et Sportive (EPS).

Plusieurs interventions se sont succédées lors de cette conférence-débat mêlant une entrée philosophique (par Philipe Gaudin, philosophe, directeur adjoint de l’Institut d’Education en Science de la Religion), une entrée psychologique (par Gilles Lecocq, professeur de psychologie, Secrétaire Général de la Société Française de Psychologie) et une entrée plus professionnelle liée à la formation (par Ludovic Goreau, IA-IPR EPS de l’Académie de Versailles et coordonnateur du groupe EPS, Cédric Gosse, IA-IPR EPS de l’Académie de Versailles, et Bastien Redding responsable de la formation des professeurs-stagiaires EPS à l’ILEPS).

Le choix du thème de cette 1ère conférence s’est imposé à nous. Il s’agit d’une thématique sociale et éducative que l’actualité a rendue « brûlante », voir passionnelle, mais également incontournable. Ce sujet questionne toutes les Ecoles de la République, tant les établissements publics que les établissements privés sous contrat. Dans un contexte de réforme scolaire, avec notamment un nouveau socle, un parcours citoyen ou l’Enseignement Moral et Civique (EMC), il est aujourd’hui indispensable que chaque discipline et chaque acteur du système éducatif s’emparent de la question de la promotion de la laïcité et des valeurs Républicaines. Et pas seulement le professeur d’histoire-géographie.

En quoi l’EPS a-t-elle un rôle à jouer ?

Bien sûr l’Ecole, et à fortiori l’EPS, ne règleront pas tout sur ces sujets. Mais l’EPS peut être un moment scolaire à même d’impulser ces « petits rien qui changent tout » pour reprendre l’expression de Claire PONTAIS à propos de l’égalité fille/garçon (2015). L’EPS, en tant que discipline d’action, peut faire vivre concrètement des valeurs et des vertus républicaines aux élèves. Autrement dit, être un moment scolaire « d’in-corporation » de ces valeurs par des démarches d’enseignement qui impliquent réellement les élèves. Sans nier pour autant les difficultés que cela pose en termes de multiplication des objectifs lors d’une leçon.

L’enjeu est en quelque sorte de passer du « vivre-ensemble » à défendre dans la classe au « faire-ensemble » à partager en EPS. Cela passe néanmoins par toujours plus de mixité sociale dans les établissements pour lutter contre « l’entre soi » sous toutes ses formes (ethniques, religieuses, économiques…).

Sur la question de la laïcité d’abord. Quelle(s) définition(s) à l’école ? Quelles réalités pour l’EPS ? Quelles pistes pour les professeurs d’EPS ?

La laïcité est un principe républicain qui semble faire consensus chez tous les acteurs scolaires, mais peut-être est-ce en réalité un consensus de façade dans la mesure où tout le monde n’entend pas l’application de ce principe suivant les mêmes contours. Cette pluralité nourrit le débat…mais donne aussi lieu, à mon avis, à des interprétations discutables comme par exemple considérer que la laïcité exclue le religieux de l’Ecole. Si fondamentalement la laïcité c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de conscience, je me retrouve bien dans ce que Philippe Portier (2015) présente comme une « laïcité coopérative » qui ne cherche pas à nier, gommer ou refouler le religieux mais, au contraire, cherche à prendre en compte les faits religieux pour y réfléchir de manière raisonnée (distinction entre croire et savoir). Pris en ce sens, la laïcité est plus facilement perçue à mon avis comme « un combat qui rassemble » (Bauberot, 2015) car cela permet de réaffirmer aux élèves, aux parents, et aux personnels du système éducatif que l’ « on peut être laïque et croyant » (charte de la laïcité à l’Ecole (2013) – Article 15 de la Charte commentée).

Une professeure d’EPS présente à la Conférence relate des expériences personnelles et des témoignages de collègues souvent désemparés lors de situations concrètes telles que, par exemple, le cas de certaines filles qui, certifiant que leur religion le leur interdit, refusent de pratiquer la lutte avec les garçons. Sur ces questions concrètes, les professeurs d’EPS se sentent souvent isolés et peu accompagnés quant à la posture à tenir : Refuser fermement mais prendre le risque d’une rupture totale avec les élèves ? Négocier mais alors où commence et où s’arrête la justification religieuse ? Accepter sans chercher à débattre ?

Comment faire alors ?

Il me semble qu’entre l’intransigeance absolue et la démission coupable de multiples solutions sont possibles mais qu’elles nécessitent des connaissances précises des faits religieux par les professeurs d’EPS afin de soutenir des arguments construits et crédibles aux yeux des (parents) élèves. Ces connaissances ne s’improvisent pas et pourront donner lieu à des formations spécifiques.

Comme le souligne Philippe Gaudin lors de son intervention à la conférence, le principe de laïcité en EPS renvoie aussi à la question de la pudeur dans une discipline qui expose son corps au regard de l’autre et dans laquelle on se frôle, on se touche. Un des rôles de l’EPS serait alors en quelque sorte d’éduquer le regard des élèves à distinguer ce qui est de l’ordre de la décence et de l’indécence, du tolérable et de l’intolérable. En ce sens, on comprend pourquoi des tensions peuvent exister avec l’enseignement de la lutte ou de la natation qui renvoient directement à cette question de la pudeur.

Sur la question des valeurs et des vertus républicaines : quelles opérationnalisations possibles en EPS ?

En effet, si la charte de la laïcité à l’école (2013) propose 15 articles, toute la difficulté est de leur donner « corps ». C’est évident, les professeurs d’EPS n’ont pas attendus la Charte pour s’intéresser à la construction de compétences sociales chez leurs élèves. Chaque jour, dans toutes les Ecoles de la République, des élèves vivent concrètement la Liberté, l’Egalité ou la Fraternité durant leur leçon d’EPS. L’idée que je voudrais avancer n’est donc pas que les professeurs d’EPS doivent enfin prendre en compte les valeurs républicaines dans leurs leçons, mais plutôt que cette prise en compte pourrait être encore plus efficace en étant davantage formalisée et anticipée. Il me semble que les valeurs républicaines émergent le plus souvent des leçons d’EPS de manière non anticipée, comme une conséquence plus ou moins aléatoire des situations d’apprentissages proposées. Je parlerai d’un phénomène de « serendipité professionnelle » dans le sens où si des valeurs sont effectivement partagées durant la leçon par les élèves, il s’agit souvent d’une création émergente plus ou moins visé initialement.

Quelles pistes pour la formation des professeurs d’EPS ?

Je propose 3 pistes pouvant structurer une offre de formation professionnelle afin de permettre une réelle opérationnalisation (par les professeurs) et incorporation (par les élèves) des valeurs et vertus républicaines. Ces 3 pistes structureront la formation des professeurs-stagiaires EPS à l’ILEPS pour l’année 2015-2016.

1/Afin de dépasser ce phénomène de « sérendipité professionnelle » et à l’instar des propositions récentes de Jacques Meard (2015), je pense nécessaire de revendiquer une didactisation des valeurs républicaines.

En effet, je crois important d’avoir les mêmes exigences de formalisation et d’anticipation concernant les apprentissages moteurs et les apprentissages sociaux en EPS. Lors de la 1ère leçon d’un cycle de natation, on ne jettera jamais un élève de 6ème dans l’eau pour un 50m sans avoir vérifié ses prérequis et imaginer des étapes successives…mais peut être lui demandera-t-on plus facilement lors de cette 1ère leçon de collaborer avec un élève qu’il connaît à peine pour l’observer et le conseiller sur sa nage. Finalement, lorsque l’on fait référence aux compétences sociales, tout semble être mis sur le même plan.

La logique d’écriture des compétences attendues par APSA dans le programme de 2008 était d’ailleurs assez révélatrice je trouve ; les compétences méthodologiques et sociales étant le plus souvent reléguées en fin de compétence attendue et beaucoup moins explicitées que l’aspect moteur.

Or ces compétences sociales sont également à construire pas à pas via des contenus d’enseignement adaptés et différenciés. Ce travail de formalisation peut être initié dans le cadre d’une formation professionnelle.

2/Si les valeurs républicaines prennent sens dans des situations qui ont de l’importance aux yeux des élèves, il faut réfléchir à partir d’une EPS où se vit aussi, parfois, des « contre-valeurs » (la triche, l’injustice, le manque de fair-play, l’exclusion…).

En effet, c’est parce qu’un élève a triché en football qu’un autre élève pourra se plaindre, voir s’énerver, et faire ainsi naître le rappel de la règle, voir ouvrir le débat sur son évolution ; en somme vivre l’Egalité. C’est parce qu’un élève se sent exclu des choix de son groupe en Acrosport que les rapports entre les élèves devront être abordés afin de permettre au groupe de proposer un enchainement collectif; en somme vivre la Solidarité. Or le professeurs d’EPS possède ici de réels atouts en utilisant des supports à fort retentissement émotionnel pour les élèves : il n’y a qu’à observer quelques jeunes collégien(ne)s lors d’un match de sport collectif pour s’apercevoir qu’ils (elles) jouent leur vie !

Bien entendu il ne s’agit pas d’encourager les comportements irrespectueux des élèves, et une des finalités est de les faire diminuer peu à peu, mais il serait utopique de penser les faire totalement disparaitre. La question est alors de savoir comment ces comportements déviants peuvent justement être des leviers qui donneront aux yeux des élèves une « vraie raison » de vivre l’Egalité, la Liberté et la Fraternité. Cette démarche implique les élèves en leur permettant d’éprouver ces valeurs, c’est-à-dire de les mettre concrètement « à l’épreuve » de leur expérience. Cette pratique permet en outre de ne pas isoler les compétences sociales des compétences motrices car le sens naît justement de la situation vécue. Dans cette perspective, il pourrait être intéressant d’intégrer cette démarche lors des formations « APSA » proposées.

C’est-à-dire ?

Une des règles du métier de professeur (en référence aux travaux de l’académie de Toulouse) est d’être capable de « réguler son action » au cœur de sa leçon. Une piste de formation pourrait alors être de travailler spécifiquement des « règles d’action » professionnelles permettant de faire réfléchir les élèves à partir d’un comportement déviant : Quand intervenir ? Avec quelles modalités pédagogiques ? Comment favoriser les interactions entre élèves et les impliquer dans la réflexion ?. Bien entendu chaque situation est différente d’une autre, chaque contexte est singulier, mais cela ne doit pas conduire à promouvoir une sorte d’« improvisation professionnelle » sur ces questions. Il faut former à l’intelligence situationnelle en travaillant sur des règles d’action professionnelles suffisamment souples pour pouvoir s’adapter à des contextes variés. La formation en alternance telle qu’elle est proposée pour les professeurs-stagiaires permet de s’appuyer sur des situations vécues sur le terrain afin d’envisager collectivement ces règles d’action.

3/Une dernière piste serait de revendiquer la nécessité de prendre son temps sur ces questions malgré un contexte parfois « passionnel ».

Il s’agit d’imaginer une temporalité bien plus importante sur ces sujets : on ne devient pas citoyen en quelques mois. La création du « parcours citoyen » de la maternelle au lycée est à mon sens un bel exemple à méditer. Néanmoins il s’agit aussi d’accompagner les professeurs en temps réel sur des problématiques de terrain à très court terme. Là aussi la formation en alternance des professeurs-stagiaires offre la possibilité d’apporter des premiers outils rapidement en cas de difficulté, notamment par l’intermédiaire des Groupes d’Analyse de Pratique (GAP).

Comment interroger la devise de la République « Liberté, Egalité Fraternité » aujourd’hui en EPS ?

Concernant la Liberté, le sport scolaire me semble être un moment propice à l’engagement des élèves mais également un levier pour pousser les murs de son établissement et aller rencontrer d’autres élèves dans d’autres contextes. Ces occasions ne sont finalement pas si nombreuses dans un établissement.

Plutôt que d’Egalité, je préfère revendiquer une EP équitable. La question de l’égalité de réussite des filles et des garçons est ici centrale – et elle rejoint d’ailleurs des questions religieuses sur certains aspects-. A l’instar de Claire Pontais (2015), je défends l’idée qu’une égalité réelle passe par une EP équitable dans laquelle le traitement et choix des APSA est fondamental afin de tendre vers une culture commune. C’est donc choisir de programmer la course d’orientation pour combattre, par l’expérience vécue, l’idée que les filles seraient peureuses ou ne sauraient pas s’orienter et lire une carte. C’est aussi proposer une pratique scolaire de la gymnastique permettant à une majorité de garçons de gagner en esthétisme (et pourquoi pas à la barre fixe), et permettant à une majorité de filles de gagner en prise de risque (et pourquoi pas aux barres parallèles). En football, c’est rendre chacun-e suffisamment compétent-e pour marquer des buts (rendant ainsi caduque l’idée qu’un but marqué par une fille compte double).

Enfin la Fraternité questionne l’entraide et la solidarité des élèves en EPS. De prime abord la compétition -souvent présente dans les leçons d’EPS- semble antinomique de la Fraternité. Pour Philipe Gaudin au contraire elle est un formidable levier car elle suppose l’existence de l’Autre – et si possible d’un niveau suffisamment bon pour me permettre de progresser- et elle implique une nécessaire collaboration si le projet collectif final est partagé. En ce sens la compétition, contrairement à la rivalité, peut permettre l’émergence d’actes solidaires entre les élèves en EPS. Mais comme je l’ai déjà avancé, il me semble indispensable d’anticiper et de formaliser les conditions d’enseignement qui permettront l’émergence efficace de ces actes solidaires.

Deux mots en guise de conclusion, comme deux perspectives pour avancer sur le sujet de la laïcité et des valeurs républicaines en EPS : Dialogues et Formations.

Par Antoine Maurice et Benoit Montégut